Introduction
Depuis environ dix mille ans, l’être humain transforme les milieux naturels pour y développer des agrosystèmes, c’est-à-dire des écosystèmes modifiés pour produire de la biomasse (matière vivante utilisée pour se nourrir, fabriquer ou produire de l’énergie). Contrairement à un écosystème naturel, où la matière et l’énergie circulent librement entre les organismes et leur milieu, un agrosystème dépend de l’intervention humaine : choix des cultures, apports d’engrais, irrigation, sélection des espèces, utilisation de machines et d’énergie.
Ces actions modifient les cycles de la matière et de l’énergie et influencent la productivité (quantité de biomasse produite par unité de surface et de temps). Comprendre leur fonctionnement permet de mesurer les effets de nos pratiques agricoles sur la biosphère (ensemble des zones de la Terre où la vie est présente).
Organisation et flux dans les agrosystèmes
Un agrosystème associe un biotope (le milieu physique : sol, eau, air) et une biocénose (les êtres vivants : plantes, animaux, micro-organismes). L’énergie du Soleil est captée par les plantes grâce à la photosynthèse, qui transforme le dioxyde de carbone et l’eau en matière organique. Cette énergie chimique circule ensuite dans tout le système, depuis les végétaux (producteurs primaires) jusqu’aux animaux et à l’homme.
On distingue la productivité primaire brute, qui correspond à la biomasse totale produite par les plantes, et la productivité nette, c’est-à-dire la part réellement disponible pour les autres organismes après respiration et pertes. Par exemple, un hectare de blé peut produire environ 8 à 10 tonnes de matière sèche par an, mais seule une partie (4 à 6 tonnes) est récoltée : le reste est consommé ou décomposé sur place.
Les micro-organismes du sol (bactéries, champignons, vers de terre) jouent un rôle fondamental dans le recyclage de la biomasse. En décomposant les matières organiques, ils restituent au sol des éléments minéraux (nitrates, phosphates) utilisables par les plantes. Ce processus maintient la fertilité du sol et relie les agrosystèmes au cycle global de la matière sur Terre.
À retenir
Un agrosystème fonctionne comme un écosystème modifié par l’homme, mais il est ouvert, car il échange de la matière et de l’énergie avec son environnement. Les micro-organismes assurent la décomposition et le recyclage des éléments nutritifs, garantissant la fertilité du sol.
Les intrants et la dépendance énergétique
Dans un écosystème naturel, la matière se recycle naturellement. Dans un agrosystème, ce recyclage est interrompu par les récoltes : les éléments nutritifs sont prélevés sans être totalement restitués au sol. Pour compenser, les agriculteurs utilisent des intrants, c’est-à-dire des apports extérieurs comme les engrais, les pesticides, l’eau d’irrigation et l’énergie.
L’énergie utilisée provient en grande partie de sources non renouvelables, comme les carburants fossiles (pétrole, gaz) ou l’électricité produite à partir de ces ressources. Elle permet d’alimenter les machines agricoles, les systèmes d’irrigation et les usines d’engrais. Cette dépendance rend les agrosystèmes modernes très performants à court terme, mais aussi vulnérables à la raréfaction de ces ressources.
Les engrais apportent de l’azote et du phosphore, mais une partie de ces éléments n’est pas absorbée par les plantes. Ils peuvent être lessivés (emportés par l’eau de pluie vers les nappes et rivières) ou volatilisés (évaporés sous forme de gaz). Ces pertes entraînent des déséquilibres, comme l’eutrophisation (accumulation excessive de nutriments dans les milieux aquatiques, provoquant une prolifération d’algues et un appauvrissement en oxygène).
À retenir
Les intrants compensent les pertes de matière et d’énergie mais peuvent provoquer des pollutions diffuses. Les agrosystèmes modernes sont fortement dépendants de l’énergie fossile et des ressources non renouvelables.
Cycles du carbone et de l’azote
Les agrosystèmes modifient les grands cycles biogéochimiques de la planète. Dans le cycle du carbone, les plantes captent le dioxyde de carbone () de l’atmosphère lors de la photosynthèse, mais une partie de ce carbone retourne dans l’air par la respiration, la décomposition et la combustion des carburants. Les labours profonds ou la destruction des haies réduisent aussi le stockage du carbone dans les sols, contribuant à l’augmentation du atmosphérique.
