Médias et groupes de pairs : influence sur les valeurs et les comportements

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Dans cette leçon, tu vas découvrir comment les médias et les groupes de pairs façonnent les valeurs, les normes et les comportements des jeunes. Tu comprendras comment ces influences, souvent plus horizontales que celles de la famille ou de l’école, participent à la construction de l’identité tout en pouvant renforcer certaines inégalités. Mots-clés : socialisation, pairs, médias, réseaux sociaux, capital social, violence symbolique, identité.

Introduction

Dans les sociétés contemporaines, les jeunes grandissent dans un univers où les écrans, les réseaux sociaux et les interactions entre pairs occupent une place essentielle. Chaque jour, ils échangent des messages, partagent des photos, suivent des influenceurs, commentent l’actualité et participent à des groupes en ligne. Ces expériences façonnent leurs valeurs, leurs normes et leurs comportements, souvent autant — voire plus — que la famille ou l’école.

Les médias et les groupes de pairs sont devenus des agents de socialisation majeurs. Ils participent à ce que les sociologues appellent la socialisation secondaire, c’est-à-dire celle qui se poursuit après la socialisation familiale de l’enfance. Cette socialisation, parfois dite horizontale, se construit entre individus d’un même âge ou d’un même statut et permet à chacun d’expérimenter des comportements, d’affirmer son identité et de s’intégrer dans un groupe.

Comment les médias et les pairs influencent-ils les valeurs et les comportements des jeunes ? Et dans quelle mesure ces formes de socialisation contribuent-elles à la reproduction ou à la transformation des normes sociales ?

Les groupes de pairs : une socialisation horizontale fondée sur l’appartenance

Les groupes de pairs — c’est-à-dire les amis, camarades de classe, collègues ou membres d’un club — jouent un rôle central dans la socialisation secondaire. Ils constituent un cadre d’apprentissage horizontal, où les jeunes se construisent entre eux, sans hiérarchie d’autorité comme celle des parents ou des professeurs.

Le sociologue Pierre Bourdieu (France, 1930-2002) explique que ces relations permettent de développer un capital social, c’est-à-dire l’ensemble des liens et réseaux qui offrent reconnaissance et soutien. Dans un groupe d’amis, chacun apprend à coopérer, à négocier et à respecter des règles implicites — celles de la loyauté, de la solidarité ou de la popularité.

Les pairs transmettent des normes sociales spécifiques : un style vestimentaire, une manière de parler, des goûts musicaux ou culturels communs. Par exemple, une étude de l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, 2023) montre que près de 80 % des adolescents français déclarent écouter la même musique ou regarder les mêmes séries que leurs amis, et que 60 % affirment que leurs choix vestimentaires sont influencés par leur entourage. Ces données illustrent la force d’imitation et de conformité qui existe à l’intérieur du groupe.

Mais le groupe de pairs n’est pas qu’un lieu de conformité : il est aussi un espace d’expérimentation. L’adolescent y teste des attitudes, explore de nouvelles idées, adopte parfois des comportements provisoires (langage, apparence, opinions) pour affirmer son identité personnelle. C’est là que se construit une part importante de la socialisation de genre : les garçons et les filles y apprennent à se comporter selon les stéréotypes sociaux — attentes de virilité pour les uns, de douceur ou de discrétion pour les autres — qui reproduisent les inégalités entre sexes.

Ainsi, les pairs jouent un rôle dans la socialisation différenciée : selon le genre, le milieu social ou les loisirs pratiqués, les jeunes n’intériorisent pas les mêmes valeurs ni les mêmes comportements. Un adolescent issu d’un milieu aisé et scolarisé dans un lycée prestigieux n’aura pas le même rapport à la réussite, au temps libre ou à la consommation qu’un autre fréquentant un lycée professionnel en zone rurale.

À retenir

Les groupes de pairs participent à une socialisation horizontale : ils transmettent des normes communes, permettent l’expérimentation identitaire et reproduisent parfois les différences liées au genre et au milieu social.

Les médias : un agent de socialisation omniprésent et globalisé

Les médias, qu’il s’agisse de la télévision, d’Internet, des jeux vidéo ou des réseaux sociaux, sont devenus un agent de socialisation incontournable. Ils diffusent des informations, des modèles et des représentations du monde qui influencent directement la manière dont les jeunes perçoivent la société et se perçoivent eux-mêmes.

Selon le rapport Jeunes et écrans (INJEP, 2023), les 15-24 ans passent en moyenne 3 h 45 par jour sur leur téléphone, dont 2 h sur les réseaux sociaux. Ces plateformes ne se contentent pas de distraire : elles sont des lieux d’interaction, d’apprentissage et de construction identitaire. Les jeunes y observent, imitent et commentent des comportements, des opinions et des styles de vie.

