Introduction
Le XXe siècle est traversé par des violences sans précédent : guerres mondiales, génocides, répressions politiques et massacres coloniaux. Ces violences ne sont pas seulement militaires ou ponctuelles : elles sont massives, organisées, parfois justifiées par des idéologies totalisantes. Elles ont bouleversé non seulement les sociétés et les corps, mais aussi la manière de penser l’histoire, l’humanité et la culture. Face à cela, la littérature, la philosophie et les arts ont tenté de répondre, de témoigner, de résister à l’oubli. Ce siècle tragique oblige à repenser l’idée même de progrès et à interroger la fragilité de ce que nous appelons civilisation.
Une violence de masse sans précédent
Les deux guerres mondiales ont marqué un changement d’échelle dans la destruction. La Première Guerre mondiale (1914-1918) est la première guerre industrielle de l’histoire : artillerie lourde, mitrailleuses, gaz, chars. Elle cause plus de dix millions de morts et laisse des générations marquées par l’horreur des tranchées. Dans Le Grand Troupeau de Giono ou À l’Ouest, rien de nouveau de Remarque, la guerre est décrite comme une machine absurde, broyant les hommes.
La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) pousse encore plus loin cette logique. Le conflit est total : il touche les civils, les villes, les économies, les imaginaires. Le régime nazi met en œuvre l’extermination systématique des Juifs et des Tsiganes : c’est la Shoah, mot hébreu signifiant « catastrophe », utilisé pour désigner le génocide des Juifs d’Europe. Cette politique, planifiée et industrielle, conduit à la mort de six millions de personnes. Si c’est un homme de Primo Levi ou L’Espèce humaine de Robert Antelme témoignent de cette déshumanisation extrême.
Mais ces violences ne se limitent pas aux champs de bataille. Le XXᵉ siècle est aussi celui de l’émergence des régimes totalitaires, au sens où ils cherchent à contrôler totalement la société : institutions, économie, pensée, mémoire. On en distingue généralement trois formes principales : le nazisme en Allemagne, le stalinisme en URSS et le maoïsme en Chine.
Le stalinisme, à partir des années 1930, repose sur une idéologie d’État et une répression massive : purges, procès truqués, goulags, famines organisées, comme celle de l’Ukraine (Holodomor). Le maoïsme, à partir de 1949, entraîne des transformations brutales, notamment avec le Grand Bond en avant (1958-1962), qui cause une famine gigantesque, responsable de la mort de 30 à 45 millions de personnes. La Révolution culturelle (1966-1976) entraîne à son tour des persécutions massives.
À retenir
Le XXe siècle est marqué par des violences de masse planifiées : guerres totales, génocides, famines politiques. Les régimes totalitaires cherchent à imposer une idéologie unique, au prix de millions de vies humaines.
Violence coloniale et luttes d’émancipation
Les violences du XXe siècle ne concernent pas uniquement l’Europe. Le système colonial, qui repose sur la domination d’un peuple sur un autre, a lui aussi produit des violences extrêmes, longtemps oubliées ou minimisées.
Dès le début du siècle, certains événements révèlent l’ampleur de cette brutalité. En Namibie, les autorités coloniales allemandes organisent, entre 1904 et 1908, le génocide des Hereros et des Namas, causant la mort de 60 à 80 % de ces populations. Il s’agit d’un des premiers génocides du XXᵉ siècle, reconnu comme tel par de nombreux historiens.
Tout au long du siècle, la colonisation repose sur une idéologie de supériorité, souvent appelée mission civilisatrice : on prétend « éduquer » ou « sauver » des peuples considérés comme inférieurs. Cette vision sert à justifier l’exploitation économique, les violences militaires et les humiliations symboliques.
Après 1945, les luttes pour l’indépendance se multiplient. Ces conflits prennent souvent la forme de guerres longues et violentes : guerre d’Indochine (1946-1954), guerre d’Algérie (1954-1962), lutte au Kenya contre les Britanniques. Ces événements donnent lieu à des tortures, des camps d’internement, des massacres de civils.
Des auteurs comme Frantz Fanon, dans Les Damnés de la terre, dénoncent la logique coloniale comme destructrice et appellent à une libération totale, politique et psychologique. Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme, affirme que la colonisation est une barbarie qui nie l’humanité des colonisés tout en discréditant celle des colonisateurs eux-mêmes.
