L’école dans les récits de soi au XIXᵉ siècle

icône de pdf
Signaler
Dans cette leçon, tu explores comment l’école, dans les récits du XIXe siècle, devient un lieu central de formation de soi : entre transmission culturelle, tensions avec l’autorité et éveil à la conscience individuelle. L’école y est à la fois un cadre structurant et un espace de résistance. Mots-clés : école XIXe siècle, récits autobiographiques, Renan, Vallès, Chateaubriand, formation de soi.

Introduction

Au XIXe siècle, l’école devient une réalité incontournable dans les sociétés européennes, à la faveur des grandes réformes éducatives. En France, la loi Guizot (1833) impose une école primaire dans chaque commune, tandis que les lois Ferry (1881-1882) rendent l’instruction gratuite, laïque et obligatoire pour les garçons comme pour les filles. Cette généralisation progressive transforme l’école en une institution centrale de la vie sociale.

Mais l’école n’est pas seulement un espace d’apprentissage : elle devient un lieu de mémoire et un motif littéraire majeur. Dans les récits autobiographiques ou romancés, les souvenirs d’enfance scolaire offrent aux auteurs un moyen de réfléchir à leur formation personnelle, à la manière dont ils ont reçu — ou contesté — l’héritage social, culturel et affectif de leur époque. Les œuvres de Chateaubriand, Renan ou Vallès donnent à voir cette expérience à travers des regards contrastés.

Il faut toutefois souligner que ces récits proviennent essentiellement d’hommes appartenant aux milieux cultivés, et qu’ils ne reflètent ni l’expérience des enfants des classes populaires, ni celle des filles, dont l’accès à l’école restait encore inégal et socialement différencié à cette époque.

L’école comme lieu de transmission structurante

Dans plusieurs récits du XIXe siècle, l’école est décrite comme un lieu de transmission structurée : l’enfant y reçoit non seulement des savoirs (langue, histoire, religion), mais aussi des valeurs, des normes sociales, et une place dans l’ordre établi. Cette transmission suppose une organisation hiérarchique où le maître détient l’autorité et où l’élève doit apprendre à obéir, retenir, réciter.

Dans Souvenirs d’enfance et de jeunesse (1883), Ernest Renan raconte son passage au petit séminaire de Tréguier, où il reçoit une éducation religieuse rigoureuse. Il évoque la discipline, la formation latine, l’atmosphère silencieuse : « J’appris la grammaire latine comme une discipline, et l’obéissance comme une vertu ». Cette école marque profondément son rapport au savoir. Il ne s’en détourne pas radicalement, mais élabore peu à peu une pensée autonome, nourrie par la foi et la science. Ce n’est donc pas une rupture, mais un déplacement intérieur qui s’opère dans la durée.

Cette transmission est dite « structurée » car elle repose sur un cadre institutionnel fort, avec des rituels, des programmes, des examens. En HLP, on parle ici de transmission culturelle organisée, qui façonne à la fois la mémoire et l’identité de l’élève.

À retenir

L’école est perçue comme un lieu de transmission formelle : elle façonne l’intellect et le comportement, mais peut aussi susciter une mise à distance critique. Chez Renan, l’école religieuse devient le point de départ d’une autonomie intellectuelle progressive.

L’école comme lieu de tensions, de conflits et de résistances

Loin d’être un espace harmonieux, l’école peut aussi apparaître comme un lieu de contrainte, de violence symbolique — c’est-à-dire de domination intériorisée par les élèves, qui acceptent des normes scolaires sans en questionner la légitimité (concept développé par Pierre Bourdieu). Certains auteurs en font le théâtre de conflits douloureux entre l’enfant et l’autorité.

C’est le cas dans L’Enfant (1878) de Jules Vallès, où le narrateur, Jacques Vingtras, décrit avec virulence l’école comme un lieu de soumission, de punition et de mépris. Il y subit les coups, l’ennui, les humiliations : « On m’y battait pour ne pas savoir, puis pour avoir su de travers, puis pour avoir su trop lentement ». Mais cette souffrance n’est pas uniquement scolaire : elle est aussi familiale. Le récit dénonce autant la violence parentale que les abus d’autorité dans l’école.

L’école devient ainsi un espace de résistance intime, où l’enfant construit sa personnalité en opposition à ce qu’on lui impose. Il rejette les discours figés, l’apprentissage mécanique, l’injonction à devenir ce qu’il ne souhaite pas être. En HLP, ce type de récit illustre la notion de subjectivité, c’est-à-dire la manière dont l’individu se forme en se confrontant au monde, en construisant son propre regard.

À retenir

L’Enfant montre que la formation de soi peut aussi passer par la révolte. L’école, lieu d’autorité, devient aussi celui d’une affirmation personnelle face à l’injustice et à la violence.

L’école comme seuil entre l’enfance et la société

Dans les récits de soi, l’école marque souvent un seuil : elle fait sortir l’enfant du monde familial et l’introduit dans celui des règles collectives. Ce passage est à la fois spatial (sortir de la maison), symbolique (apprendre à lire, à écrire, à penser) et affectif (se séparer, affronter le regard d’autrui). L’école devient ainsi un lieu de transition vers l’âge adulte et vers l’individuation.

Chez Chateaubriand, dans Mémoires d’outre-tombe, l’école religieuse qu’il fréquente est à la fois dure et fondatrice. Il y découvre le silence, la solitude, la lecture, la rigueur. Ce cadre austère marque un seuil vers l’écriture, vers la mélancolie, vers la mémoire. Plutôt que de décrire une rupture brutale, Chateaubriand montre comment l’école marque un seuil entre le passé familial et l’éveil à la vie intérieure.

Cette scène scolaire joue donc un rôle double : elle inscrit l’enfant dans une histoire collective (langue, religion, culture) tout en lui ouvrant un espace de réflexion personnelle. L’école devient le lieu où l’on commence à se penser soi-même comme sujet, c’est-à-dire comme conscience singulière, capable de juger, de se souvenir, de raconter.

À retenir

Dans ces récits, l’école apparaît comme un passage fondateur entre l’enfance privée et l’entrée dans la société. Elle initie à la fois à la culture collective et à la conscience de soi.

Conclusion

Dans les récits de soi du XIXe siècle, l’école est bien plus qu’un décor : elle est un espace formateur, un lieu de conflit et un seuil symbolique. Qu’elle suscite l’adhésion, la distance ou la révolte, elle participe à la constitution de l’identité individuelle, en articulant les tensions entre autorité, héritage et autonomie. Ces textes révèlent aussi que l’expérience scolaire est historiquement située, socialement marquée et genrée, et qu’elle peut autant façonner le sujet que le pousser à se construire en marge.