Introduction
Le 2 août 1990, l’Irak de Saddam Hussein envahit et annexe le Koweït, petit État pétrolier du Golfe Persique. Bagdad justifie cette agression par des griefs économiques (accusant le Koweït de faire baisser les prix du pétrole au détriment de l’économie irakienne) et territoriaux (revendication historique sur l’ensemble du territoire koweïtien). Cette invasion constitue une violation manifeste de la souveraineté d’un État membre de l’ONU et du droit international. Elle déclenche une réponse rapide et coordonnée de la communauté internationale, qui aboutit à la guerre du Golfe de 1991. Cette guerre, menée sous mandat onusien, inaugure une décennie de tensions persistantes avec l’Irak, suivie en 2003 d’une nouvelle intervention militaire occidentale, cette fois sans autorisation du Conseil de sécurité. L’ensemble de ces événements éclaire les tensions entre légalité internationale, puissance militaire et stabilité régionale à l’ère post-guerre froide.
La guerre du Golfe de 1991 : une guerre interétatique sous mandat de l’ONU
L’annexion du Koweït par l’Irak est unanimement condamnée par le Conseil de sécurité de l’ONU. Celui-ci adopte plusieurs résolutions, dont la résolution 678 (novembre 1990), qui autorise les États membres à employer « tous les moyens nécessaires » pour restaurer la souveraineté du Koweït si l’Irak ne se retire pas avant le 15 janvier 1991. Cette décision fonde juridiquement l’intervention militaire.
Une coalition internationale se forme sous l’égide des États-Unis, réunissant une trentaine de pays, dont la France, le Royaume-Uni, l’Arabie saoudite et l’Égypte. L’opération militaire, nommée Tempête du désert, commence le 17 janvier 1991 par une campagne aérienne massive, suivie d’une offensive terrestre lancée le 24 février. En quatre jours, les forces irakiennes sont repoussées et le Koweït est libéré.
Ce conflit correspond à un modèle classique de guerre interétatique, opposant deux armées régulières pour le contrôle d’un territoire. Il est également marqué par une action multilatérale coordonnée. Il consacre le rôle des États-Unis comme puissance dominante dans un nouvel ordre unipolaire, caractérisé par leur suprématie militaire, diplomatique et technologique après la fin de la guerre froide.
Toutefois, la coalition décide de ne pas entrer à Bagdad : le mandat de l’ONU ne prévoyait que la libération du Koweït. Saddam Hussein reste au pouvoir, ce qui prépare une phase prolongée de tensions entre l’Irak et la communauté internationale.
À retenir
La guerre du Golfe de 1991 est une guerre interétatique menée dans un cadre multilatéral et légal, qui révèle à la fois la capacité d’action collective de l’ONU et les limites d’un mandat militaire volontairement restreint.
Une décennie de tensions : surveillance, sanctions et instabilité humanitaire
Après le cessez-le-feu, le Conseil de sécurité adopte la résolution 687 (avril 1991), imposant des sanctions économiques à l’Irak et conditionnant leur levée au démantèlement de ses armes de destruction massive (ADM). Une Commission spéciale (UNSCOM) est créée pour contrôler le désarmement du régime.
Saddam Hussein adopte une posture de confrontation, alternant coopération partielle et blocages. Ce comportement alimente les soupçons des États-Unis et du Royaume-Uni, qui accusent le régime de dissimulation. En réponse, des frappes aériennes sont menées ponctuellement (comme l’opération Desert Fox en 1998), sans mandat explicite du Conseil de sécurité, ce qui soulève des critiques sur leur légalité. Plusieurs membres permanents du Conseil, dont la France, dénoncent ces interventions comme contraires au droit international.