Le cycle de l’azote, essentiel à la croissance des plantes, est également perturbé. Dans la nature, certaines bactéries du sol transforment l’azote de l’air en nitrates assimilables. Dans les agrosystèmes, ces processus biologiques sont remplacés par des engrais azotés de synthèse, produits grâce à l’énergie fossile. Une partie de cet azote est perdue dans l’environnement sous forme de (protoxyde d’azote, puissant gaz à effet de serre) ou de nitrates emportés vers les nappes phréatiques.
À retenir Les cycles du carbone et de l’azote sont modifiés par les activités agricoles. Les pertes de , et nitrates participent au réchauffement climatique et à la pollution des eaux.
Les pratiques agricoles et leurs impacts
Les agrosystèmes peuvent être gérés selon différents modèles. L’agriculture vivrière vise à nourrir une population locale, avec peu d’intrants et une grande diversité de cultures. L’agriculture extensive, pratiquée sur de grandes surfaces, respecte davantage les cycles naturels mais produit moins. L’agriculture intensive, au contraire, cherche à maximiser la production sur une petite surface, en utilisant beaucoup d’engrais, d’eau et d’énergie.
Face aux limites de ce modèle intensif, de nouvelles formes d’agriculture tentent de concilier productivité et durabilité. L’agriculture raisonnée repose sur une gestion plus précise des apports : les engrais, l’eau et les produits phytosanitaires sont utilisés uniquement lorsque c’est nécessaire, en suivant les besoins réels des plantes.
Cela permet de limiter les pertes et la pollution tout en maintenant un bon rendement. L’agroécologie, quant à elle, s’inspire du fonctionnement des écosystèmes naturels : elle encourage la diversité des espèces cultivées, la rotation des cultures, la conservation des haies et la présence d’auxiliaires (comme les insectes pollinisateurs ou prédateurs naturels). En valorisant la biodiversité du sol, l’agroécologie favorise le recyclage de la matière et une meilleure résistance aux aléas climatiques.
À retenir
Les pratiques raisonnées et agroécologiques cherchent à limiter les intrants tout en préservant la fertilité et la diversité biologique du sol.
Les impacts environnementaux et la biosphère
Les pratiques agricoles intensives peuvent avoir des conséquences multiples sur l’environnement.
La pollution diffuse, due à la dispersion de pesticides et de nitrates, contamine les sols, les nappes et les rivières, menaçant les écosystèmes aquatiques et la santé humaine.
La diminution du carbone stocké dans les sols affaiblit leur structure, réduit leur capacité à retenir l’eau et accélère le changement climatique.
Enfin, la perte de biodiversité, notamment celle des micro-organismes du sol, compromet le recyclage de la matière et la fertilité à long terme.
Les scientifiques étudient ces effets par des démarches expérimentales concrètes : analyses de sol pour mesurer la richesse en azote, comparaisons de rendements selon les pratiques agricoles, ou observation au microscope de la décomposition de la matière organique. Ces observations montrent qu’un sol riche en micro-organismes décompose plus rapidement la biomasse, stocke davantage de carbone et produit des cultures plus stables.
Ces phénomènes rappellent que les agrosystèmes sont ouverts : ils échangent en permanence matière et énergie avec l’air, le sol et l’eau. Une partie de ce qu’ils reçoivent (intrants, énergie) s’en échappe sous forme de pollution, de gaz ou de matière exportée, ce qui rend leur bilan global déficitaire si la gestion n’est pas équilibrée.
À retenir
L’agriculture intensive peut provoquer la pollution des milieux, la perte de carbone dans les sols et la régression de la biodiversité. Les agrosystèmes, ouverts sur la biosphère, doivent être gérés de manière durable pour maintenir leur équilibre.
Conclusion
Les agrosystèmes terrestres et aquatiques assurent la production alimentaire mondiale, mais leur fonctionnement repose sur des flux continus de matière et d’énergie entre la biosphère et les activités humaines. Leur productivité dépend de la photosynthèse, des micro-organismes du sol et de l’énergie investie par l’homme. Cependant, l’usage intensif d’intrants, la consommation d’énergie fossile et les pertes dans les cycles du carbone et de l’azote menacent leur durabilité.
L’avenir de l’agriculture passe par une meilleure compréhension scientifique des sols et par la généralisation de pratiques qui s’appuient sur les équilibres naturels : l’agroécologie, les rotations, et le recyclage de la biomasse. Ces approches visent à concilier rendement agricole, préservation de la biosphère et limitation de l’impact climatique, pour garantir à long terme une production soutenable sur une planète vivante.
