Finalités, méthodes et extension de l’école au tournant du XXᵉ siècle

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Dans cette leçon, tu analyses comment l’école devient, entre 1880 et 1920, un enjeu central entre formation du citoyen, adaptation économique et épanouissement personnel. Tu explores aussi l’essor de pédagogies actives et les luttes pour l’égalité d’accès à l’instruction. Mots-clés : école républicaine, lois Ferry, éducation nouvelle, Montessori, égalité scolaire, instruction obligatoire.

Introduction

Entre 1880 et 1920, l’école devient un enjeu central dans les sociétés occidentales en pleine mutation. L’industrialisation, l’urbanisation, la démocratisation politique et l’essor des sciences posent des questions nouvelles : à quoi doit servir l’école dans un monde moderne ? Faut-il former des travailleurs, des citoyens ou des individus épanouis ? Ces interrogations nourrissent une réflexion intense sur les finalités de l’instruction, ses méthodes pédagogiques, son organisation et son extension à toute la population.

En Europe et en Amérique, de nombreux penseurs et réformateurs proposent des modèles éducatifs adaptés aux sociétés modernes. L’école devient un lieu de tension entre tradition et innovation, entre transmission culturelle et transformation sociale. Cette période marque ainsi un moment fondateur dans la construction des systèmes éducatifs contemporains.

À quoi sert l’école ? Trois finalités en tension

À cette époque, les débats sur l’école tournent autour de trois grandes finalités :

  • La première est civique et républicaine : l’école doit former des citoyens instruits, respectueux des lois et des valeurs communes. En France, cette vision s’incarne dans les lois Ferry de 1881-1882, qui rendent l’école gratuite, laïque et obligatoire. L’instruction vise à transmettre la langue nationale, l’histoire, la morale laïque et les principes de la République. L’école est perçue comme un outil d’unification et de consolidation politique.

  • La deuxième finalité est économique et sociale. Avec l’industrialisation, les États ont besoin d’une main-d’œuvre formée, disciplinée, capable de s’adapter. L’école devient alors un moyen d’insertion professionnelle et de mobilité sociale, en particulier pour les enfants des classes populaires. Elle doit transmettre des savoirs techniques, des compétences de base et une forme de discipline intérieure.

  • La troisième vision est humaniste et psychologique. Elle met l’accent sur le développement global de la personne : l’école doit favoriser l’éveil de la pensée, de la sensibilité, de l’autonomie. Le philosophe américain John Dewey affirme ainsi que l’école n’est pas seulement un lieu de transmission de contenus, mais un lieu d’expérience vivante, où l’élève apprend à résoudre des problèmes, à coopérer, à comprendre le monde. Il ne rejette pas la transmission des savoirs, mais critique sa forme figée et autoritaire.

À retenir

L’école est à la fois un lieu de formation du citoyen, de préparation à la vie économique, et de développement personnel. Ces fonctions coexistent et entrent parfois en tension dans les réformes de cette période.

Quelles méthodes adopter ? La critique du modèle traditionnel

Au tournant du siècle, de nombreux pédagogues dénoncent les méthodes d’enseignement classiques, jugées passives, uniformes et déconnectées de la vie réelle. L’enseignement traditionnel repose sur la leçon magistrale, l’apprentissage par cœur, la répétition. Il privilégie l’instruction, c’est-à-dire la transmission de savoirs définis, sans toujours se soucier du sens ou de l’appropriation par l’élève.

Face à cela, le mouvement de l’éducation nouvelle se développe en Europe et en Amérique. Il repose sur une distinction fondamentale : l’instruction vise l’acquisition de savoirs formels, tandis que l’éducation désigne une formation plus large de la personne — intellectuelle, affective, sociale, morale. Pour les réformateurs, l’école doit cesser d’enseigner « contre » l’enfant, et apprendre à le comprendre.

C’est dans cette logique que s’inscrit Maria Montessori, en Italie. À partir de 1907, elle fonde la Casa dei Bambini pour des enfants en difficulté des quartiers pauvres de Rome. Sa méthode repose sur l’observation, le respect du rythme de l’enfant, l’utilisation de matériel auto-correctif, l’autonomie et le silence. Elle développe un environnement pensé pour que l’enfant apprenne par lui-même, en manipulant des objets adaptés.

En Suisse, Édouard Claparède, fondateur de l’Institut Jean-Jacques Rousseau à Genève, applique à la pédagogie les acquis de la psychologie expérimentale. Il propose une éducation centrée sur les besoins de l’enfant, sur l’intérêt spontané et la motivation.

Aux États-Unis, John Dewey défend une pédagogie fondée sur l’expérience concrète, l’enquête, la participation active. Loin de prôner l’abandon des savoirs, il invite à repenser leur mode de transmission, en les rendant vivants, reliés à l’environnement social de l’élève.

À retenir

L’éducation nouvelle critique la passivité de l’enseignement traditionnel et défend une pédagogie active, fondée sur l’expérience, l’autonomie et la prise en compte des besoins de l’enfant. Elle distingue l’instruction comme transmission de savoirs et l’éducation comme formation globale.

Qui doit avoir accès à l’école ? Extension et inégalités

L’un des enjeux majeurs de la période est celui de l’élargissement de l’accès à l’école. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’instruction reste inégalement répartie entre les sexes, les classes sociales et les territoires. Les lois Ferry (1881-1882) changent la donne en France, en rendant l’école gratuite, laïque et obligatoire pour les garçons comme pour les filles jusqu’à 13 ans.

Mais cette universalisation reste partielle. En pratique, les enfants issus des milieux populaires sont souvent orientés vers des filières courtes ou techniques, tandis que les enfants des classes aisées accèdent plus facilement aux études longues. La question de la justice scolaire devient alors centrale : comment assurer une égalité réelle des chances ?

Pour les filles, les progrès sont encore limités. Si Camille Sée fait voter en 1880 une loi créant les lycées de jeunes filles, ces établissements restent distincts de ceux des garçons, avec des programmes moins exigeants, notamment en sciences. Pauline Kergomard, inspectrice générale des écoles maternelles, joue un rôle essentiel dans la reconnaissance de la petite enfance comme moment éducatif à part entière. Elle milite pour une école maternelle fondée sur le respect de l’enfant, la découverte, l’activité libre, plutôt que sur l’instruction prématurée.

Enfin, plusieurs pays commencent à prolonger la durée de la scolarité obligatoire, dans une volonté de lutte contre l’illettrisme, mais aussi d’adaptation aux besoins économiques et sociaux.

À retenir

L’accès à l’école progresse fortement entre 1880 et 1920, mais les inégalités sociales et de genre persistent. Les débats portent sur l’égalité des parcours, l’unification des programmes et la valorisation de l’école pour tous.

Conclusion

Entre 1880 et 1920, l’école devient le cœur d’un débat profond sur les valeurs, les savoirs et la formation humaine. Les réformateurs cherchent à adapter l’instruction aux exigences d’un monde en mutation, tout en repensant ses méthodes, ses publics et ses finalités. Cette période, marquée par l’opposition entre instruction formelle et éducation globale, entre transmission passive et apprentissage actif, éclaire encore les tensions qui traversent les systèmes scolaires d’aujourd’hui.