L'homme et l'animal : l’homme au centre de la création

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Dans cette leçon, tu verras comment la Renaissance et les Lumières ont repensé la place de l’homme dans la nature. De Pic de la Mirandole à Rousseau, de Descartes à Buffon, les penseurs exaltent la dignité humaine tout en découvrant la complexité du vivant et la proximité avec l’animal, ouvrant la voie aux débats modernes sur l’écologie et le spécisme. Mots-clés : Renaissance, Lumières, humanisme, Descartes, Buffon, homme et animal.

Introduction

La Renaissance (XVe-XVIe siècles) et les Lumières (XVIIIe siècle) redéfinissent profondément la place de l’homme dans l’univers.

La Renaissance, nourrie par la redécouverte de l’Antiquité, l’essor de l’imprimerie et le développement des sciences (anatomie, astronomie, perspective), met l’accent sur la dignité et la liberté humaines : l’homme est conçu comme le centre capable de comprendre et d’ordonner la nature.

Aux Lumières, cette centralité est confirmée par la philosophie et la classification scientifique, mais elle est aussi discutée à mesure que s’affirme la reconnaissance de la complexité du vivant. Entre affirmation de la grandeur humaine et interrogation sur ses limites, ces époques élaborent une pensée qui place l’homme au cœur de la nature tout en le confrontant à sa parenté avec l’animal.

La Renaissance : humanisme et supériorité humaine

L’humanisme célèbre la grandeur de l’homme. Dans son Discours sur la dignité de l’homme (1486), Pic de la Mirandole affirme que Dieu a donné à l’homme la liberté de se définir : « Nous t’avons fait ni céleste, ni terrestre, ni mortel, ni immortel, afin que, comme libre et honorable artisan, tu te formes et te sculptes toi-même. » L’homme est pensé comme un microcosme, reflet de l’univers, et comme un être « intermédiaire » capable de dépasser toutes les créatures par sa raison et son libre arbitre.

Les arts et les sciences renforcent cette exaltation. L’invention de la perspective en peinture montre la capacité humaine à organiser l’espace. L’astronomie (Copernic, Galilée) reconfigure la place de l’homme dans l’univers, non plus comme centre physique mais comme centre de connaissance. L’anatomie de Vésale (De humani corporis fabrica, 1543) révèle la complexité du corps humain. L’imprimerie diffuse ces savoirs, affirmant que l’homme est maître de la nature par la science et la culture.

Pourtant, Montaigne, dans l’« Apologie de Raymond Sebond » (1580), adopte un scepticisme inspiré de Pyrrhon et de Sextus Empiricus. Il critique la hiérarchie aristotélicienne entre l’homme et l’animal : « Quand je me joue à ma chatte, qui sait si elle ne se joue pas plus de moi que je ne fais d’elle ? » Par l’ironie et l’antithèse, il rappelle que l’homme doit faire preuve d’humilité : l’animal n’est pas aussi inférieur qu’on le prétend.

À retenir

La Renaissance exalte la dignité humaine par les arts, les sciences et la philosophie, mais Montaigne invite à relativiser cette centralité en rappelant la proximité entre l’homme et l’animal.

Les Lumières : l’animal-machine et la supériorité humaine

Descartes affirme la spécificité de l’homme par sa raison et son langage articulé. Dans sa Lettre au marquis de Newcastle (1646), il écrit que les animaux « crient sans parler », car leurs sons ne composent pas de discours nouveaux. Cette incapacité prouve, selon lui, qu’ils n’ont pas d’âme pensante. Les bêtes sont donc des automates, tandis que l’homme, capable d’inventer des phrases, manifeste une pensée consciente. Cette distinction sert à justifier la domination de l’homme sur les autres vivants. Malebranche, dans La Recherche de la vérité (1674), reprend cette thèse en niant même la souffrance animale.

