Introduction
Le 8 juin 1972, dans le village de Trang Bang au Sud-Vietnam, une photographie fait le tour du monde : une fillette vietnamienne, Kim Phuc, court nue sur une route, brûlée par le napalm largué par l’aviation sud-vietnamienne. Captée par le photographe Nick Ut (Associated Press), cette image bouleverse l’opinion publique internationale. Elle illustre le rôle décisif des médias dans la guerre du Vietnam, premier conflit véritablement « télévisé » à partir de l’implication massive des États-Unis en 1964.
Les images, reportages et photographies façonnent la perception du conflit, alimentant le débat sur la propagande, la manipulation de l’information et la liberté des journalistes en temps de guerre.
Une guerre médiatisée sans précédent
Le conflit vietnamien débute comme une guerre d’indépendance contre la France (1946-1954), conclue par la défaite française à Diên Biên Phu et les accords de Genève. Le pays est alors divisé en deux : un Nord communiste et un Sud soutenu par les États-Unis. La guerre civile se poursuit dans les années 1950, mais c’est surtout à partir de 1964, après l’incident du golfe du Tonkin, que l’implication américaine devient massive, transformant le conflit en véritable guerre internationale jusqu’à la chute de Saïgon en 1975. En 1976, le Vietnam est officiellement réunifié sous un régime communiste, marquant la fin du processus.
Cette phase est marquée par une médiatisation sans précédent. Pour la première fois, la télévision américaine et internationale diffuse presque chaque jour des images de combats, de bombardements ou de civils victimes des violences. Des photographies iconiques marquent l’opinion : l’exécution d’un prisonnier vietcong à Saïgon en 1968 (Eddie Adams) ou le « napalm girl » de 1972.
La télévision, surtout aux États-Unis, installe la guerre dans le quotidien des foyers. Les images brisent le discours officiel qui présente la guerre comme une lutte propre et nécessaire contre le communisme. La réalité du terrain, brutale et sanglante, devient impossible à ignorer.
À retenir
Le Vietnam est la première guerre « télévisée » à grande échelle : les images diffusées à partir de 1964 révèlent l’écart entre la propagande officielle et la réalité du conflit.
L’influence des médias sur l’opinion publique mondiale
L’offensive du Têt, en janvier 1968, illustre ce décalage. Militairement, les forces américaines et sud-vietnamiennes repoussent l’attaque et remportent une victoire. Mais psychologiquement et politiquement, c’est un désastre : l’opinion publique découvre que l’ennemi reste capable de frapper en plein cœur de Saïgon malgré les discours de Washington annonçant une guerre sous contrôle.
Les grands journalistes et commentateurs jouent un rôle décisif. Walter Cronkite, présentateur vedette de CBS et considéré comme le journaliste le plus influent des États-Unis à l’époque, déclare en février 1968 que la guerre est « dans l’impasse ». Son avis, partagé par des millions de téléspectateurs, contribue à faire basculer l’opinion américaine. Les manifestations contre la guerre se multiplient, nourries par les images diffusées dans les journaux et à la télévision.
À l’international, la guerre du Vietnam devient un symbole d’anti-impérialisme. Les photographies et reportages circulent largement en Europe et dans le tiers-monde, alimentant les critiques contre la politique américaine et renforçant le prestige des mouvements de libération nationale.
À retenir
Les médias jouent un rôle central dans le retournement de l’opinion publique. L’offensive du Têt montre comment une victoire militaire peut devenir une défaite politique à cause des images diffusées.
L’information et la propagande des deux camps
Si les États-Unis tentent d’influencer l’opinion par des conférences de presse quotidiennes, surnommées les « Five o’clock follies », qui minimisent les pertes et présentent un bilan optimiste, le camp communiste n’est pas en reste.
Le Nord-Vietnam et le Vietcong mettent en place une propagande intense : affiches exaltant la résistance nationale, émissions de radio vantant les victoires contre « l’envahisseur américain », mise en scène de la détermination populaire. Ces outils renforcent la légitimité du régime et soutiennent le moral des combattants comme des populations civiles.
La guerre du Vietnam illustre ainsi une bataille de l’information à double sens : d’un côté, une propagande officielle américaine en perte de crédibilité face aux images indépendantes des journalistes ; de l’autre, une propagande communiste valorisant la résistance et relayée dans le tiers-monde comme symbole de lutte anti-impérialiste.
À retenir
La guerre du Vietnam est un affrontement militaire, mais aussi une guerre d’images et de propagande : les États-Unis comme le Nord-Vietnam cherchent à modeler l’opinion et à légitimer leur combat.
Conclusion
La guerre du Vietnam (1964-1975, réunification en 1976) est un tournant dans l’histoire de l’information. Premier conflit « télévisé », elle montre combien les images et reportages peuvent transformer l’opinion publique et influencer les choix politiques. Les photographies de Saïgon ou de Trang Bang incarnent cette puissance visuelle. Mais elle révèle aussi que la propagande n’est pas l’apanage d’un seul camp : Américains et Nord-Vietnamiens utilisent chacun l’information comme une arme.
Comparer un communiqué officiel triomphal de l’armée américaine avec un reportage télévisé montrant les villages en flammes, ou confronter une affiche héroïque du Nord-Vietnam aux récits des témoins, c’est plonger au cœur d’une autre bataille : celle des mots et des images. Au Vietnam, chaque camp a cherché à façonner les regards, à orienter les émotions, à gagner les esprits autant que les territoires. Et l’histoire ne s’arrête pas là : après le Vietnam, la guerre du Golfe de 1991 marque une étape clé avec le contrôle des images par l’armée américaine et la domination de CNN, avant que les guerres plus récentes, de l’Irak à l’Ukraine, ne confirment que l’information est devenue une arme stratégique, où convaincre et influencer pèsent parfois autant que les bombes et les canons.
