Introduction
Imagine un marin de la fin du XVe siècle, quittant les côtes connues de l’Europe pour s’aventurer sur l’océan Atlantique. Après des semaines d’angoisse, il aperçoit une terre nouvelle : l’Amérique. La Renaissance, époque de curiosité et de foi dans les capacités humaines, est aussi celle des grandes expéditions maritimes.
Ces découvertes bouleversent la vision du monde : elles révèlent l’existence d’autres peuples, d’autres cultures et d’autres richesses, mais ouvrent aussi une histoire marquée par la violence, la domination et les débats sur la justice.
Les grandes découvertes et l’élargissement du monde
À la fin du Moyen Âge, l’Europe cherche de nouvelles routes commerciales pour atteindre l’Asie. Les Portugais jouent un rôle décisif : Bartolomeu Dias double le cap de Bonne-Espérance en 1488, Vasco de Gama atteint Calicut en 1498, et Cabral découvre le Brésil en 1500. En 1492, Christophe Colomb, au service de l’Espagne, atteint les îles des Caraïbes en pensant rejoindre les Indes. Jusqu’à sa mort en 1506, il reste persuadé d’avoir ouvert une nouvelle route vers l’Asie et ne reconnaît pas l’existence d’un « nouveau monde ». Quelques décennies plus tard, Magellan entreprend le premier tour du monde, achevé par son équipage en 1522.
Ces expéditions élargissent l’horizon : de nouveaux continents sont cartographiés, et des routes maritimes relient désormais l’Europe, l’Afrique, l’Asie et l’Amérique. La conquête devient aussi politique : Hernán Cortés soumet l’empire aztèque au Mexique, tandis que Francisco Pizarro détruit l’empire inca au Pérou. Les conséquences sont immenses : l’or et l’argent affluent vers l’Europe, mais les populations amérindiennes s’effondrent, victimes des massacres, de l’exploitation et surtout des maladies importées comme la variole.
L’imprimerie, mise au point par Gutenberg vers 1450 et diffusée largement dès les années 1450-1470, joue un rôle essentiel dans la propagation de ces récits et de ces cartes. Les Lettres de Christophe Colomb, les relations de voyage d’Amerigo Vespucci ou les récits d’André Thevet circulent rapidement, alimentant la curiosité européenne et transformant la vision du monde.
Ces découvertes ne sont pas seulement géographiques : elles confrontent l’Europe à la pluralité des cultures. Pour la première fois, elle doit reconnaître l’existence de sociétés différentes, ce qui soulève des questions philosophiques sur l’altérité et la justice.
À retenir
Les grandes découvertes élargissent l’horizon géographique et bouleversent les échanges. L’imprimerie, diffusée dès 1450, accélère la circulation des récits et des cartes. La rencontre des autres peuples oblige l’Europe à réfléchir à la pluralité des cultures.
Les premiers contacts et la découverte de l’« autre »
La rencontre entre Européens et peuples autochtones provoque fascination et incompréhension. Les récits de voyage, comme les Décades du Nouveau Monde de Pierre Martyr d’Anghiera, décrivent avec émerveillement la faune, la flore et les sociétés rencontrées. Mais ce regard reste ethnocentré (c’est-à-dire qu’il juge les autres cultures selon les normes européennes).
Très vite, la conquête s’accompagne de violence : massacres, conversions forcées, mise en esclavage. Face à ces abus, certains s’élèvent. Bartolomé de Las Casas (1484-1566), dominicain espagnol, dénonce dans sa Brève relation de la destruction des Indes (1552) les atrocités commises par les colons : « Ils tuaient, dépeçaient, tourmentaient les Indiens comme s’ils n’avaient pas été des hommes. » Son écriture mobilise le registre pathétique, c’est-à-dire qu’elle cherche à émouvoir et à susciter l’indignation pour faire reconnaître l’injustice.
