Pouvoir politique et magistère religieux : calife et empereur byzantin

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Plonge dans le IXᵉ siècle pour comparer deux grands modèles de pouvoir : le calife abbasside, chef politique et religieux contesté par les oulémas, et l’empereur byzantin, héritier de Rome qui encadre l’Église orthodoxe tout en affrontant le patriarche. Tu comprendras comment politique et religion s’articulent différemment à Bagdad et à Constantinople. Mots-clés : califat abbasside, empereur byzantin, pouvoir temporel, pouvoir spirituel, IXᵉ siècle, orthodoxie.

Introduction

Au IXe siècle, deux grandes puissances dominent la Méditerranée orientale et le Proche-Orient : le califat abbasside, avec Bagdad pour capitale, et l’Empire byzantin, centré sur Constantinople.

Dans ces deux mondes, le souverain incarne à la fois une autorité politique et une légitimité religieuse. Le calife se veut successeur de Mahomet et garant de l’unité de l’islam, tandis que l’empereur byzantin, héritier de Rome, protège et encadre l’Église orthodoxe.

Ces deux modèles permettent de comparer l’articulation entre pouvoir temporel (autorité politique sur les hommes) et pouvoir spirituel (autorité religieuse), ainsi que le rôle du magistère religieux, c’est-à-dire l’autorité doctrinale reconnue en matière de foi.

Le calife abbasside : entre pouvoir politique et légitimité religieuse

Le mot calife (de l’arabe khalîfa, « successeur ») désigne celui qui prend la suite de Mahomet après sa mort en 632. Il est chef de l’umma (mot arabe signifiant « communauté » des croyants musulmans). Mais contrairement au Prophète, il ne peut ni révéler ni interpréter directement le Coran. Son rôle est donc avant tout politique, même s’il s’appuie sur une légitimité religieuse.

Sous les Abbassides, l’appareil administratif reste puissant : collecte de l’impôt, réseau de gouverneurs, armées centralisées. Des califes comme al-Maʾmûn (813-833) ou al-Muʿtasim (833-842) incarnent encore une autorité forte. Al-Maʾmûn lance même la mihna (mot arabe signifiant « épreuve » ou « inquisition » religieuse) en 833 : il impose la doctrine du « Coran créé » et contraint les savants (oulémas, c’est-à-dire les spécialistes de la loi islamique) à s’y soumettre. Mais la mihna s’achève en 848, sous le calife al-Mutawakkil, par un retour à la liberté doctrinale. Cet échec confirme que le calife ne peut pas s’imposer durablement dans le domaine de la foi face aux oulémas.

Dès la fin du IXe siècle, l’autorité centrale s’affaiblit : les armées turques prennent de l’importance, les gouverneurs locaux s’autonomisent et certains territoires se détachent, comme l’émirat omeyyade de Cordoue (indépendant dès 756, proclamé califat en 929). Le calife conserve un prestige symbolique d’unité, mais son pouvoir réel se réduit progressivement.

À retenir

Le calife abbasside reste puissant au IXe siècle, mais la mihna montre les limites de son autorité religieuse. À partir de la fin du siècle, la fragmentation politique réduit son pouvoir effectif.

L’empereur byzantin : héritier de Rome et protecteur de l’orthodoxie

À Byzance, l’empereur concentre les pouvoirs militaires, législatifs et administratifs. Héritier de Rome, il est qualifié d’isapostolos (mot grec signifiant « égal aux apôtres »), ce qui lui donne un prestige sacré. Toutefois, il n’est pas chef religieux au sens strict : le patriarche de Constantinople conserve l’autorité doctrinale. L’empereur encadre, protège et contrôle l’Église, mais il ne peut s’y substituer.

Cette relation est souvent marquée par des tensions. L’exemple du patriarche Photius, au IXe siècle, impliqué dans le schisme de 863 avec Rome, montre que l’empereur intervient directement dans les affaires ecclésiastiques, sans pouvoir éliminer le rôle central du clergé. Les historiens parlent parfois de césaro-papisme (domination de l’empereur sur l’Église), mais il s’agit en réalité d’une collaboration conflictuelle où empereur et patriarche s’affrontent pour l’influence.

L’iconoclasme (726-843), qui impose la destruction des images saintes, illustre ce rapport de force. Le « triomphe de l’orthodoxie » en 843 rétablit définitivement le culte des icônes et renforce l’autorité du clergé. L’empereur doit désormais composer avec une Église plus solide.

Le Xe siècle est marqué par un redressement politique et militaire, porté par la dynastie macédonienne. Basile Ier (867-886) restaure l’administration et consolide l’empire. Plus tard, Basile II (976-1025) remporte de grandes victoires militaires, dont celle de Kleidion en 1014 contre les Bulgares, qui lui vaut le surnom de « tueur de Bulgares ». Cet exemple dépasse le cadre du IXᵉ siècle, mais il illustre le renouveau byzantin et la force durable de l’autorité impériale.

À retenir

L’empereur byzantin est à la fois héritier de Rome et protecteur de l’orthodoxie. Mais son autorité religieuse est limitée par le patriarche, et après 843 il doit composer avec un clergé renforcé.

Similitudes et différences entre calife et empereur

Calife et empereur partagent un même modèle : ils prétendent gouverner « au nom de Dieu » et garantir l’unité de leur communauté religieuse. Tous deux incarnent une figure de souverain universel, liant autorité politique et légitimité religieuse.

Mais leurs parcours divergent. Le calife abbasside revendique la succession du Prophète mais son autorité religieuse est contestée par les oulémas, et son pouvoir politique décline dès la fin du IXe siècle. L’empereur byzantin, héritier de Rome, consolide au contraire son pouvoir et encadre l’Église orthodoxe, malgré les tensions avec le patriarche. Là où le monde musulman se fragmente, Byzance parvient à se renforcer au Xe siècle.

À retenir

Le calife et l’empereur byzantin représentent deux façons d’articuler politique et religion : l’un gouverne en chef politique appuyé sur une légitimité symbolique, l’autre impose son autorité sur l’Église tout en devant composer avec elle.

Conclusion

Aux IXe-Xe siècles, le califat abbasside et l’Empire byzantin offrent deux modèles contrastés d’union entre pouvoir et religion. Le calife de Bagdad dispose encore d’un pouvoir fort mais la mihna (833-848) révèle son incapacité à contrôler durablement la doctrine, et la fragmentation politique affaiblit son autorité.

L’empereur byzantin, héritier de Rome, protège et encadre l’Église orthodoxe, mais doit composer avec le patriarche et un clergé renforcé après 843. Tandis que le califat se fragmente, Byzance consolide sa puissance au Xe siècle, jusqu’aux victoires emblématiques de Basile II. Ces trajectoires opposées révèlent la diversité des rapports entre pouvoir temporel et magistère spirituel (autorité doctrinale en matière de foi) dans le monde médiéval.