Introduction
Dès sa naissance, chaque individu apprend à vivre avec les autres, à comprendre les règles, à parler, à se comporter dans différents contextes. Ce long apprentissage, appelé socialisation, permet à chacun d’acquérir les valeurs, les normes et les manières d’agir nécessaires pour s’intégrer à la vie collective.
Deux institutions jouent un rôle fondamental dans ce processus : la famille et l’école. Ensemble, elles constituent les piliers de la socialisation, car elles transmettent à la fois les repères personnels et les règles communes indispensables à la vie en société. Mais ces deux cadres ne remplissent pas le même rôle, ni de la même manière. Comment la famille et l’école participent-elles, chacune à leur façon, à la formation de l’identité sociale des enfants et des jeunes ?
La famille : le premier cadre de socialisation
La famille est le premier milieu de socialisation. C’est au sein du foyer que l’enfant découvre la vie en société, apprend à parler, à manger, à obéir, à partager et à exprimer ses émotions.
La socialisation familiale repose sur deux mécanismes complémentaires :
les injonctions, c’est-à-dire la socialisation explicite, lorsque les parents donnent des consignes claires, comme « dis bonjour », « ne mens pas », « range tes affaires » ;
les imitations, formes de socialisation implicite, lorsque l’enfant reproduit spontanément les comportements de ses proches, sans qu’on le lui ordonne — par exemple, saluer un voisin ou aider un camarade, simplement parce qu’il a vu ses parents le faire.
Ces apprentissages sont au cœur de ce que le sociologue Pierre Bourdieu (France, 1930-2002) appelle l’habitus : un ensemble de dispositions durables, de manières de penser et d’agir intériorisées dès l’enfance. L’habitus influence nos goûts, notre langage, nos attitudes et notre rapport à l’autorité, tout en laissant une marge de liberté individuelle.
Mais la socialisation familiale ne transmet pas les mêmes savoirs à tous. Elle dépend fortement du milieu social et du genre : c’est ce qu’on appelle la socialisation différenciée. Selon le milieu, les enfants grandissent dans des univers culturels différents. Par exemple, selon l’INSEE, les enfants de cadres lisent en moyenne deux fois plus de livres par an que ceux d’ouvriers. Le ministère de la Culture (2023) souligne aussi que 90 % des adolescents dont les parents ont un diplôme supérieur disposent d’un accès personnel à Internet, contre 65 % lorsque les parents n’ont pas le baccalauréat.
Ces écarts traduisent des inégalités dans la transmission du capital culturel : certains enfants sont familiarisés très tôt avec les savoirs valorisés par l’école (livres, musées, vocabulaire riche), tandis que d’autres développent des compétences plus pratiques ou relationnelles.
La socialisation différenciée s’observe aussi selon le genre : dès l’enfance, les garçons et les filles ne sont pas toujours éduqués de la même manière. Les jouets, les vêtements ou les activités proposées (sport, lecture, danse, jeux de construction) contribuent à former des comportements et des représentations genrées, qui influenceront les choix scolaires ou professionnels futurs.
Cependant, la famille n’est pas figée : elle évolue avec la société. Les familles recomposées, monoparentales ou multiculturelles d’aujourd’hui transmettent souvent des valeurs nouvelles comme la tolérance, l’égalité entre les sexes ou l’autonomie.
À retenir
La famille est le premier lieu de socialisation. Par l’imitation et l’injonction, elle transmet des valeurs, des normes et un capital culturel qui varient selon le milieu social et le genre — c’est la socialisation différenciée.
L’école : une institution de socialisation universelle
Quand l’enfant entre à l’école, il découvre un nouvel univers où il apprend à vivre avec des personnes extérieures à sa famille. C’est la socialisation scolaire, une forme de socialisation secondaire qui complète et parfois transforme les apprentissages familiaux.