À retenir
Le XXe siècle est aussi marqué par les violences du système colonial. La colonisation, sous couvert de civilisation, a produit des massacres et des dominations brutales. Les luttes d’indépendance rétablissent l’histoire et la parole des peuples colonisés.
Dire la violence, penser l’inhumain
Face à ces violences, comment parler, comment écrire, comment penser ? Le langage semble parfois impuissant à dire l’horreur. Pourtant, les écrivains, les philosophes, les artistes tentent de faire entendre ce qui a été vécu, pour que cela ne soit pas effacé.
Le témoignage devient un acte essentiel. Il ne s’agit pas seulement de raconter, mais de transmettre une mémoire vive : c’est-à-dire une mémoire personnelle, immédiate, encore brûlante, que le temps n’a pas adoucie. Primo Levi insiste sur le fait que le témoin parle aussi pour les morts, pour ceux qui n’ont pas pu dire.
Mais dire ne suffit pas toujours. Certains écrivains comme Jorge Semprún ou Imre Kertész choisissent des formes fragmentées, parfois littéraires, pour approcher une vérité difficile. Le langage devient un outil fragile, mais nécessaire.
En philosophie, Hannah Arendt étudie les régimes totalitaires et développe la notion de banalité du mal : dans le cas d’Eichmann, bourreau nazi, le mal n’est pas commis par haine, mais par absence de pensée, par soumission, par conformisme. Cette idée choque, car elle montre que l’inhumain peut venir de l’ordinaire.
Emmanuel Levinas, rescapé de la guerre, affirme que l’éthique commence dans la rencontre avec l’autre : une relation fragile, car elle suppose d’accueillir la vulnérabilité, de se sentir responsable même sans avoir fauté. La barbarie du siècle oblige à repenser la morale non à partir de grands principes, mais à partir des visages concrets, des souffrances réelles.
À retenir
Face aux violences du siècle, littérature et philosophie cherchent à dire, comprendre, transmettre. Témoigner devient un devoir ; penser le mal, une nécessité ; préserver la dignité humaine, une tâche fragile mais essentielle.
Une nouvelle vision de l’histoire et de l’humanité
Les violences du XXe siècle ont bouleversé la façon de penser l’histoire. L’idée selon laquelle l’histoire serait une marche régulière vers le progrès est mise en crise. Après Auschwitz, Hiroshima, les famines politiques, peut-on encore croire à une humanité toujours meilleure ?
Le philosophe Walter Benjamin, dans ses Thèses sur la philosophie de l’histoire, utilise une image frappante : un ange regarde vers le passé et ne voit qu’un amas de ruines, tandis qu’une tempête le pousse vers l’avenir. Cette métaphore illustre ce que certains appellent une modernité tragique : une époque qui se voulait porteuse d’avenir, mais s’est heurtée à des désastres terribles.
Dans ce contexte, l’idée d’universalisme — penser l’humanité comme un tout — est remise en question. Elle a parfois servi à imposer une vision occidentale, en oubliant les peuples colonisés, les minorités, les victimes silencieuses. Il faut reconstruire un universel plus attentif à la diversité des voix, des histoires, des mémoires.
Des institutions comme les tribunaux de Nuremberg, les juridictions internationales ou les commémorations ont tenté de poser des limites, de juger, de réparer. Mais cette justice est fragile. Elle ne peut effacer le passé, seulement en préserver la mémoire.
C’est là qu’intervient la notion de vigilance historique : il ne suffit pas de savoir, il faut rester attentif, s’interroger, questionner les discours dominants. Cette vigilance, c’est celle de l’école, des livres, des musées, mais aussi de chacun face aux dangers de l’oubli.
À retenir
Le XXe siècle a imposé une relecture critique de l’histoire. Il ne s’agit plus seulement d’expliquer le passé, mais d’en tirer des leçons éthiques : penser l’humanité comme une construction fragile, à protéger sans relâche.
Conclusion
Les violences du XXe siècle — guerres, génocides, totalitarismes, violences coloniales — ont ébranlé notre confiance dans le progrès et mis à l’épreuve notre compréhension de l’humain. Elles ont forcé écrivains et philosophes à inventer de nouvelles formes, de nouvelles pensées, pour garder vivante la mémoire et interroger le mal. Ce siècle tragique ne se résume pas à la destruction : il a aussi vu naître une culture de la responsabilité, de la justice et de la mémoire. Une culture vigilante, consciente que la dignité humaine est toujours à défendre.
