Découverte du monde et pluralité des cultures : penser le monde

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Dans cette leçon, tu découvres comment la Renaissance et les Lumières ont bouleversé la vision du monde, entre révolutions scientifiques, grandes explorations et débats philosophiques. De Copernic à Newton, de Montaigne à Diderot, l’Europe apprend à penser l’infini, à rencontrer l’Autre et à repenser la place de l’homme dans l’univers. Mots-clés : Renaissance, Lumières, révolution scientifique, Copernic, Montaigne, pluralité des cultures.

Introduction

À la Renaissance, les horizons s’élargissent de deux manières : les explorateurs traversent les océans et découvrent de nouveaux continents, tandis que les savants redessinent le ciel et déplacent la Terre du centre de l’univers.

L’homme européen, qui croyait son monde limité et ordonné, se découvre plongé dans un univers infini et face à des cultures jusqu’alors inconnues. Les voyages, la science, la raison et l’altérité deviennent les forces qui transforment en profondeur la vision du monde et la place de l’homme en son sein.

Révolution scientifique et nouvelles représentations

Au XVIe siècle, l’astronome polonais Nicolas Copernic (1473-1543) propose dans De revolutionibus orbium coelestium un modèle héliocentrique : la Terre tourne autour du Soleil. Ce modèle, purement mathématique et théorique, ne repose pas encore sur des preuves observationnelles, mais il remet déjà en cause la vision géocentrique héritée de Ptolémée et de la tradition chrétienne.

Au XVIIe siècle, l’Italien Galilée (1564-1642) apporte des indices observationnels décisifs grâce à la lunette astronomique. Les satellites de Jupiter, les phases de Vénus ou encore les reliefs lunaires prouvent que l’univers est plus complexe qu’on ne l’imaginait. Dans Il Saggiatore (1623), il écrit que la nature est un « livre écrit en langage mathématique », marquant la naissance de la science moderne.

Enfin, l’Anglais Isaac Newton (1643-1727) publie les Principia Mathematica (1687) où il formule la loi de la gravitation universelle : la même force qui fait tomber une pomme gouverne le mouvement des planètes. Ce modèle synthétise les découvertes précédentes et donne une cohérence définitive à l’héliocentrisme.

Ces découvertes se traduisent aussi par de nouvelles cartes. Le cartographe flamand Gerardus Mercator (1512-1594) conçoit en 1569 une projection qui offre une vision globale du globe, facilitant la navigation et l’expansion coloniale. Mais elle déforme les surfaces : elle agrandit fortement les zones proches des pôles (Europe, Amérique du Nord) et réduit l’Afrique ou l’Amérique du Sud. Cette distorsion illustre la dimension idéologique des cartes : elles traduisent aussi une vision du monde et du pouvoir.

À retenir

Copernic en Pologne formule un modèle héliocentrique théorique, Galilée en Italie fournit des observations décisives et fonde une science mathématique de la nature, Newton en Angleterre établit la gravitation universelle qui donne cohérence au système, et Mercator dans les Pays-Bas espagnols crée une cartographie globale qui reflète aussi une vision hiérarchisée du globe.

Découverte de l’Autre et pluralité des cultures

La révolution des sciences accompagne une autre révolution : la rencontre avec les peuples d’Amérique, d’Afrique et d’Asie. Les récits de Christophe Colomb (1451-1506), navigateur italien au service de l’Espagne, de Amerigo Vespucci (1454-1512), Italien travaillant pour le Portugal puis l’Espagne, ou du Vénitien Pigafetta (1491-1531), chroniqueur du voyage de Magellan, nourrissent la curiosité européenne. Mais ces récits véhiculent aussi un regard exotisant et hiérarchisant, qui place souvent l’Europe au sommet.

Très vite, la découverte devient confrontation. La conquête espagnole entraîne massacres, conversions forcées et effondrement démographique des populations autochtones. Pour répondre aux critiques, l’empereur Charles Quint (1500-1558), souverain du Saint-Empire et roi d’Espagne, organise la controverse de Valladolid (1550-1551).

Le dominicain espagnol Bartolomé de Las Casas (1484-1566) s’appuie sur le droit naturel chrétien et l’égalité fondamentale de tous les hommes pour défendre la dignité des Indiens. Face à lui, le théologien espagnol Juan Ginés de Sepúlveda (1494-1573) justifie la « guerre juste » en invoquant Aristote (les « esclaves par nature ») et le droit d’évangéliser les peuples considérés comme barbares.