Montaigne (1533-1592), dans ses Essais, au chapitre « Des Cannibales », critique le mépris européen. Observant trois Brésiliens venus en France, il écrit : « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. » (§ 31-32). Cette formule, d’une simplicité frappante, inverse la hiérarchie culturelle : ce ne sont pas les peuples dits « sauvages » qui sont barbares, mais les Européens qui, malgré leur raffinement, pratiquent des guerres cruelles. Montaigne valorise même la cohérence morale des « cannibales » face à la brutalité européenne, ouvrant la voie à une première réflexion relativiste.
À retenir
Las Casas utilise le registre pathétique pour dénoncer les violences coloniales. Montaigne inverse la hiérarchie culturelle et défend une vision relativiste des mœurs.
Conséquences culturelles et débats philosophiques
Les conquêtes bouleversent la vision du monde. Les cartes s’élargissent, et l’idée d’un globe habité par des peuples différents s’impose. Les échanges, qu’on peut appeler une mondialisation naissante (intensification des échanges de biens, d’idées et de croyances entre continents), introduisent en Europe le maïs, la pomme de terre, le cacao, mais aussi de nouvelles langues, des syncrétismes religieux (mélanges entre croyances locales et christianisme) et des transferts scientifiques. L’Europe n’exporte pas seulement sa culture : elle s’enrichit aussi de ce qu’elle reçoit.
Sur le plan moral et politique, la conquête suscite de vifs débats. La controverse de Valladolid (1550-1551) oppose Las Casas à Sepúlveda. Ce dernier justifie la domination par la « guerre juste » (idée que la force peut être légitime pour corriger les « barbares »), tandis que Las Casas rappelle le droit naturel à la liberté et à la dignité humaine. Le théologien Francisco de Vitoria (1483-1546), maître de l’école de Salamanque, affirme lui aussi que les peuples indigènes ont des droits, fondés non sur la religion mais sur la raison universelle.
Ces débats touchent à une question centrale : comment penser l’altérité (le rapport à l’autre, au différent) ? La Renaissance oblige l’Europe à se confronter à la diversité des cultures et à réfléchir à la justice universelle.
À retenir
La mondialisation naissante intensifie les échanges matériels, religieux et scientifiques. Les penseurs comme Las Casas et Vitoria défendent un droit universel des peuples face à la violence coloniale.
Héritages et prolongements : de l’humanisme à la modernité
Ces découvertes s’inscrivent dans le contexte de l’humanisme : confiance en la raison, curiosité universelle, désir de comprendre le monde dans toute sa diversité. L’expérience des conquêtes oblige les Européens à élargir leur horizon moral autant que géographique.
Plus tard, d’autres penseurs poursuivent cette réflexion. Montesquieu, dans L’Esprit des lois (1748), analyse la diversité des lois et des mœurs selon les climats et les cultures, en cherchant à comprendre plutôt qu’à juger. Au XXᵉ siècle, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, dans Race et histoire (1952), dénonce l’ethnocentrisme et critique le mythe du progrès linéaire. Pour lui, aucune culture n’est supérieure : toutes participent à la richesse de l’humanité, et leur égalité doit être reconnue.
À retenir
L’humanisme renaissant ouvre une réflexion sur la dignité et la diversité des cultures. Montesquieu et Lévi-Strauss montrent que la reconnaissance de l’altérité reste un enjeu moderne.
Conclusion
Les grandes découvertes de la Renaissance transforment radicalement la vision du monde. Elles ouvrent des routes maritimes, provoquent des rencontres inédites et introduisent de nouvelles richesses. Mais elles suscitent aussi violences, débats et une prise de conscience progressive de la diversité culturelle.
De Las Casas qui dénonce par l’indignation, à Montaigne qui renverse l’idée de barbarie, de Vitoria qui fonde un droit des peuples à Montesquieu et Lévi-Strauss qui défendent l’égalité des cultures, l’Europe découvre que la conquête n’est pas seulement une affaire de territoires : elle interroge le rapport à l’autre, la justice et la dignité humaine.
La pluralité des cultures, mise en lumière par les explorations, devient dès lors un défi autant qu’une richesse, invitant chacun à repenser la place des peuples dans un monde désormais commun.