Le sociologue Émile Durkheim (France, 1858-1917), fondateur de la sociologie française, insistait sur la mission morale et sociale de l’école. Selon lui, elle doit apprendre aux enfants à vivre ensemble, à respecter des règles impersonnelles et à comprendre le sens collectif de la loi.
Concrètement, chaque journée de classe est un terrain d’apprentissage social : lever la main pour parler, attendre son tour à la cantine, partager un manuel avec un camarade ou accepter une sanction après une faute. Ces gestes quotidiens, répétés, forment un ensemble d’habitudes : apprendre à écouter, à coopérer, à se contrôler.
Mais l’école ne se limite pas à la discipline. Elle joue aussi un rôle dans la socialisation politique : elle enseigne les valeurs civiques et républicaines — la laïcité, l’égalité, la tolérance, la liberté d’expression — et apprend aux élèves à devenir des citoyens responsables.
Toutefois, l’école ne corrige pas toujours les inégalités d’origine. Comme l’a montré Pierre Bourdieu, elle tend parfois à reproduire les différences sociales. Les élèves issus de familles disposant d’un fort capital culturel (langage, habitudes scolaires, confiance) réussissent souvent mieux. Par exemple, selon l’OCDE (2023), les enfants de cadres ont en moyenne 20 % de chances supplémentaires d’obtenir un baccalauréat général par rapport aux enfants d’ouvriers.
De plus, certains conflits entre la famille et l’école peuvent perturber la socialisation. Une famille peut, par exemple, refuser que son enfant participe à certains cours pour des raisons religieuses, contester les règles de la laïcité, ou ne pas soutenir le travail scolaire à la maison. Ces désaccords montrent que les deux institutions ne transmettent pas toujours les mêmes valeurs ni les mêmes attentes.
À retenir
L’école est un espace de socialisation où l’enfant apprend les valeurs collectives et la citoyenneté. Elle complète la socialisation familiale, mais peut aussi la contredire ou reproduire les inégalités entre milieux sociaux.
Complémentarité et tensions entre famille, école et groupes de pairs
La famille et l’école ne transmettent pas toujours des messages identiques. Elles peuvent être complémentaires — lorsqu’elles partagent les mêmes valeurs d’effort et de respect — ou contradictoires lorsqu’elles diffusent des normes opposées.
Un élève peut, par exemple, être encouragé par sa famille à contester l’autorité de l’enseignant, ou inversement, être poussé à obéir sans jamais discuter. Ces situations créent une socialisation contradictoire, dans laquelle l’enfant doit arbitrer entre des modèles différents.
Mais la socialisation ne se limite pas à ces deux institutions. Les groupes de pairs — c’est-à-dire les amis, camarades ou collègues — jouent un rôle croissant, surtout à l’adolescence. Ils deviennent des agents de socialisation à part entière : les jeunes y apprennent à s’affirmer, à adopter un langage, des goûts musicaux ou vestimentaires. Ces influences peuvent parfois entrer en tension avec les valeurs transmises par la famille ou l’école, mais elles participent aussi à la construction de l’autonomie et de la personnalité.
À retenir
Famille, école et groupes de pairs sont trois agents majeurs de socialisation. Leurs influences peuvent se compléter ou s’opposer, mais ensemble elles participent à la formation de la personnalité et à l’autonomie des individus.
Conclusion
La famille et l’école sont les deux piliers essentiels de la socialisation. La famille, par l’affection et les habitudes quotidiennes, forme le premier socle de valeurs et de comportements. L’école, en élargissant le cercle social, enseigne la vie collective, la discipline et la citoyenneté.
Cependant, leurs messages peuvent diverger, et les enfants apprennent alors à composer entre plusieurs influences, notamment celles des groupes de pairs. C’est cette combinaison d’expériences — parfois cohérentes, parfois contradictoires — qui forge l’identité sociale de chaque individu et lui permet de devenir un acteur social autonome, capable de comprendre, de participer et de transformer la société.
