Qu'est-ce le moi ?

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En bref : la tradition qui associe le « moi » à l’esprit, support des pensées, tombe dès le XIXe siècle sous les coups de la philosophie du soupçon. C’est pour le moi sinon une disparition, du moins une métamorphose.

I - Un noyau immatériel

  • Le « moi » est la forme substantivée d’un pronom ​traduisant le latin ego, « je », « moi ». Son affirmation est traditionnellement rattachée à Descartes, qui le rapporte à l’esprit ou « substance pensante » : le moi est le support des pensées, par lequel je reste celui ou celle que j’ai conscience d’être en dépit des changements qui affectent mon corps.

CITATION « Ce moi, c’est-à-dire l’âme par laquelle je suis ce que je suis » (Descartes, Discours de la méthode, 1637)

  • Schopenhauer reconnaît lui aussi « un noyau de​ notre être qui n’est pas dans le temps », mais il le situe dans la volonté et le caractère plutôt que dans la conscience qui laisse échapper tant de souvenirs. La persistance de l’identité se manifeste dans le « regard », auquel on reconnaît infailliblement une personne même après un grand nombre d’années (Le Monde comme volonté et comme représentation, 1819-1859). 

MOT CLÉ Du latin idem, « même », l’identité désigne le caractère unique et permanent de la personne en dépit de ses changements

II - Une fiction

  • Constater l’existence de la pensée ne permet pas de conclure à celle d’une chose ​qui pense. À bien observer en soi-même, on ne trouve qu’un flux ininterrompu d’impressions et de sensations – une « rhapsodie de perceptions », dit Hume – mais aucun principe fixe qui en serait le support : « nous n’avons aucune idée du moi » (Traité de la nature humaine, 1739-1740). 
  • Pour Nietzsche, l’emploi du pronom « je » nourrit une « illusion grammaticale ». Notre confiance spontanée dans la grammaire nous pousse à introduire, dans ce flux du devenir et des apparences, l’idée d’un sujet comme support stable des pensées : « On a inventé le sujet, le moi » (La Volonté de puissance, 1886). 
  • La philosophie du sujet est également contestée par le marxisme puis le structuralisme, où le moi est reconnu comme le produit de multiples influences sociales et culturelles. De fait, on parle bien aujourd’hui de nos « identités mêlées » dans le contexte d’une société multiculturelle.

III - Une instance en construction

  • Inventeur de la psychanalyse, Freud réduit le moi ​à une mince partie de l’esprit chargée de ménager la relation entre monde intérieur et monde extérieur. La deuxième topique distingue le moi, partie consciente de la personnalité, le ça, réservoir des pulsions inconscientes, et le surmoi qui se constitue sous l’influence de l’éducation.

MOT CLÉ Du grec topos, « lieu », les topiques sont des schémas dans lesquels Freud présente les différentes instances du psychisme. Il formule la première vers 1900 et la seconde vers 1920.

  • « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison » : sommé de satisfaire trois ​tyrans aux exigences incompatibles, le moi est constamment menacé d’angoisse (« réelle » devant le monde extérieur, « morale » devant le surmoi, « névrotique » devant le ça). Le but de la psychanalyse est de renforcer ce moi au départ bien fragile (Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, 1932). 
  • Pour Ricœur, les trois « maîtres du soupçon » que furent Marx, Nietzsche et Freud ont fait éclater l’unité et l’assurance du cogito cartésien. Mais l’histoire du moi ne se réduit pas pour autant à celle d’un déclin : si l’identité n’est pas donnée d’emblée, elle peut être construite par un sujet fragile, certes, mais capable d’agir, d’assumer, de se raconter, d’où le concept d’« identité narrative » (Temps et récit, 1983-1985).

La crise d’identité

De nombreux conflits psychiques peuvent être alimentés par l’appartenance simultanée à deux cultures différentes, comme le montre le psychanalyste Georges Devereux à propos d’un patient amérindien, Jimmy Picard. (Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des plaines), film d’Arnaud Desplechin (2013))

Selon le psychologue Erik Erikson, la crise d’identité signifie plus généralement que « le patient d’aujourd’hui souffre surtout de ne pas savoir en quoi il devrait croire, ni qui il devrait – ou même pourrait – être ou devenir  » (Enfance et société, 1950).