Décrire, figurer, imaginer : utopies

Signaler

Légende de la leçon

Vert : définition

Introduction

Le mot « utopie » est un néologisme inventé par l'humaniste et homme d'État anglais Thomas More (1478-1535). Le mot est construit à partir du grec outopos, ou (non, ne pas) et topos (région, lieu). L’utopie est, donc, « ce qui n’est nulle part ». L’utopie peut être comprise de différentes manières, à savoir :

  • un plan imaginaire de gouvernement pour une société future idéale ;
  • un système de conceptions idéalistes des rapports entre l'homme et la société, qui s'oppose à la réalité présente et travaille à sa modification ;
  • ce qui appartient au domaine du rêve, de l'irréalisable.

Il y a dans tous les cas une tension dans l’utopie entre monde réel et monde imaginaire. L’imagination est, donc, particulièrement en jeu.

Objectif : Cette leçon approfondit la notion d’imagination, en particulier lorsqu’elle s’exprime pour créer des utopies. Elle revient sur quatre utopies littéraires et politiques depuis l’Antiquité jusqu'aux Lumières.

I. Utopies antiques

1) Les Champs Élysées et l’âge d'or

Depuis l’Antiquité et bien avant que le mot « utopie » n’existe, les êtres humains imaginent des mondes idéaux, sans guerre, sans faim, où règne l’harmonie.

L’une des plus anciennes mentions d’un tel lieu idéal remonte au VIIIe siècle av. J.-C. Dans l’Odyssée, le poète grec Homère évoque un lieu parfait qu’il nomme « Champs Élysées » et qui serait « tout au bout de la Terre ». Il n’y aurait là plus de maladie ni de vieillesse ; le printemps serait la seule saison. C’est à la fin du XVIIe siècle que le nom « Champs Élysées » a été donné à une avenue parisienne.

Au VIIIe siècle av. J.-C. également, le poète Hésiode, dans son long poème Les travaux et les jours, parle d’un « âge d’or » où les êtres humains n’ont pas besoin de travailler et cohabitent avec les autres créatures et les dieux. Toute la Terre est alors un lieu idyllique d’abondance et de paix. Mais d’autres âges moins paisibles succèdent à l’âge d’or et voient les conditions de vie des hommes se dégrader : l’âge d’argent, l’âge d’airain, l’âge héroïque et l’âge de fer.

Dans l’Odyssée et dans Les travaux et les jours, le lieu idéal est ainsi soit difficile à atteindre, soit perdu : une distance qui permet à l’imagination de se déployer.

2) L’utopie chez Platon

Dans ses dialogues du Timée et du Critias, le philosophe grec Platon (427-347 av. J.-C.) parle de l’Atlantide, une île merveilleuse qui aurait été engloutie sous les eaux car ses habitants, les Atlantes, auraient sombré dans la corruption. Bien que l’existence réelle de cette île n’ait jamais été prouvée, le récit de Platon a nourri l’imagination d’explorateurs et de romanciers pendant des siècles.

Dans La République, premier texte qui pourrait être assimilé à une utopie dans le sens de plan imaginaire pour un système politique parfait, Platon définit la cité idéale. Elle est fondée sur la raison et sur les désirs nécessaires. Le gouvernement est assuré par des philosophes rois, qui sont les plus à même de contrôler la discorde entre les hommes. Platon croit en la réalisation de ce projet politique : la cité parfaite est réalisable.

II. Utopies dès la Renaissance

Nous devons au peintre et architecte italien Giorgio Vasari (1511-1574) le concept de « Renaissance ». Dans son recueil Vies des plus célèbres peintres, sculpteurs et architectes (1568), il nomme « Rinascita » le courant artistique apparu en Italie deux siècles plus tôt, et caractérisé par l’imitation des artistes de l’Antiquité. On situe la Renaissance entre le XIVe siècle et le XVIe siècle.

1) L’utopie de Thomas More

Le mot utopie est inventé par l'humaniste et homme d'État anglais Thomas More (1478-1535). « Utopia » est le nom qu’il donne à une île imaginaire dans un ouvrage éponyme publié en 1516. L’île d’Utopia jouit d'un système social et politique parfait, bien loin des inégalités sociales et de l’intolérance religieuse que Thomas More observe en Angleterre. L’ouvrage se divise en deux parties : la première partie est une conversation entre Thomas More et Raphaël Hythloday, un marin portugais. Cette partie critique l’orgueil, l’accumulation des richesses et autres vices des princes et puissants anglais. La seconde partie est la description de l’île d’Utopia. Les Utopiens, contrairement aux Anglais, « ont la guerre en abomination ».

Thomas More est au cœur des débats de son temps. Il écrit au moment des grandes explorations maritimes européennes et de la découverte de l’Amérique. Pour décrire l’île d’Utopia, il s’inspire de la cité idéale de Platon et des notes de voyages des navigateurs du Nouveau Monde.

L’humaniste est lui-même très engagé dans la vie politique. Il devient chancelier du Roi d’Angleterre. Ne réussissant pas à réformer l'État, il démissionne de son poste, puis refuse de reconnaître le roi Henri VIII comme chef suprême de l’Église d’Angleterre, ce qui lui vaut d’être décapité.

2) L'An 2440, Rêve s’il en fut jamais de Louis Sébastien Mercier

Le voyage dans l’espace mais aussi dans le temps suscite l’imagination et la construction d’un autre monde possible.

Louis Sébastien Mercier (1740-1814) est un philosophe, homme politique et romancier connu pour ses chroniques de la vie parisienne du XVIIIe siècle. Outre ses chroniques et nombreuses critiques littéraires, Mercier a publié un roman d’anticipation qui est aussi une utopie : L’An 2440, Rêve s’il en fut jamais (1771), dans lequel il prédit le renversement de la Bastille et la création de la République. Dans ce roman dont il est le héros, Mercier s’endort et se réveille sept siècles plus tard en l’an 2440, dans un Paris sans inégalités sociales. L’auteur passe par le rêve, puis la promenade dans la ville, pour imaginer un autre monde possible.

Dans l’extrait suivant, il critique (en ancien français) le culte des apparences en cours à son époque, et qui a disparu en 2440 :

« Les choses me paroissent un peu changées, dis-je à mon guide ; je vois que tout le monde est vêtu d'une manière simple et modeste, et depuis que nous marchons je n'ai pas encore rencontré sur mon chemin un seul habit doré : je n'ai distingué ni galons, ni manchettes à dentelles. De mon tems un luxe puéril et ruineux avoit dérangé toutes les cervelles ; un corps sans ame étoit surchargé de dorure, et l'automate alors ressembloit à un homme.

— C'est justement ce qui nous a portés à mépriser cette ancienne livrée de l'orgueil. Notre œil ne s'arrête point à la surface. Lorsqu'un homme s'est fait connoitre pour avoir excellé dans son art, il n'a pas besoin d'un habit magnifique ni d'un riche ameublement pour faire passer son mérite ; il n'a besoin ni d'admirateurs qui le prônent, ni de protecteurs qui l'étayent1 : ses actions parlent, et chaque citoyen s'intéresse à demander pour lui la récompense qu'elles méritent. Ceux qui courent la même carrière que lui sont les premiers à solliciter en sa faveur. Chacun dresse un placet2, où sont peints3 dans tout leur jour les services qu'il a rendus à l'État. »

Conseils pour une bonne lecture

Change les « oi » en « ai ». Exemple : « paroissent » en « paraissent ».

1 - étayent : étaient

2 - placet : écrit adressé à un roi, à un ministre pour se faire accorder une grâce, une faveur

3 - retranscrits, écrits