Décrire, figurer, imaginer : (d)écrire le monde

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Dans cette leçon, tu découvres comment, de la Renaissance aux Lumières, sciences et littérature ont transformé la façon de représenter et d’imaginer le monde. De la perspective en peinture à l’astronomie, des Essais de Montaigne aux contes philosophiques de Voltaire, savants et écrivains inventent de nouvelles manières de penser l’univers et l’humanité. Mots-clés : Renaissance, Lumières, Montaigne, Voltaire, représentation du monde, littérature et sciences.

Introduction

À la Renaissance et aux Lumières, l’Europe entreprend de décrire, de figurer et d’imaginer le monde. Les découvertes géographiques et scientifiques bouleversent les représentations de l’univers, tandis que la littérature invente de nouveaux récits pour explorer l’exotisme et interroger l’humanité.

Des savants comme Copernic en Pologne ou Buffon en France, des artistes comme Raphaël en Italie, et des écrivains comme Montaigne, Rabelais, Montesquieu ou Voltaire, transforment la manière de penser et d’écrire le monde. Leurs œuvres combinent observation rationnelle et invention poétique, donnant naissance à une vision moderne et critique de l’univers.

Sciences et arts visuels : un monde inventorié et figuré

La Renaissance met en place un nouvel idéal de représentation. En Italie, Alberti, dans De la peinture (1435, Florence), définit les règles de la perspective. Dürer, à Nuremberg, les applique et les diffuse dans ses traités, reliant art et mathématiques. La composition de L’École d’Athènes de Raphaël (1511, Vatican, Rome) illustre ce bouleversement : les lignes de fuite convergent vers Platon et Aristote, placés au centre, donnant à l’espace une cohérence géométrique et à la scène une valeur symbolique, où la perspective ordonne à la fois l’espace et la pensée.

Les cartes et atlas, comme ceux de Mercator aux Pays-Bas (XVIe siècle), fixent une image rationalisée d’un monde en expansion. La cartographie est un savoir scientifique mais aussi un instrument politique, lié à l’expansion coloniale.

L’astronomie reconfigure l’univers. En Pologne, Copernic, dans De revolutionibus (1543, Nuremberg), propose l’héliocentrisme. En Italie, Galilée, dans son Dialogue (1632, Florence), soutient cette vision et observe le ciel avec la lunette. Ces découvertes déplacent la place de l’homme dans le cosmos.

Aux Lumières, les sciences systématisent ce mouvement. En France, Buffon, au Jardin du roi à Paris, publie son Histoire naturelle (1749-1788), immense tentative de classification du vivant. Diderot et d’Alembert, à Paris, dirigent l’Encyclopédie, véritable carte intellectuelle des savoirs. Dans le monde anglophone et germanique, les voyages scientifiques de Cook (Grande-Bretagne, Pacifique, années 1770) ou de Humboldt (Prusse, Amérique latine, début XIXᵉ siècle) associent description méthodique, mesures et curiosité encyclopédique.

À retenir

Perspective en peinture, cartographie, astronomie, encyclopédies et récits de voyage illustrent une même ambition : ordonner et représenter l’univers. Les images comme les textes cherchent à rendre visible la complexité du monde.

Littérature : observer, critiquer et imaginer

La littérature, en France en particulier, intègre ce mouvement tout en le déplaçant vers la critique et la fiction.

Montaigne, dans ses Essais (France, 1588), s’appuie sur les récits des explorateurs. Dans « Des Cannibales » (I, 31), il écrit : « Il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. » Le ton est calme, raisonné, construit par une antithèse entre apparence et jugement. La métaphore de la « barbarie » renversée donne à voir l’ethnocentrisme comme illusion. Dans « Des Coches » (III, 6), Montaigne adopte un rythme scandé et un lexique accusateur (« tant d’innocentes personnes, tant de villes rasées ») qui confère à sa critique de la conquête une force oratoire. Depuis son Périgord, il relit la découverte de l’Amérique à la lumière des guerres de religion françaises, en dénonçant la violence et la cupidité européennes.

Rabelais, à Lyon et Paris, dans Le Quart Livre (1552), imagine les voyages de Pantagruel et Panurge vers des îles fabuleuses. L’humour et l’exagération relèvent du registre comique, mais la construction en épisodes de rencontres satiriques critique les institutions de son temps. La fiction voyageuse s’inscrit ainsi dans l’humanisme français : inventer des mondes pour mieux réfléchir sur le nôtre.

Le baron de Lahontan, officier français en Nouvelle-France (Canada), publie à La Haye ses Dialogues avec un sauvage (1703, réédition 1704). Il met en scène un personnage amérindien, Adario, largement fictionnalisé. Le texte, construit sur des antithèses et un ton polémique, critique la religion et les inégalités européennes. Mais la parole prêtée à l’Autre reste une invention européenne, inscrite dans un cadre colonial.

Montesquieu, en France, dans ses Lettres persanes (1721), adopte le registre ironique. Par le regard étranger de deux Persans, il fait ressortir les contradictions de la monarchie et des mœurs françaises. L’écriture épistolaire, fragmentée, donne un rythme vif et varié, qui multiplie les angles de vue et invite à la critique.

Aux Lumières, l’imagination prend aussi la forme de l’utopie et du conte philosophique. Marivaux, dans L’Île des esclaves (1725, Paris), utilise la fiction théâtrale pour inverser les rapports sociaux et réfléchir sur l’égalité. Voltaire, dans Micromégas (1752, Paris), imagine des voyageurs venus d’autres planètes, recourant à l’hyperbole et à l’ironie pour ridiculiser les prétentions humaines. Ces œuvres montrent que « figurer » et « imaginer » le monde ne se limite pas à le décrire : il s’agit aussi de créer des expériences intellectuelles nouvelles.

À retenir

La littérature de la Renaissance et des Lumières mêle observation, critique et invention. Montaigne analyse et dénonce, Rabelais invente des voyages satiriques, Lahontan et Montesquieu utilisent l’altérité fictive comme miroir, tandis que Marivaux et Voltaire explorent l’utopie et le conte philosophique.

Conclusion

De la Renaissance aux Lumières, sciences et littérature participent d’un même projet : décrire, figurer et imaginer le monde. En Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Pologne, en France ou en Angleterre, savants et artistes réinventent les représentations par la perspective, la cartographie et l’astronomie. En France, écrivains et philosophes — de Montaigne à Voltaire, de Rabelais à Montesquieu et Marivaux — utilisent la description, l’ironie et l’imagination pour interroger l’homme et ses sociétés.

Ces textes et représentations inaugurent une vision d’un monde ouvert et divers, à la fois rationnellement ordonné et poétiquement réinventé. Leur héritage se prolonge dans les débats contemporains : la critique de l’ethnocentrisme, les discussions sur le multiculturalisme, la décolonisation du savoir et les tensions autour de l’universalisme rappellent que représenter et imaginer le monde est aussi une manière de définir la place de l’humanité en son sein.