Les modes de socialisation : comment nous apprenons à vivre en société

icône de pdf
Signaler
Dans cette leçon, tu vas découvrir les différents modes de socialisation qui rythment la vie d’un individu : primaire, secondaire, anticipatrice et de resocialisation. Tu comprendras comment chacun de ces processus contribue à la construction de l’identité sociale, entre héritage, adaptation et transformation personnelle. Mots-clés : socialisation, identité sociale, capital culturel, Bourdieu, Merton, Goffman, reproduction sociale.

Introduction

Dès la naissance, chaque individu apprend à vivre avec les autres, à comprendre les règles et à adopter des comportements attendus par la société. Cet apprentissage progressif s’appelle la socialisation. Elle nous permet de devenir des êtres sociaux, capables de coopérer, de communiquer et de participer à la vie collective.

Mais cette socialisation ne se fait pas une seule fois : elle évolue au fil du temps, selon les milieux que nous fréquentons, les rôles que nous jouons et les expériences que nous vivons. On distingue plusieurs modes de socialisation — primaire, secondaire, anticipatrice et de resocialisation — qui, ensemble, construisent notre identité sociale, c’est-à-dire la manière dont nous nous percevons et dont les autres nous perçoivent.

La socialisation primaire : les premiers apprentissages

La socialisation primaire correspond à la période de la petite enfance, celle où tout commence. Elle se déroule principalement dans la famille, premier cadre de vie de l’enfant. Les parents, frères et sœurs transmettent les premières valeurs (solidarité, respect, amour) et les normes (dire bonjour, attendre son tour, ne pas mentir).

Cette socialisation repose sur deux grands mécanismes sociologiques :

  • les injonctions, c’est-à-dire les règles ou ordres donnés directement à l’enfant (« dis bonjour », « range tes affaires »), relevant de la socialisation explicite ;

  • les imitations, quand l’enfant reproduit les comportements observés (parler comme ses parents, adopter leurs gestes), correspondant à la socialisation implicite fondée sur l’identification.

Ces apprentissages précoces construisent les bases de la personnalité et du rapport à autrui. L’enfant y acquiert un langage, des habitudes (comme l’hygiène, la politesse) et une première compréhension des valeurs collectives.

Concrètement, cette étape varie selon les milieux sociaux. D’après l’INSEE, les enfants de cadres lisent en moyenne plus du double de livres par an que les enfants d’ouvriers. Cette différence illustre ce que le sociologue Pierre Bourdieu (France, 1930-2002), professeur au Collège de France, appelle le capital culturel : un ensemble de savoirs, de goûts et de compétences transmis dès l’enfance, qui favorisent la réussite scolaire. Ce capital, inégalement réparti, contribue à la reproduction sociale, c’est-à-dire au maintien des inégalités entre groupes sociaux.

Une autre enquête de l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, 2022) montre que les adolescents de milieux favorisés passent en moyenne 2 h 15 par jour sur les écrans, contre 3 h 30 pour ceux de milieux populaires, et pratiquent davantage d’activités culturelles ou sportives régulières. Ces écarts confirment que la socialisation familiale influence les pratiques et les modes de vie dès le plus jeune âge.

À retenir

La socialisation primaire, fondée sur l’imitation et les injonctions, façonne la personnalité dès l’enfance. Elle transmet le capital culturel et contribue à la reproduction sociale.

La socialisation secondaire : s’adapter aux nouveaux milieux

La socialisation secondaire débute lorsque l’enfant quitte le cadre familial pour s’ouvrir à de nouveaux environnements : école, groupes d’amis, monde du travail, associations, vie de couple… Elle ne se limite donc pas à l’âge adulte, mais concerne toutes les transitions de vie.

À l’école, par exemple, l’élève apprend la ponctualité, la discipline, la coopération et la responsabilité. Les enseignants transmettent des valeurs comme l’effort et la réussite, tandis que les camarades diffusent des codes différents — langage, mode, musique — qui contribuent à la construction de l’identité.

Cependant, ces milieux peuvent transmettre des messages contradictoires. La famille, l’école et les réseaux sociaux ne valorisent pas toujours les mêmes normes. Un adolescent peut apprendre à l’école l’égalité et la tolérance, mais être exposé sur Internet à des discours violents ou discriminatoires. Ce décalage est appelé socialisation contradictoire : l’individu reçoit des influences opposées et doit apprendre à les hiérarchiser.

La socialisation secondaire se poursuit à l’âge adulte : au travail, on intègre de nouveaux comportements (esprit d’équipe, respect des horaires, adaptation hiérarchique). Dans un couple ou une association, on apprend d’autres formes de coopération et de négociation.

