Œuvre clé - Virginia Woolf, Les Vagues

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En bref : publiée en 1931, cette œuvre inclassable, emblématique de la modernité littéraire, explore la sensibilité complexe de six personnages en quête de sens.

I - Une pluralité de voix

1 Des lignes de vie

  • Ni roman, ni théâtre, ni poésie en prose, l’œuvre est considérée par l’autrice ​elle-même comme un « play-poem », un « poème dramatique ». 
  • L’on y suit le destin de six personnages, de leur enfance à la fin de leur vie. Les neuf chapitres sont introduits par des interludes narratifs décrivant métaphoriquement divers moments de la journée, de l’aurore au couchant. 
  • Chaque personnage s’accomplit dans son propre caractère, déterminé depuis l’enfance  : Neville, à la recherche d’un ordre esthétique sublime, devient un écrivain à succès ; Jinny se dévoue à la beauté physique et au désir sensuel ; Rhoda se voit comme une figure spectrale, inadaptée au monde – jusqu’au suicide.

2 Une œuvre chorale

  • Virginia Woolf bouscule les codes hérités du roman​ du XIXe siècle. Les longs soliloques juxtaposés des personnages permettent d’accéder à leur intériorité, quasiment sans aucune instance narrative. 
  • Les prises de parole sont fragmentées ; les personnages apparaissent et disparaissent comme le va-et-vient des vagues qui donnent son titre à l’œuvre. Les dîners à Hampton Court (ch. 4 et 8) sont des moments de tension puis de communion entre les personnages, qui semblent se confondre pour ne plus faire qu’un, « pétales » d’une même fleur symbolique. 
  • Les voix ne cessent de se tresser jusqu’au chapitre 9, long soliloque réflexif de Bernard face à un invité muet qui pourrait représenter le lecteur lui-même.

À NOTER Ces soliloques sont une variation sur le procédé littéraire du « flux de conscience » présent dans les monologues intérieurs d’Ulysse (James Joyce, 1922) ou de Mrs Dalloway (Virginia Woolf, 1925).

II - Une plongée dans l’intériorité

1 Des sensibilités troublées

  • Il s’agit pour l’autrice de capturer des « moments d’être » à travers le langage,​ malgré les difficultés des personnages à se définir tels qu’ils sont et à percevoir le monde qui les entoure ; il faut se faire « immensément réceptif, embrassant tout, tremblant de plénitude, pourtant limpide, maîtrisé » (ch. 9).
  • Les personnages sont hantés par des souvenirs d’enfance, traumatismes ineffaçables qui refont surface, inspirés de la psychanalyse freudienne. L’image du pommier s’impose à Neville comme un « obstacle incompréhensible » ; pour Rhoda, il s’agit du souvenir d’une flaque d’eau « grise et cadavérique » impossible à traverser, image obsédante de l’engloutissement et de la mort. 
  • Les impressions visuelles restent souvent indéchiffrables, comme cet « aileron dans le désert des eaux » perçu par Bernard, impossible à prendre aux rets du langage. Le personnage se prend à rêver d’une langue nouvelle faite « de mots interrompus, de mots inarticulés » capables de décrire subjectivement le monde.

2 Des personnages confrontés à l’absence

  • L’œuvre entière est hantée par la présence centrale, puis l’absence, d’un septième personnage totalement muet, Percival, qui part pour les Indes. 
  • À l’annonce de sa mort accidentelle (ch. 5), ses amis prennent conscience de la fragilité de la vie humaine. L’utilisation constante d’un présent très lyrique, à tonalité élégiaque, renforce la déploration. 
  • L’œuvre se clôt sur un défi chevaleresque à la mort : « Contre toi je me jetterai, invaincu et inébranlable, ô Mort ! » Mais les vagues continuent inexorablement de « se briser sur le rivage », sourdes aux affres des humains.​

À NOTER Les critiques ont noté des similitudes entre le personnage fantomatique de Percival et Thoby Stephen, le frère aîné de Virginia Woolf, mort en 1906 à l’âge de 26 ans.

La sensibilité à l’écran

Structurée de manière non linéaire, la narration du film 21 grammes d’Alejandro G. Iñárritu tresse les destins de trois personnages amenés à se croiser dans des circonstances tragiques. À l’image des personnages des Vagues, chacun cherche à faire la paix, tant bien que mal, avec ses souvenirs traumatiques et ses démons intérieurs. Le film invite à s’interroger sur l’amour, la culpabilité, la mort et le deuil. (21 grammes, film réalisé par Alejandro González Iñárritu (2003))