Socialisation et inégalités : effets du milieu social et du genre

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Dans cette leçon, tu vas comprendre comment la socialisation, dès l’enfance, façonne différemment les comportements selon le milieu social et le genre. Tu verras comment ces apprentissages influencent les parcours scolaires, les choix professionnels et participent à la reproduction des inégalités, tout en laissant place à des évolutions possibles. Mots-clés : socialisation, inégalités, milieu social, genre, habitus, capital culturel, stéréotypes.

Introduction

Dès l’enfance, chaque individu apprend à vivre en société : il découvre les règles, les valeurs et les comportements attendus. Ce long apprentissage s’appelle socialisation. Mais cette socialisation n’est pas la même pour tout le monde : elle dépend du milieu social dans lequel on grandit et du genre, c’est-à-dire du fait d’être une fille ou un garçon.

Ces différences façonnent la manière de parler, de se comporter, de travailler, mais aussi les parcours scolaires et professionnels. Elles contribuent à expliquer pourquoi certains réussissent plus facilement à l’école ou accèdent à certains métiers, tandis que d’autres rencontrent davantage d’obstacles.

Nous allons d’abord voir comment le milieu social influence la socialisation, puis comment le genre crée des apprentissages différenciés, avant de comprendre comment ces deux dimensions se combinent dans la construction des inégalités.

Le milieu social : une source d’inégalités dans la socialisation

Chaque famille transmet à ses enfants des valeurs (ce qu’elle juge important) et des normes (les règles de conduite à respecter). Mais ces apprentissages dépendent du milieu social, c’est-à-dire de la position économique et culturelle des parents dans la société : leur métier, leur niveau d’études, leur revenu et leurs habitudes de vie.

Cette influence commence très tôt, pendant la socialisation primaire (celle de l’enfance, assurée surtout par la famille), puis se poursuit pendant la socialisation secondaire (celle de l’adolescence et de l’âge adulte, grâce à l’école, aux amis, aux médias ou au travail).

Le sociologue Pierre Bourdieu (France, 1930-2002), professeur au Collège de France, a proposé deux concepts importants pour comprendre ces différences : l’habitus et le capital culturel.

L’habitus désigne un ensemble de manières de penser et d’agir que l’on acquiert dans son milieu familial : par exemple, la façon de parler à un adulte, de se tenir à table, ou de comprendre ce qu’un professeur attend. Ce sont des dispositions, c’est-à-dire des habitudes profondément ancrées qui orientent nos comportements sans qu’on en ait toujours conscience.

Le capital culturel correspond, lui, à l’ensemble des connaissances, du vocabulaire, des références et des pratiques culturelles qu’une personne possède. Par exemple, avoir des livres à la maison, aller souvent au musée ou écouter ses parents parler d’histoire développe un capital culturel plus élevé.

Ces différences forment ce qu’on appelle une socialisation de classe : un ensemble cohérent d’habitudes et de valeurs transmis dans les milieux sociaux. Les enfants de cadres, par exemple, sont souvent encouragés à discuter, à donner leur avis et à développer leur curiosité. Ceux des milieux ouvriers apprennent plutôt la solidarité, la politesse et le respect de l’autorité. Aucune de ces éducations n’est « meilleure » : elles sont simplement différentes, mais la société ne les valorise pas de la même manière.

À l’école, ces différences peuvent jouer un grand rôle. Les enseignants attendent souvent des comportements qui correspondent aux codes appris dans les familles favorisées : savoir s’exprimer clairement, poser des questions, avoir confiance en soi. Les enfants qui ont grandi dans ce type de milieu s’adaptent plus facilement.

Les chiffres illustrent bien cette inégalité : selon l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques), 77 % des enfants de cadres obtiennent un baccalauréat général, contre 39 % des enfants d’ouvriers.

À retenir

Le milieu social influence la socialisation à travers l’habitus et le capital culturel. Ces différences expliquent en partie les écarts de réussite à l’école et la reproduction des inégalités sociales.

Le genre : une socialisation différenciée dès l’enfance

Les différences entre les filles et les garçons ne viennent pas seulement de la biologie. Elles sont aussi le résultat d’une socialisation différenciée, c’est-à-dire d’un apprentissage distinct des comportements et des rôles selon le genre.

La sociologue Ann Oakley (Royaume-Uni, née en 1944) a montré que cette socialisation se construit à travers plusieurs processus. Dans les familles, les adultes traitent différemment les enfants selon leur sexe : ils félicitent plus volontiers les filles pour leur gentillesse ou leur soin, tandis qu’ils valorisent chez les garçons la force ou l’indépendance.

