Y a-t-il une hiérarchie dans les travaux ?

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Dans cette leçon, tu te demanderas si la hiérarchie des métiers est justifiée. En explorant les idées de Durkheim, Marx, Rawls ou Simone Weil, tu verras que l’utilité sociale et la dignité d’un métier ne se mesurent pas toujours à son prestige ou à son salaire. Mots-clés : hiérarchie des métiers, reconnaissance sociale, utilité sociale, division du travail, Karl Marx, John Rawls.

Un métier est une activité exercée de manière durable, mobilisant des compétences reconnues et contribuant à la vie sociale. Dans les sociétés modernes, tous les citoyens ont les mêmes droits en principe, et chaque activité utile pourrait être perçue comme égale en dignité. Pourtant, certains métiers sont plus valorisés que d’autres, que ce soit en termes de rémunération, de prestige ou de reconnaissance publique.

Peut-on justifier cette hiérarchie ? Faut-il la considérer comme légitime, ou comme une construction sociale à interroger ? Il s’agira de comprendre si la hiérarchie des métiers est nécessaire, contingente ou injuste.

Nous verrons d’abord que les fonctions sociales entraînent naturellement des classements implicites. Nous interrogerons ensuite les critères à partir desquels on peut juger la valeur d’un métier, avant d’ouvrir enfin une réflexion sur la reconnaissance sociale et ses fondements possibles.

Une hiérarchie issue de la division fonctionnelle du travail

Toute société organisée repose sur une division des tâches. Dans De la division du travail social, Durkheim montre que cette spécialisation permet une meilleure solidarité : chacun dépend des autres. Mais cette répartition n’est pas neutre : certains métiers exigent une longue formation, une haute responsabilité, ou une rare compétence, ce qui explique leur valorisation.

À cette dimension fonctionnelle s’ajoute une dimension symbolique. Platon, dans La République, distingue trois groupes sociaux correspondant à trois fonctions de l’âme : les producteurs (désir), les gardiens (courage) et les gouvernants (raison). Cette structure ne décrit pas des « métiers » au sens moderne, mais des fonctions sociales analogues à des aptitudes psychiques. Elle justifie une organisation hiérarchique au nom de l’ordre et du bien commun.

Cependant, les sociétés contemporaines continuent souvent à classer les métiers selon leur prestige ou leur revenu, sans interroger les fondements de cette hiérarchie. Or, la reconnaissance sociale ne coïncide pas toujours avec l’utilité réelle.

La valeur d’un métier ne se mesure pas uniquement à son statut

La crise sanitaire a mis en lumière des professions essentielles mais peu reconnues : soignants, agents d’entretien, aides à domicile. Ces métiers ont montré que l’utilité sociale ne se mesure pas à la rémunération. Une hiérarchie purement économique ou culturelle peut occulter la valeur humaine et sociale d’un travail.

Karl Marx, dans les Manuscrits de 1844, critique le fait que dans le capitalisme, le travail devient un moyen de survie, et non une expression libre de soi. Ce n’est pas le travail en lui-même qui est aliénant, mais la manière dont il est organisé. Le système valorise certains métiers pour leur rentabilité, pas pour leur contribution à la vie collective.

De son côté, Simone Weil, dans La condition ouvrière (recueil posthume), insiste sur la dimension morale du travail. Même un travail modeste ou physique, s’il est accompli avec rigueur et attention, peut être porteur de grandeur. Il ne s’agit pas d’en faire une célébration abstraite, mais de rappeler que la qualité de la relation au réel dans l’activité importe autant que son prestige social.

Repenser la hiérarchie : quelle reconnaissance pour quels métiers ?

Faut-il supprimer toute hiérarchie ? Pas nécessairement. Certains métiers impliquent des responsabilités collectives majeures, comme juger ou opérer. Mais cela ne signifie pas que d’autres activités seraient sans valeur. La question devient alors : sur quels critères fonder la reconnaissance d’un métier ?

Le philosophe John Rawls, dans Théorie de la justice, propose le principe de différence : les inégalités ne sont acceptables que si elles bénéficient aux plus défavorisés. Il ne parle pas directement de métiers, mais de positions sociales dans une société juste. Cela peut s’appliquer : la hiérarchie professionnelle ne doit pas renforcer l’injustice, mais viser le bien commun.

Par ailleurs, dans la tradition grecque, Aristote distingue la poïésis (faire) de la praxis (agir). La valeur d’une activité ne se réduit pas à son résultat : elle réside aussi dans la manière de l’accomplir, dans l’intention et l’excellence mise en œuvre. Un métier manuel ou modeste peut ainsi devenir un lieu de vertu, d’épanouissement, de contribution au monde.

Enfin, il faut souligner que de nombreuses activités échappent aux classements dominants : travail domestique, bénévolat, engagements non rémunérés. Ces formes d’activité montrent que le travail n’est pas réductible à l’emploi, et que la reconnaissance ne devrait pas se fonder uniquement sur le marché ou la visibilité.

Conclusion

Il existe une hiérarchie sociale des métiers, fondée sur des critères parfois fonctionnels, mais souvent arbitraires ou injustes. Cette hiérarchie reflète des rapports de pouvoir autant que des besoins réels.

Or, la valeur d’un métier devrait se mesurer à son utilité sociale, sa contribution à la dignité humaine, et la qualité de l’engagement qu’il implique. Tous les métiers n’ont pas les mêmes contraintes ni les mêmes fonctions, mais aucun ne devrait être méprisé en raison de son statut ou de sa rémunération.

Repenser la reconnaissance des métiers, c’est interroger les finalités de notre organisation collective, et le sens que nous donnons au travail humain.