Introduction
Au XIXe siècle, l’information circule lentement, portée par le télégraphe, les journaux et les premiers réseaux internationaux. Dans ce contexte, l’Agence Havas, fondée en 1835 à Paris, s’impose progressivement comme un acteur central. D’abord simple agence de traduction de journaux étrangers, elle évolue rapidement vers la collecte et la diffusion d’informations. Elle devient un intermédiaire essentiel pour les journaux qui, grâce à elle, peuvent publier des nouvelles venues du monde entier. Au XXe siècle, l’Agence France-Presse (AFP), héritière d’Havas, devient l’une des plus grandes agences mondiales.
Leur histoire illustre la tension permanente entre deux logiques : celle du marché, où l’information est une marchandise, et celle de l’État, qui cherche à la contrôler. Cette évolution éclaire les enjeux actuels d’indépendance et de crédibilité de l’information.
L’Agence Havas : pionnière de l’information moderne
Charles-Louis Havas fonde son agence en 1835 avec une idée novatrice : traduire et diffuser la presse étrangère pour fournir aux journaux français une information rapide et synthétique. Progressivement, il met en place un réseau de correspondants et s’appuie sur le télégraphe pour transmettre les dépêches.
Le succès d’Havas s’explique aussi par le contexte de la loi sur la liberté de la presse de 1881, qui entraîne une explosion du nombre de journaux. La presse de masse se développe : des titres comme Le Petit Journal atteignent plus d’un million d’exemplaires au début du XXe siècle. Le faible prix des journaux, financés par la publicité, accroît la demande d’informations rapides et accessibles. Havas tire profit de ce marché en devenant le principal fournisseur de dépêches et de services publicitaires.
Cependant, cette puissance économique ne met pas l’agence à l’abri du contrôle politique. Pendant la guerre de 1870, l’État surveille étroitement la diffusion des nouvelles. Mais c’est surtout durant la Seconde Guerre mondiale que le basculement est décisif : en 1940, le régime de Vichy crée l’Office français d’information (OFI), directement chargé de la propagande officielle. En 1944, l’OFI fusionne avec la partie information d’Havas, ce qui achève de placer l’agence sous contrôle total de l’État et des autorités d’occupation. Cette expérience de propagande organisée explique la volonté de rupture à la Libération.
À retenir
Née comme une agence de traduction, Havas devient un pilier de la presse de masse grâce au télégraphe, à la loi de 1881, et à l’essor des tirages. Mais son intégration directe à la propagande de Vichy illustre la fragilité de l’indépendance de l’information.
L’AFP : une agence publique à vocation mondiale
En 1944, à la Libération de Paris, des journalistes résistants créent l’Agence France-Presse (AFP) pour restaurer la crédibilité de l’information. Cette fondation incarne une rupture symbolique avec la propagande de Vichy et des Allemands. L’AFP se veut l’instrument d’une presse libre, au service de la démocratie.
La spécificité de l’AFP réside dans son statut, défini par la loi du 10 janvier 1957. Cette loi en fait un organisme autonome, doté d’un conseil d’administration où siègent des représentants de l’État, de la presse et du personnel. L’État reste un client majeur de l’agence, mais il ne peut en aucun cas orienter la ligne éditoriale. Ce statut garantit donc une indépendance éditoriale, à égale distance des pressions politiques et des intérêts commerciaux.
L’AFP est aujourd’hui l’une des trois grandes agences mondiales, aux côtés d’Associated Press (AP) et de Reuters. Elle est toutefois la première en nombre de journalistes et de bureaux (environ 1 500 journalistes dans 150 pays), même si ses concurrentes anglo-saxonnes disposent de moyens économiques supérieurs. Sa couverture d’événements majeurs – la chute du mur de Berlin en 1989, les attentats du 11 septembre 2001, ou encore la guerre en Ukraine depuis 2022 – montre son rôle central dans la circulation mondiale de l’information.
À retenir
L’AFP, créée en 1944, rompt avec la propagande de Vichy. La loi de 1957 garantit son indépendance éditoriale, et son vaste réseau international lui donne une place unique dans le trio mondial des agences.
Indépendance et crédibilité : un équilibre fragile
L’histoire d’Havas et de l’AFP met en lumière une question centrale : comment assurer l’indépendance de l’information dans un monde où elle est à la fois un produit de marché et un outil politique ?
L’AFP doit composer avec une double dépendance : ses revenus proviennent des abonnements des médias, mais aussi de contrats passés avec l’État. Ce modèle hybride suscite régulièrement des débats, mais il a le mérite d’assurer la stabilité financière de l’agence tout en protégeant sa liberté éditoriale.
Pour défendre sa crédibilité, l’AFP mise sur la vérification rigoureuse de ses dépêches. Depuis 2017, elle a créé AFP Factuel, un service de fact-checking dédié à la lutte contre les fake news, en particulier sur les réseaux sociaux. Cette initiative montre que, dans un contexte de désinformation massive, l’agence cherche à rester un repère de fiabilité et de neutralité.
À retenir
L’AFP doit préserver son indépendance face aux pressions économiques et politiques. Avec AFP Factuel, elle lutte contre les fake news et renforce sa crédibilité dans l’écosystème numérique.
Conclusion
De l’Agence Havas au XIXe siècle à l’AFP aujourd’hui, l’histoire des agences de presse illustre la tension permanente entre marché et État dans la circulation de l’information. Havas, pilier de la presse de masse, a été rattrapée par la propagande sous Vichy, ce qui a rendu nécessaire la création d’une agence nouvelle à la Libération. L’AFP, grâce à son statut de 1957, reste un modèle singulier : autonome, indépendante éditorialement et dotée du premier réseau mondial de journalistes.
Couvrant les grands événements de l’histoire contemporaine, de Berlin 1989 à l’Ukraine 2022, elle demeure un acteur incontournable. À l’ère des réseaux sociaux et de la surabondance de contenus, son rôle est essentiel : garantir une information fiable, crédible et indépendante, condition indispensable au fonctionnement des démocraties.