Les médias transmettent des valeurs dominantes : la réussite individuelle, la consommation, la beauté, la célébrité ou encore la performance. Suivre un influenceur ou un créateur de contenu, c’est souvent adopter une partie de ses pratiques : une façon de parler, de s’habiller, de consommer. Ces mécanismes relèvent d’une socialisation anticipatrice, au sens du sociologue Robert K. Merton (États-Unis, 1910-2003) : les jeunes imitent les comportements d’un groupe qu’ils souhaitent rejoindre (par exemple, une communauté de fans, un milieu professionnel ou artistique).

Mais les médias ne se limitent pas à la diffusion de modèles consuméristes. Ils participent aussi à la formation de l’opinion publique, à la découverte de la diversité culturelle et à la construction du sens critique. En ce sens, on peut appliquer à l’analyse des médias la réflexion d’Émile Durkheim (France, 1858-1917) sur le rôle intégrateur des institutions : en diffusant des représentations communes, les médias contribuent à maintenir une forme de cohésion sociale — même si celle-ci est aujourd’hui fragmentée par les logiques algorithmiques et communautaires.

Cependant, leur influence comporte des risques. Les médias reproduisent souvent des stéréotypes de genre, de classe ou d’origine et exercent une violence symbolique, notion développée par Pierre Bourdieu. Cette forme de domination invisible impose comme universelles les normes et valeurs des groupes les plus puissants — par exemple, un idéal de beauté inatteignable ou un modèle de réussite fondé sur la richesse et la compétition.

Les médias peuvent aussi amplifier les inégalités sociales : tous les jeunes n’ont pas le même accès aux ressources culturelles ou au recul critique nécessaire pour décrypter les messages. L’influence médiatique varie donc selon le milieu social, le niveau d’éducation et l’encadrement familial.

À retenir

Les médias diffusent en continu des valeurs et des modèles qui façonnent les comportements. Ils participent à la socialisation secondaire et anticipatrice, tout en reproduisant certaines inégalités et en exerçant une forme de violence symbolique.

Interactions et tensions entre médias, pairs et institutions

Les médias et les groupes de pairs agissent souvent ensemble dans le processus de socialisation. Les adolescents commentent les mêmes vidéos, échangent sur les mêmes jeux vidéo, suivent les mêmes influenceurs et adoptent les mêmes modes. Ces pratiques partagées renforcent le sentiment d’appartenance et créent des communautés générationnelles.

Mais ces influences peuvent parfois contredire les messages transmis par la famille ou l’école. Un jeune apprend à l’école la tolérance et l’esprit critique, mais peut être exposé en ligne à des propos haineux ou à des théories complotistes. Ces contradictions créent une socialisation contradictoire, où l’individu doit choisir entre plusieurs systèmes de valeurs.

Le sociologue Erving Goffman (Canada, 1922-1982), auteur de La mise en scène de la vie quotidienne (1959), montre que les individus adaptent leur comportement selon le contexte et le public. Les réseaux sociaux illustrent parfaitement ce phénomène : un adolescent peut se montrer obéissant à la maison, studieux à l’école, mais provocant sur Internet. Les médias deviennent alors un espace de mise en scène de soi, où chacun expérimente différentes identités et apprend à gérer son image publique.

À retenir

Médias et pairs interagissent étroitement : ils renforcent la socialisation horizontale mais peuvent créer des tensions avec la socialisation familiale et scolaire. Ces contradictions obligent les jeunes à développer un esprit critique et à forger leur propre système de valeurs.

Conclusion

Les médias et les groupes de pairs sont des acteurs centraux de la socialisation secondaire. Les pairs transmettent des normes et des comportements au sein d’une socialisation horizontale, tandis que les médias diffusent des valeurs globalisées qui façonnent les représentations et les aspirations.

Ces agents contribuent à la socialisation anticipatrice — en donnant aux jeunes des modèles à imiter —, mais aussi à la socialisation différenciée, selon le genre, le milieu social ou les pratiques culturelles.

Leur influence est donc ambivalente : ils favorisent la créativité, l’autonomie et l’ouverture, tout en renforçant parfois les stéréotypes et les inégalités. Dans un monde connecté et médiatisé, la socialisation passe désormais par la capacité à sélectionner, analyser et interpréter les influences multiples qui façonnent nos comportements. C’est ainsi que chacun devient un acteur social à la fois influencé et autonome, capable de construire son identité au croisement des pairs, des médias et des institutions.