À retenir

La socialisation secondaire permet de s’adapter à de nouveaux milieux tout au long de la vie. Elle peut être cohérente ou contradictoire selon les valeurs transmises par les différents agents de socialisation.

La socialisation anticipatrice : se préparer à un nouveau rôle

La socialisation anticipatrice survient lorsqu’un individu adopte à l’avance les comportements et valeurs d’un groupe auquel il souhaite appartenir. Elle traduit une volonté d’intégration future et d’ascension sociale.

Ce concept a été introduit par le sociologue Robert K. Merton (États-Unis, 1910-2003), chercheur à l’Université Columbia. Il explique que les individus cherchent à imiter les pratiques d’un groupe de référence pour faciliter leur intégration ultérieure.

Par exemple, un lycéen qui adopte le style vestimentaire et les habitudes de travail des étudiants se socialise de manière anticipée : il se prépare à la vie universitaire. De même, un salarié qui suit une formation avant une promotion ou un migrant qui apprend la langue du pays d’accueil participent à une socialisation anticipatrice.

Cette démarche illustre la capacité de chacun à agir sur sa trajectoire sociale : la socialisation n’est pas un processus subi, mais un levier d’adaptation et de mobilité.

À retenir

La socialisation anticipatrice, théorisée par Robert K. Merton, consiste à adopter les codes d’un groupe de référence pour s’y intégrer plus facilement. Elle exprime la dimension active de l’individu dans sa socialisation.

La resocialisation : apprendre à changer

La resocialisation se produit lorsqu’un individu doit modifier profondément ses comportements, valeurs et habitudes à la suite d’un changement majeur de vie. Elle peut être progressive (changement d’emploi, retraite, migration) ou totale, lorsqu’elle se déroule dans ce que le sociologue Erving Goffman (Canada, 1922-1982) appelle une institution totale : un lieu où la vie quotidienne est entièrement contrôlée par une autorité.

Goffman, auteur de Asiles (1961), a étudié les hôpitaux psychiatriques et montré que ces institutions cherchent à transformer complètement l’individu, en lui imposant de nouvelles normes. L’armée, les prisons, les internats ou les monastères fonctionnent selon le même principe : la resocialisation y est dite totale car elle encadre tous les aspects de la vie — comportements, vêtements, emploi du temps, relations.

En revanche, dans les resocialisations ordinaires, le changement est partiel et souvent volontaire. Par exemple, une personne qui devient parent, qui part à la retraite ou qui change de pays doit réapprendre à se situer dans un nouvel environnement.

À retenir

La resocialisation peut être partielle ou totale. Dans les institutions totales décrites par Goffman, elle vise à remodeler complètement l’individu.

Socialisation et identité sociale

Tous ces modes de socialisation contribuent à forger notre identité sociale, c’est-à-dire notre place et notre image dans la société. Cette identité combine nos rôles sociaux (élève, ami, salarié, parent) et nos appartenances (famille, classe sociale, genre, culture, religion).

Par exemple, une jeune fille peut se percevoir comme lycéenne, sportive, sœur aînée et citoyenne : ces identités s’articulent et évoluent selon ses expériences.

Le sociologue Pierre Bourdieu a montré que la socialisation dépend du milieu social et du capital culturel transmis dès l’enfance. Ce capital influence les goûts, les manières de parler ou de penser, et oriente la trajectoire scolaire et professionnelle. Cependant, grâce à la socialisation secondaire et anticipatrice, chacun peut s’émanciper de son héritage et construire une identité renouvelée, en lien avec ses choix et ses rencontres.

À retenir

L’identité sociale est le résultat de toutes nos expériences de socialisation. Elle évolue en fonction de nos rôles, de nos milieux et de nos interactions.

Conclusion

La socialisation est un processus continu et dynamique qui accompagne chaque individu tout au long de sa vie. La socialisation primaire pose les fondations de la personnalité, la socialisation secondaire favorise l’adaptation à de nouveaux milieux, la socialisation anticipatrice, conceptualisée par Robert K. Merton, prépare l’intégration à un futur groupe, et la resocialisation, étudiée par Erving Goffman, permet de se reconstruire après une rupture ou un changement de vie.

Ces modes de socialisation forment un ensemble cohérent : ils expliquent comment l’individu devient un acteur social, à la fois façonné par la société et capable d’en transformer les règles. Grâce à eux, notre identité sociale se construit sans cesse, entre continuité et changement, héritage et innovation, contrainte et liberté.