La population irakienne subit quant à elle les conséquences humanitaires des sanctions. L’économie s’effondre, les infrastructures sont dégradées, et les pénuries de médicaments et de nourriture provoquent une crise sanitaire majeure. Pour répondre à cette situation, le programme Pétrole contre nourriture est mis en place par l’ONU en 1996. Ce dispositif exceptionnel permet à l’Irak de vendre du pétrole sous supervision onusienne afin de financer l’achat de produits de première nécessité, sans mettre fin à l’embargo. Bien qu’il atténue en partie la crise, le programme est entaché de scandales de corruption.
Par ailleurs, le pays connaît plusieurs soulèvements internes, notamment chez les Kurdes au nord et les chiites au sud, durement réprimés par le régime. Les puissances occidentales instaurent des zones d’exclusion aérienne pour protéger ces populations, sans mandat explicite du Conseil de sécurité, ce qui alimente la perception d’un usage sélectif et controversé du droit international.
À retenir
L’après-guerre de 1991 est marqué par une décennie de sanctions sévères, de tensions diplomatiques et de crises humanitaires, sur fond d’actions militaires controversées menées sans mandat clair de l’ONU.
La guerre de 2003 : rupture du multilatéralisme et transition vers un conflit asymétrique
En 2003, les États-Unis et le Royaume-Uni décident d’intervenir militairement en Irak pour renverser Saddam Hussein. Ils invoquent la résolution 1441 (novembre 2002), qui accuse l’Irak de violations répétées de ses obligations de désarmement. Toutefois, cette résolution ne prévoit pas explicitement l’usage automatique de la force. Plusieurs États membres du Conseil de sécurité — notamment la France, la Russie et la Chine — estiment qu’une nouvelle résolution autorisant une intervention militaire est nécessaire. En l’absence d’un tel accord, l’intervention de mars 2003 est lancée sans mandat onusien. En septembre 2004, Kofi Annan, Secrétaire général de l’ONU, déclare que cette guerre est contraire au droit international.
Le régime de Saddam Hussein est rapidement renversé, mais l’occupation qui suit (2003-2011) se révèle chaotique. L’administration américaine dissout l’armée irakienne et démantèle les institutions du régime baassiste, plongeant le pays dans un vide sécuritaire. Des insurrections éclatent, menées par divers groupes sunnites et chiites, marquant l’entrée dans une guerre asymétrique : les forces d’occupation font face à des guérillas urbaines, à des attentats-suicides et à des actes terroristes menés par des acteurs non étatiques.
À partir de 2006, le conflit prend la forme d’une guerre civile interconfessionnelle, opposant principalement milices sunnites et chiites, sur fond de rivalités communautaires exacerbées par l'effondrement de l’État central.
Cette instabilité prolongée ouvre la voie à l’émergence de nouveaux acteurs violents. Al-Qaïda en Irak se développe dès les années 2000, et, dans la décennie suivante, une partie de ses combattants fonde l’État islamique (Daech). Ce groupe tire profit du chaos en Irak mais aussi de la guerre civile en Syrie, déclenchée en 2011, pour prendre le contrôle de vastes territoires à partir de 2013.
À retenir
La guerre de 2003, non autorisée par l’ONU, marque une rupture du multilatéralisme. Elle transforme l’Irak en théâtre d’un conflit asymétrique puis interconfessionnel, avec des conséquences régionales majeures et durables.
Conclusion
La guerre du Golfe de 1991 est souvent présentée comme un exemple d’intervention multilatérale encadrée par le droit international. Toutefois, ses prolongements révèlent les tensions croissantes entre légalité, légitimité et usage de la force. La décennie suivante, marquée par les sanctions et les interventions militaires sans mandat explicite, affaiblit la crédibilité du système onusien. L’intervention de 2003, lancée sans autorisation du Conseil de sécurité, consacre la fracture du multilatéralisme et précipite l’Irak dans le chaos. Le pays devient alors le théâtre de conflits asymétriques, de violences communautaires et d’une instabilité régionale durable. Ces événements illustrent l’incapacité des puissances à concilier la sécurité collective avec le respect du droit international, et mettent en lumière les risques liés à l’instrumentalisation politique de ce dernier.
