L'art de la parole : XVIe et XVIIe, des siècles bavards

icône de pdf
Signaler
Dans cette leçon, tu plonges dans les « siècles bavards » où la parole règne : au XVIᵉ siècle, elle devient arme poétique, philosophique et religieuse, puis au XVIIᵉ siècle, elle s’impose dans les sermons, les tribunaux, la politique, le théâtre et les salons. Tu découvres comment logos, pathos et ethos structurent l’éloquence et lui donnent sa puissance. Mots-clés : rhétorique, éloquence, XVIᵉ siècle, XVIIᵉ siècle, logos pathos ethos, art oratoire.

Introduction

Imagine une France déchirée par les guerres de religion : les églises résonnent des prédications de pasteurs et de prêtres, tandis que les poètes et les penseurs s’adressent au roi ou au peuple pour tenter de conjurer la crise. Un siècle plus tard, les foules se pressent pour écouter Bossuet, les tribunaux vibrent aux plaidoyers des avocats, les salons aristocratiques raffinent l’art de la conversation, et les théâtres retentissent des grandes tirades de Corneille et Racine.

Du XVIe au XVIIe siècle, la parole est omniprésente : elle instruit, persuade, divertit et gouverne. Ces « siècles bavards » sont un âge d’or de l’éloquence, où la rhétorique devient à la fois instrument de persuasion, art social et outil de pouvoir.

Le XVIe siècle : éloquence humaniste et paroles de combat

Le XVIe siècle est marqué par la renaissance de l’éloquence et par la violence des controverses religieuses. Ronsard, chef de la Pléiade, incarne la parole poétique et politique. Dans son Discours des misères de ce temps (1562), il interpelle Charles IX : « France, mère des arts, des armes et des lois… » Ce poème dénonce les violences des guerres de religion et illustre comment la poésie devient un discours civique.

Montaigne, dans ses Essais, invente une parole écrite qui garde la spontanéité de la conversation. Il ne démontre pas comme un philosophe scolastique : il dialogue avec son lecteur, organisant sa pensée à travers une parole vivante. Étienne de La Boétie, dans son Discours de la servitude volontaire, compose une adresse fictive au peuple : jamais prononcé à l’époque, ce texte prend la forme d’un discours et dénonce la soumission volontaire aux tyrans. Sa rhétorique repose sur des formules simples mais puissantes : « Soyez résolus de ne plus servir, et vous voilà libres. »

La parole religieuse est aussi un instrument de lutte. Les guerres de religion voient s’opposer sermons catholiques et protestants. Théodore de Bèze, successeur de Calvin, fait de la prédication un outil de persuasion, où l’art oratoire sert à consolider la foi et à organiser la communauté croyante.

À retenir

Au XVIe siècle, la parole est poétique (Ronsard), philosophique (Montaigne, La Boétie) et religieuse (Bèze). Elle structure la pensée et devient un instrument de combat.

Le XVIIᵉ siècle : l’âge de l’éloquence

Au XVIIe siècle, l’art oratoire envahit tous les espaces publics et privés. Dans l’Église, des prédicateurs comme Bossuet marquent les esprits. Son Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre bouleverse l’auditoire par son pathos dramatique (« Madame se meurt ! Madame est morte ! »), tandis que l’Oraison funèbre du Grand Condé exalte la gloire héroïque dans un registre plus solennel. Bourdaloue, quant à lui, séduit par une éloquence plus rigoureuse, jouant sur le logos (la logique et la clarté des arguments).

L’éloquence judiciaire connaît aussi un grand rayonnement. Des avocats comme Omer Talon ou Antoine Le Maistre s’illustrent par leurs plaidoyers : il s’agit de convaincre les juges mais aussi de frapper l’opinion publique par la clarté du raisonnement et la force des images.

La parole politique prend une forme particulière. Richelieu, par ses Harangues et son Testament politique, illustre une éloquence d’État : ses discours et ses écrits servent moins à émouvoir un auditoire qu’à affirmer l’autorité monarchique et à orienter la vie politique. La parole devient ici un instrument de gouvernement, plus institutionnel que véritablement oratoire.

Mais le théâtre classique est sans doute la plus éclatante vitrine de la puissance persuasive de la parole. Corneille, dans Le Cid ou Horace, donne à ses personnages de longues tirades où l’argumentation se mêle à la passion : Rodrigue proclame « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », formule devenue emblématique d’un idéal héroïque. Racine, dans Phèdre ou Athalie, joue au contraire sur le pathos, suscitant la pitié et la terreur par une parole épurée et d’une intensité dramatique rare. La tragédie classique est ainsi une école de rhétorique, où les spectateurs apprennent à sentir et à juger par la parole.

Enfin, la vie mondaine valorise la conversation comme un art en soi. L’idéal de l’honnête homme, nourri par Castiglione (Le Livre du courtisan) puis relayé par Méré et La Rochefoucauld, fait de la parole polie, mesurée et élégante un signe de distinction. Madame de Sévigné, dans ses lettres, transpose cet art dans l’écriture : sa correspondance, vivante et spirituelle, conserve le ton d’une conversation brillante.

Il ne faut pas oublier l’importance de la rhétorique scolaire : dans les collèges jésuites, les élèves apprennent à composer et déclamer des discours, et les concours d’éloquence attirent un large public. L’éducation classique, fondée sur l’exercice oratoire, forme ainsi des générations entières au maniement de la parole.

À retenir

Le XVIIe siècle fait de la parole un outil de religion (Bossuet, Bourdaloue), de justice (Talon, Le Maistre), de politique (Richelieu), de théâtre (Corneille, Racine) et de sociabilité (salons, lettres, collèges).

Logos, pathos et ethos : les ressorts de l’éloquence

Comme l’avait montré Aristote, tout discours repose sur trois dimensions. Le logos correspond à l’organisation rationnelle du discours : un sermon ou un plaidoyer convainc parce qu’il avance des preuves solides et des raisonnements clairs.

Le pathos est l’émotion suscitée chez l’auditoire : Bossuet touche les cœurs par le tragique de ses oraisons, Racine émeut par la souffrance de ses personnages.

L’ethos est l’image de l’orateur lui-même : Bourdaloue impose confiance par sa rigueur, Richelieu par son autorité politique, Corneille par l’idéal moral qu’incarnent ses héros. Ces trois dimensions expliquent pourquoi la parole, loin d’être neutre, engage toujours la raison, le sentiment et la crédibilité.

À retenir

L’éloquence est efficace lorsqu’elle unit logos (raison), pathos (émotion) et ethos (crédibilité), trois forces qui structurent la parole depuis l’Antiquité.

Conclusion

Du XVIe au XVIIe siècle, la parole a envahi tous les espaces : poèmes politiques de Ronsard, dialogues de Montaigne, sermons de Bossuet, plaidoyers d’avocats, harangues d’État, tirades théâtrales, conversations mondaines et concours d’éloquence scolaire.

Ces « siècles bavards » montrent que la rhétorique est bien plus qu’une technique : elle façonne la pensée, l’action et le lien social. Héritage encore vivant, elle se prolonge aujourd’hui dans la politique, les médias, le théâtre ou même la musique, rappelant que la parole reste le grand instrument pour convaincre, émouvoir et gouverner les esprits.