Introduction
Pourquoi certaines entreprises semblent-elles imposer leurs prix alors que d’autres doivent se plier à la loi du marché ? Dans un marché concurrentiel, les producteurs sont preneurs de prix : ils acceptent celui fixé par l’offre et la demande. Mais dans de nombreux cas réels, certaines firmes disposent d’un pouvoir de marché, c’est-à-dire la capacité d’influencer directement les prix ou les quantités échangées.
Ce pouvoir peut venir d’un petit nombre d’offreurs, d’ententes entre entreprises, de barrières à l’entrée ou de situations de monopole. Pour comprendre ces mécanismes, il faut aussi examiner le rôle de la politique de la concurrence, c’est-à-dire l’action publique visant à encadrer et surveiller les marchés afin d’éviter les abus.
Oligopoles et ententes : le rôle de la théorie des jeux
Quand un marché est dominé par quelques grandes entreprises, on parle d’oligopole. Dans ce cas, chaque firme surveille les décisions des autres et adapte sa stratégie. C’est le cas des smartphones (Apple, Samsung, Huawei, Xiaomi) ou de l’automobile.
La théorie des jeux propose une grille de lecture pour analyser ces comportements. Le dilemme du prisonnier illustre pourquoi les entreprises ont intérêt à s’entendre pour maintenir des prix élevés, mais aussi pourquoi chaque acteur peut être tenté de rompre l’accord. Il faut rappeler qu’il s’agit d’un modèle simplifié, utile pour comprendre la logique de l’oligopole, mais qui ne reflète pas toute la complexité des marchés réels.
Certaines ententes sont institutionnalisées et légales, comme l’OPEP qui coordonne la production de pétrole. D’autres sont illégales en droit européen, comme le cartel des camions ou celui du ciment, sanctionnés par la Commission européenne.
À retenir
En oligopole, les entreprises peuvent être tentées de coopérer. Le dilemme du prisonnier illustre cette logique, mais ce n’est qu’un modèle simplifié.
Le monopole : un équilibre inefficace
Dans un monopole, une seule entreprise contrôle le marché. Elle est faiseuse de prix : elle choisit le prix qui maximise son profit en réduisant la quantité produite. L’équilibre du monopole est dit inefficace, car la quantité échangée est plus faible et le prix plus élevé qu’en concurrence parfaite. Une partie des gains à l’échange disparaît : c’est ce que l’on appelle une perte sèche, c’est-à-dire la destruction d’une partie des gains de l’échange qui ne profite ni aux consommateurs, ni aux producteurs, ni à l’État.
Un cas particulier est le monopole naturel, qui apparaît quand les coûts fixes sont très élevés et que les rendements d’échelle sont croissants. Dans ce cas, il est plus efficace d’un point de vue productif qu’une seule entreprise couvre tout le marché, car les coûts sont plus faibles. C’est le cas des réseaux ferroviaires ou de la distribution d’eau. Mais un tel monopole peut rester inefficace du point de vue allocatif s’il fixe des prix trop élevés : dans ce cas, certains consommateurs sont exclus de l’accès au bien.
Enfin, il existe des monopoles légaux, créés par la loi, comme celui de la Française des Jeux qui a existé jusqu’en 2019. Depuis l’ouverture à la concurrence, la FDJ n’est plus en monopole strict, mais reste un acteur dominant du secteur.
À retenir
En monopole, l’entreprise fixe le prix et réduit la quantité produite. Cela entraîne un prix trop élevé, une perte sèche et donc une inefficacité allocative.
Les barrières à l’entrée : structurelles et stratégiques
Le pouvoir de marché peut aussi venir des barrières à l’entrée, c’est-à-dire des obstacles empêchant l’arrivée de nouveaux concurrents.
Les barrières structurelles sont liées aux caractéristiques du marché. Elles peuvent être légales (brevets accordant un monopole temporaire, monopoles institutionnels comme la FDJ avant 2019), technologiques (difficulté à imiter une innovation complexe), financières (coûts d’investissement énormes dans l’aéronautique, l’énergie) ou encore liées aux rendements d’échelle (monopole naturel).
Les barrières stratégiques sont créées volontairement par les firmes déjà en place. Une entreprise dominante peut par exemple pratiquer des prix prédateurs pour dissuader les nouveaux entrants, ou verrouiller le marché avec des contrats d’exclusivité. Google a ainsi été accusé par la Commission européenne d’imposer son moteur de recherche sur Android pour limiter la concurrence.
À retenir
Les barrières à l’entrée peuvent être structurelles (liées au marché) ou stratégiques (créées par les firmes). Elles limitent la concurrence et renforcent le pouvoir de marché.
La politique de la concurrence : efficacité et protection
Pour éviter que le pouvoir de marché ne réduise trop la concurrence, l’État et l’Union européenne mènent une politique de la concurrence. C’est une politique publique de long terme (souvent appelée « politique structurelle ») qui vise à organiser durablement l’économie. Elle a deux objectifs complémentaires : favoriser l’efficacité économique (en stimulant la concurrence et l’innovation) et protéger le bien-être des consommateurs (prix plus bas, plus de choix).
Concrètement, cette politique agit de trois façons. Elle sanctionne les ententes illégales (comme le cartel des camions). Elle lutte contre les abus de position dominante, comme lorsque Google a été condamné pour avoir favorisé son comparateur de prix. Elle contrôle les fusions-acquisitions afin d’éviter que des rapprochements ne créent des entreprises trop puissantes capables d’éliminer la concurrence.
À retenir
La politique de la concurrence protège les consommateurs et favorise l’efficacité économique en surveillant ententes, abus de position dominante et fusions-acquisitions.
Conclusion
Le pouvoir de marché peut naître d’un petit nombre d’offreurs, d’ententes, de barrières à l’entrée ou d’un monopole. Ces situations donnent aux entreprises la possibilité d’influencer les prix, ce qui entraîne souvent une perte d’efficacité et une réduction des gains à l’échange. L’exemple du monopole naturel montre qu’un marché peut être efficace d’un point de vue productif mais inefficace d’un point de vue allocatif.
Pour préserver la concurrence, protéger les consommateurs et encourager l’innovation, les pouvoirs publics encadrent ces pratiques à travers la politique de la concurrence. C’est ainsi que l’économie cherche à concilier efficacité et justice dans le fonctionnement des marchés.
