Introduction
L’agriculture moderne a profondément transformé les milieux naturels pour répondre aux besoins alimentaires de l’humanité. Ces espaces cultivés ou exploités, appelés agrosystèmes, sont des écosystèmes modifiés par l’homme pour produire de la biomasse (plantes, animaux, fibres, énergie). Mais cette intensification s’est souvent accompagnée de déséquilibres : épuisement des sols, pollution de l’eau, diminution de la biodiversité et dépendance aux énergies fossiles.
Aujourd’hui, l’enjeu est de développer une gestion durable des agrosystèmes, capable d’assurer une production suffisante tout en préservant les ressources naturelles et les équilibres biologiques indispensables à la vie sur Terre.
Les flux de matière et d’énergie dans un agrosystème
Un agrosystème fonctionne comme un système ouvert, c’est-à-dire qu’il échange constamment de la matière et de l’énergie avec son environnement. Les entrées comprennent l’énergie solaire, captée par les plantes lors de la photosynthèse, ainsi que les intrants comme les engrais, l’eau d’irrigation, les pesticides, les semences et l’énergie fossile utilisée par les machines. Le sol joue aussi un rôle clé : il abrite des micro-organismes, des vers et des champignons qui décomposent la matière organique et libèrent des éléments nutritifs pour les plantes.
Les sorties, elles, correspondent à la biomasse exportée lors des récoltes ou de la vente d’animaux, mais aussi à plusieurs types de pertes. Certaines matières sont entraînées vers les nappes phréatiques par le lessivage, lorsque les pluies emportent les nutriments du sol.
Une partie de l’énergie produite est dissipée sous forme de chaleur, issue de la respiration des êtres vivants. Enfin, des éléments chimiques comme le dioxyde de carbone (), le protoxyde d’azote () ou l’ammoniac () s’échappent dans l’atmosphère, contribuant à la pollution de l’air et au réchauffement climatique.
Ainsi, la durabilité d’un agrosystème repose sur un bilan équilibré entre ce qui entre (énergie, nutriments, matière organique) et ce qui sort (récoltes, pertes, émissions). Si les sorties dépassent les entrées, le sol s’appauvrit et la productivité finit par diminuer.
À retenir
Un agrosystème est un système ouvert traversé par des flux de matière et d’énergie. Sa durabilité dépend d’un équilibre entre les apports (intrants, recyclage, énergie solaire) et les pertes (récoltes, fuites, dégagements).
Le cycle de l’azote : un moteur de la fertilité
L’azote est indispensable à la vie : il entre dans la composition des protéines, de l’ADN et des chlorophylles des plantes. Pourtant, la forme la plus abondante d’azote dans l’air (le diazote, ) ne peut pas être utilisée directement par les végétaux. Il faut donc qu’il soit transformé en composés minéraux, comme les nitrates () ou l’ammonium (), que les racines peuvent absorber.
Ce cycle de l’azote repose sur le travail de bactéries du sol. Certaines, comme les Rhizobium, vivent en symbiose dans les racines des légumineuses (pois, trèfles, luzernes). Elles captent l’azote atmosphérique et le transforment en nitrates assimilables, enrichissant ainsi naturellement le sol. D’autres bactéries, dites nitrifiantes, transforment l’ammonium issu de la décomposition de la matière organique en nitrates.
Enfin, les bactéries dénitrifiantes restituent une partie de cet azote à l’atmosphère, sous forme de diazote () ou de protoxyde d’azote (), un gaz à effet de serre.
Dans un écosystème naturel, ce cycle est équilibré : la matière organique morte retourne au sol et l’azote circule entre les êtres vivants et l’atmosphère. Dans un agrosystème, les récoltes exportent une partie de l’azote, rompant cet équilibre. Pour compenser, les agriculteurs utilisent des engrais azotés, mais ces apports excessifs peuvent provoquer la pollution des nappes ou des rejets gazeux.
À retenir
Le cycle de l’azote est la circulation de l’azote entre l’air, le sol et les organismes vivants. Les bactéries du sol assurent sa transformation et maintiennent la fertilité naturelle.
Les impacts d’une agriculture non durable
Une exploitation trop intensive dérègle les processus naturels et entraîne trois grands types de dégradation.