L’humaniste français Montaigne (1533-1592), dans Essais I, 31 « Des Cannibales », déconstruit cette vision. « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage », écrit-il, jouant sur l’antithèse « usage/barbarie » pour montrer que la barbarie est relative. Ce texte humaniste n’affirme pas un relativisme absolu, mais critique l’ethnocentrisme et invite à la tolérance. Montaigne valorise la cohérence morale des cannibales, tout en invitant l’Europe à réfléchir sur sa propre cruauté.

Au XVIIIe siècle, le philosophe français Denis Diderot (1713-1784), dans le Supplément au voyage de Bougainville (1772), met en scène un vieillard tahitien qui reproche aux Européens leur intrusion : « Vous n’avez pas le droit de troubler notre bonheur. » Ce passage dénonce la prétention européenne à imposer ses lois. Diderot n’attaque pas les Lumières, mais interroge leurs contradictions face au colonialisme.

Enfin, le dramaturge anglais William Shakespeare (1564-1616), dans La Tempête (1611), fait de la pièce une allégorie du colonialisme naissant : Prospero incarne le colonisateur, maître de l’île et détenteur du pouvoir magique, tandis que Caliban représente le colonisé, contraint d’apprendre la langue de son maître pour la retourner contre lui.

À retenir

Colomb en Espagne, Vespucci pour le Portugal puis l’Espagne et Pigafetta à Venise nourrissent la curiosité mais hiérarchisent les peuples, Las Casas et Sepúlveda en Espagne s’opposent sur dignité universelle et droit d’évangéliser, Montaigne en France critique l’ethnocentrisme par un humanisme de tolérance, Diderot en France met en lumière les contradictions coloniales des Lumières et Shakespeare en Angleterre allégorise le colonialisme naissant.

Nouvelles philosophies de la nature et de l’homme

Ces bouleversements nourrissent des visions philosophiques inédites. L’Italien Giordano Bruno (1548-1600), dominicain, imagine un univers infini peuplé de mondes multiples. Sa pensée, fondée sur l’infinité divine et la critique de l’aristotélisme, reste spéculative. Mais elle relativise la place de l’homme et élargit la réflexion cosmologique.

Le philosophe français René Descartes (1596-1650), dans la 6ᵉ partie du Discours de la méthode (1637), affirme que l’homme doit « se rendre comme maître et possesseur de la nature ». Cet idéal régulateur vise à améliorer la condition humaine grâce aux sciences. Dans Le Monde, il décrit la matière comme un mécanisme soumis à des lois. Mais il propose aussi une « morale provisoire » : la maîtrise de la nature doit rester raisonnée et ordonnée, et non devenir une domination sans limites.

Le philosophe allemand Immanuel Kant (1724-1804), dans la Critique de la raison pure (1781), montre que l’espace et le temps sont des formes a priori de la sensibilité : nous percevons nécessairement le monde à travers ces cadres. La connaissance naît de l’interaction entre les données sensibles et les structures de l’esprit. L’univers n’est donc pas seulement découvert de l’extérieur : il est aussi construit par la pensée humaine.

Enfin, le Français Blaise Pascal (1623-1662), dans ses Pensées, exprime le vertige de l’infini : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. » Ce vertige s’inscrit dans une réflexion sur la condition humaine : l’homme est partagé entre sa grandeur (la raison, capable de concevoir l’infini) et sa misère (sa petitesse de créature finie). Pour Pascal, cette tension n’est pas seulement existentielle : elle renvoie à la quête de Dieu, seule réponse à l’angoisse cosmique.

À retenir

Bruno en Italie pense l’infini à partir de l’infinité divine et critique Aristote, Descartes en France associe un idéal scientifique à une morale provisoire, Kant en Allemagne explique que la connaissance naît de l’interaction entre sensibilité et structures de l’esprit, et Pascal en France illustre le vertige de l’infini dans une réflexion chrétienne sur grandeur et misère de l’homme.

Conclusion

De la Renaissance aux Lumières, l’homme découvre qu’il n’est plus au centre du monde : la Terre devient une planète parmi d’autres, et l’Europe rencontre des cultures qu’elle ne peut plus ignorer. Les sciences, les voyages, la philosophie et la littérature transforment la vision de l’univers et des cultures. Mais cette ouverture entraîne aussi une interrogation : comment concilier la puissance de la raison et la diversité des cultures, l’enthousiasme des découvertes et la violence des conquêtes ?

Penser le monde, c’est désormais accepter la pluralité des savoirs et des cultures, reconnaître l’égalité fondamentale des peuples et admettre que l’homme, petit dans l’univers, est grand par sa capacité à chercher la vérité et à dialoguer avec l’Autre.