Au XVIIIe siècle, Buffon développe une approche plus nuancée. Dans son Histoire naturelle (1749-1788), il classe l’homme parmi les animaux tout en affirmant sa supériorité intellectuelle et morale. Dans sa description du cheval, il écrit : « Le cheval partage les fatigues et les dangers de l’homme ; il participe à ses plaisirs comme à ses travaux. » Par son style littéraire, Buffon humanise l’animal, mais conclut que seule l’intelligence confère à l’homme la maîtrise et la gloire. Contrairement à Linné (Systema naturae, 1735), qui propose une classification stricte et fixe, Buffon rejette cette rigidité et insiste sur la variabilité et l’histoire des espèces, annonçant une pensée pré-évolutionniste.

À retenir Descartes et Malebranche affirment la supériorité absolue de l’homme par la raison et le langage. Buffon rapproche l’homme des animaux mais affirme sa grandeur par l’intelligence, tout en pressentant la diversité évolutive du vivant.

La découverte de la complexité du vivant

Les Lumières révèlent peu à peu la continuité homme/animal.

La Mettrie, dans L’Homme-machine (1748), soutient que l’homme est un mécanisme perfectionné, fruit d’une matière organisée. Cette thèse matérialiste, jugée scandaleuse, ouvre la voie à une pensée pré-darwinienne.

Rousseau, dans son Discours sur l’inégalité (1755), rapproche l’homme de l’animal par la pitié naturelle et l’instinct de conservation. Mais il insiste sur la perfectibilité, capacité à se transformer à l’infini. Cette faculté rend l’homme supérieur, mais aussi fragile : elle engendre la corruption sociale et les inégalités.

Diderot, dans le Rêve de d’Alembert (1769), imagine une matière sensible et vivante : l’homme n’est pas séparé des animaux par une âme immatérielle, mais par un degré supérieur d’organisation. Cette conception vitaliste prépare une vision moderne de la biologie.

À retenir

La Mettrie, Rousseau et Diderot relativisent la frontière homme/animal. Ils insistent sur la diversité du vivant, tout en redéfinissant la spécificité humaine.

Littérature et imagination critique : l’animal comme miroir

La littérature met en scène l’animal pour réfléchir sur l’homme.

La Fontaine, héritier d’Ésope et de Phèdre, utilise les animaux dans ses Fables (1668-1694) pour représenter les rapports sociaux. Dans « Le Loup et l’Agneau », le discours direct transforme un simple récit en procès truqué : « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. » La moralité dénonce la loi du plus fort, miroir des injustices humaines.

Voltaire, dans Micromégas (1752), use de la satire philosophique : deux géants venus d’autres planètes ridiculisent l’orgueil humain en découvrant la petitesse de la Terre. Dans Candide (1759), les scènes de cruauté infligée aux animaux prolongent la critique de la barbarie.

Buffon, par son style poétique dans l’Histoire naturelle, humanise les animaux par des métaphores, mais conclut à la supériorité humaine. Montaigne, enfin, avait déjà montré par son scepticisme que l’animal relativise l’orgueil humain.

À retenir

La littérature et la science exploitent l’animal comme miroir : La Fontaine dénonce l’injustice, Voltaire critique l’orgueil, Buffon et Montaigne relativisent l’anthropocentrisme par l’écriture.

Conclusion

De la Renaissance aux Lumières, l’homme est affirmé comme le centre de la création : libre et raisonnable pour Pic de la Mirandole, supérieur par la raison et le langage chez Descartes, distinct par l’intelligence et la perfectibilité selon Buffon et Rousseau. Mais ces époques découvrent aussi la complexité du vivant : Montaigne critique l’anthropocentrisme, Diderot et La Mettrie imaginent une continuité entre homme et animal, Buffon valorise la variabilité des espèces.

Cette double dynamique fonde une pensée moderne : l’homme, tout en se voulant centre de la création, prend conscience de sa parenté avec l’animal et de la richesse du vivant — débat prolongé aujourd’hui par l’écologie, la défense des animaux et la critique du spécisme.