D’abord, l’érosion des sols : en l’absence de couverture végétale ou lorsque les terres sont trop souvent labourées, la pluie et le vent emportent la couche fertile. Ce phénomène appauvrit rapidement les sols, surtout sur les pentes, et réduit la productivité agricole.
Ensuite, la pollution des eaux : les excès d’engrais riches en nitrates et les résidus de pesticides s’infiltrent dans les nappes ou rejoignent les rivières. Cela favorise l’eutrophisation, c’est-à-dire la prolifération d’algues qui épuisent l’oxygène et étouffent la faune aquatique.
Enfin, la perte de biodiversité : la disparition des haies, des zones humides et la simplification des paysages réduisent les habitats pour de nombreuses espèces. La faune du sol (vers, insectes, micro-organismes), pourtant essentielle au recyclage de la matière, se raréfie.
À retenir
L’agriculture intensive fragilise les agrosystèmes en provoquant l’érosion, la pollution et la régression de la biodiversité.
Des pratiques agricoles pour une gestion durable
Pour limiter ces impacts, les agriculteurs adoptent des pratiques fondées sur une meilleure compréhension du fonctionnement du sol. La rotation des cultures alterne céréales, légumineuses et plantes fourragères pour éviter l’épuisement des nutriments et favoriser la diversité biologique. Les légumineuses, grâce à leurs bactéries symbiotiques, enrichissent naturellement le sol en azote. Le semis direct sous couvert végétal, où le sol reste en permanence protégé par une végétation, réduit l’érosion, améliore la rétention d’eau et stimule l’activité des micro-organismes.
Cette technique peut diviser par deux l’usage d’engrais azotés sans baisse de rendement. L’agriculture de précision, qui repose sur des capteurs et des satellites, permet de mesurer la croissance des cultures, la teneur en azote ou l’humidité du sol, afin d’appliquer engrais et eau seulement là où c’est utile. Dans les grandes plaines céréalières, cette méthode a permis de réduire de 30 % les apports d’engrais sans perte de production.
Enfin, la création de bandes enherbées et la replantation de haies entre les champs et les rivières limitent la pollution. Ces zones filtrent les nitrates, ralentissent le ruissellement de l’eau et servent de refuge à la faune, rétablissant ainsi une partie de la biodiversité disparue.
À retenir
Les pratiques durables s’appuient sur la diversité des cultures, la protection du sol et la réduction des intrants pour maintenir la fertilité et limiter les pollutions.
L’innovation et la recherche agronomique
La recherche scientifique contribue activement à la transition vers une agriculture plus durable. Les biologistes du sol étudient les micro-organismes (bactéries, champignons, microfaune) pour mieux comprendre leur rôle dans le recyclage de la matière et la séquestration du carbone.
Les généticiens développent des variétés de plantes plus résistantes à la sécheresse ou aux maladies, permettant de diminuer les traitements chimiques. Des chercheurs en écologie conçoivent des systèmes agricoles inspirés de la nature, comme l’agroforesterie, où les arbres cultivés parmi les cultures protègent les sols du vent, favorisent la rétention d’eau et abritent de nombreuses espèces utiles.
Mais la transition vers ces modèles durables pose aussi des défis économiques. Les investissements nécessaires (matériel, temps, formation) représentent un frein pour de nombreux agriculteurs. Les chercheurs en agronomie analysent ces contraintes socio-économiques et cherchent à concilier rendement, rentabilité et durabilité dans les nouvelles politiques agricoles.
À retenir
Les innovations scientifiques et les études socio-économiques accompagnent la transition vers une agriculture productive, rentable et respectueuse de l’environnement.
Conclusion
La gestion durable des agrosystèmes repose sur la compréhension de leurs flux de matière et d’énergie, sur le respect des cycles naturels et sur la valorisation des organismes vivants du sol. Un agrosystème équilibré doit maintenir un bilan positif : les apports d’énergie solaire, de nutriments et de matière organique doivent compenser les pertes liées aux récoltes et aux émissions. La restauration du cycle de l’azote, l’entretien d’un sol vivant et l’adoption de pratiques agricoles raisonnées constituent les clés d’une agriculture durable.
En un mot, produire de manière durable, c’est apprendre à travailler avec la nature plutôt que contre elle : en s’appuyant sur ses cycles, sa diversité et ses équilibres pour garantir une alimentation suffisante et un environnement préservé pour les générations futures.
