Le travail sans salaire est-il encore du travail ?

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Dans cette leçon, tu comprendras pourquoi le travail ne se réduit pas au salaire. En t’appuyant sur Marx, Simone Weil ou Aristote, tu verras que des activités non rémunérées peuvent aussi transformer le monde et méritent d’être reconnues comme du véritable travail. Mots-clés : travail et salaire, travail non rémunéré, reconnaissance du travail, Simone Weil, Karl Marx, Aristote, philosophie du travail.

Travailler, c’est transformer le réel par une activité organisée, finalisée, mobilisant des efforts et des compétences. Aujourd’hui, on associe souvent le travail à l’emploi salarié, c’est-à-dire à une activité rémunérée, déclarée, encadrée par un contrat. Mais de nombreuses activités utiles et exigeantes — comme élever un enfant, entretenir un lieu de vie, aider une association — ne sont pas payées. Peut-on dire qu’elles ne sont pas du travail ? Autrement dit, le salaire est-il une condition nécessaire pour qu’il y ait travail ?

On verra d’abord que le salaire a longtemps été considéré comme une preuve de reconnaissance sociale. Pourtant, des activités non rémunérées remplissent les mêmes fonctions que le travail salarié. Il faudra donc s’interroger sur la définition du travail : est-ce une activité marchande, ou une relation plus profonde au monde et aux autres ?

Le salaire comme reconnaissance du travail dans les sociétés modernes

Dans les sociétés industrielles modernes, le travail est souvent réduit à l’emploi. Il est perçu comme une activité productive, échangeable contre un salaire. Cette conception s’est imposée avec le développement du capitalisme, où chacun doit vendre sa force de travail pour subvenir à ses besoins.

Le philosophe Karl Marx (Manuscrits de 1844) analyse ce phénomène comme une aliénation : le travail n’est plus libre, mais imposé par la nécessité. Attention toutefois : pour Marx, ce n’est pas le travail en soi qui est aliénant, mais la forme qu’il prend dans le capitalisme. Le travail devrait être une activité expressive, créatrice ; il devient une contrainte extérieure.

Dans cette logique, le salaire devient le critère du travail reconnu. Ce qui n’est pas payé est souvent considéré comme secondaire ou invisible. Pourtant, cette association entre travail et rémunération n’est ni naturelle, ni universelle. De nombreuses activités humaines importantes échappent à cette définition étroite.

Des activités non rémunérées mais pourtant essentielles

Élever un enfant, cuisiner, nettoyer, soigner un proche : ces activités prennent du temps, demandent de l’énergie, mobilisent des compétences. Ce sont des formes de travail, même si elles ne sont pas rémunérées.

La philosophe Simone Weil, dans La Condition ouvrière (1943), insiste sur le fait que le travail n’est pas seulement un moyen de produire. C’est une expérience intérieure : un effort réel face à une matière résistante, une forme d’attention et d’humilité. Elle écrit que le travail engage tout l’être. Dans cette perspective, le salaire n’est pas ce qui définit le travail. Il en est un effet possible, mais non une condition.

De nombreuses formes d’engagement bénévole, domestique ou communautaire montrent que le travail existe en dehors du marché. Ce constat invite à élargir notre conception du travail.

Travailler, c’est agir dans le monde

Il est possible de penser le travail au-delà de la logique marchande. Le philosophe Aristote, dans l’Antiquité, distinguait deux types d’activité : la poïésis, qui vise à produire un objet extérieur (comme fabriquer une table), et la praxis, qui vise une action accomplie pour elle-même (comme soigner ou éduquer). Cette distinction ne correspond pas au travail au sens moderne, mais elle aide à réfléchir : toute activité n’est pas faite pour produire un bien échangeable.

On peut donc penser que travailler, c’est entrer en relation avec le monde, le transformer, y prendre part. Certaines tâches ménagères, par exemple, créent de l’ordre, du soin, de la continuité, sans produire de marchandise. D’un point de vue philosophique, ces activités ont une valeur propre, même si elles ne sont pas rémunérées.

En ce sens, le salaire est un critère historique et social du travail, mais il n’en constitue pas l’essence. Pour employer un langage philosophique : le salaire est un accident, non une propriété essentielle du travail. C’est-à-dire : le travail peut exister sans lui.

Conclusion

Le travail, dans sa réalité humaine, ne se limite pas à l’emploi salarié. Il est une relation active au monde, une manière de produire, de maintenir, de soigner, de transformer. Ce qui compte, ce n’est pas toujours le paiement, mais l’utilité, le sens, l’engagement que suppose l’activité.

Si l’on réduit le travail au salaire, on oublie son rôle social, humain, existentiel. De nombreuses personnes travaillent sans être payées, mais leur contribution est essentielle. Il faut donc reconnaître le travail au-delà de la seule logique économique, pour mieux penser la justice, la reconnaissance et la valeur des activités humaines.