Ils orientent aussi les activités : les filles sont encouragées à pratiquer la danse ou la lecture, les garçons le sport ou les jeux de construction. Les enfants observent les adultes de leur entourage et imitent les modèles qu’ils voient : une mère qui s’occupe des repas ou un père qui bricole. Même le langage utilisé n’est pas le même : on attend des filles qu’elles soient prudentes et polies, des garçons qu’ils soient courageux et sûrs d’eux.

Ces apprentissages reposent sur des stéréotypes de genre, c’est-à-dire des idées toutes faites sur ce que doivent être une fille ou un garçon. On attend des filles qu’elles soient douces, calmes et attentionnées, des garçons qu’ils soient énergiques et ambitieux. Ces stéréotypes influencent les goûts et les choix d’orientation.

Leur effet se voit à l’école. Selon le ministère de l’Éducation nationale (2023), 86 % des élèves de la filière scientifique au lycée sont des garçons, tandis que 85 % des élèves de la filière santé-social sont des filles. Ces écarts montrent que les représentations de ce qui est « fait pour les filles » ou « pour les garçons » continuent d’influencer les décisions.

Mais ces modèles évoluent. Des campagnes comme « Les filles, osez les sciences ! » cherchent à encourager les vocations scientifiques féminines. De même, de plus en plus de garçons s’orientent vers les métiers du soin et de l’éducation, longtemps considérés comme « féminins ». Ces changements montrent que les normes de genre peuvent être remises en question.

À retenir

La socialisation de genre, fondée sur des stéréotypes, influence les comportements et les aspirations. Elle peut cependant évoluer grâce à des actions éducatives et sociales qui favorisent l’égalité entre filles et garçons.

Quand le milieu social et le genre se combinent

Les effets du milieu social et du genre ne s’ajoutent pas simplement : ils se combinent et se renforcent. Une fille issue d’un milieu populaire, par exemple, peut rencontrer une double difficulté : son milieu ne valorise pas forcément les études longues, et sa socialisation de genre l’oriente vers des métiers du soin ou de l’assistance.

Prenons un exemple concret : à l’école, les professeurs peuvent, parfois sans s’en rendre compte, avoir des attentes différentes selon le sexe ou l’origine sociale. Ils félicitent davantage les filles pour leur sérieux et leur application, mais encouragent les garçons à « oser » ou à « s’affirmer ». Ces différences d’encouragements influencent la confiance en soi et les ambitions.

Selon l’INSEE (2022), les femmes issues de milieux modestes sont deux fois plus nombreuses que les hommes du même milieu à occuper des emplois à temps partiel. Cela s’explique en partie par la manière dont elles ont été socialisées à valoriser la stabilité et le soin des autres plutôt que la compétition ou la carrière.

Mais la socialisation n’est pas un destin figé. D’autres agents comme l’école, les professeurs, les amis (ou groupes de pairs) et les médias peuvent transmettre des valeurs différentes et permettre aux jeunes de remettre en question les modèles reçus. Un garçon élevé dans un milieu modeste peut, grâce à un enseignant encourageant, s’ouvrir à la lecture et envisager des études supérieures. Une fille peut, au contact de ses amies ou de ses professeurs, se découvrir un goût pour la science ou l’informatique.

À retenir

Les inégalités de socialisation liées au milieu social et au genre se cumulent, mais d’autres agents comme l’école, les pairs ou les médias peuvent permettre de s’en émanciper.

Conclusion

La socialisation ne forme pas tous les individus de la même manière. Selon leur milieu social et leur genre, les enfants intègrent des valeurs et des comportements différents qui orientent leurs parcours scolaires et professionnels.

Le milieu social transmet un certain habitus et un capital culturel qui favorisent ou freinent la réussite à l’école. Le genre, lui, oriente les comportements et les choix selon des stéréotypes encore très présents. Ces deux logiques combinées créent une socialisation différenciée, à la base de nombreuses inégalités.

Cependant, la socialisation peut évoluer. Grâce à l’action de l’école, des professeurs, des groupes de pairs et des campagnes pour l’égalité, de nouvelles trajectoires deviennent possibles. De plus en plus de filles choisissent des métiers scientifiques et de garçons travaillent dans le soin ou l’éducation.

Comprendre ces mécanismes, c’est aussi apprendre à les transformer, pour construire une société plus juste, où chacun — quelle que soit son origine ou son sexe — puisse choisir librement son parcours et ses valeurs.