Les socialisations secondaires au cours de la vie

icône de pdf
Signaler
Dans cette leçon, tu vas découvrir comment la socialisation secondaire transforme les apprentissages de l’enfance à travers le travail, la vie conjugale et familiale, les pairs, les médias et l’engagement politique. Tu comprendras comment ces influences, parfois complémentaires ou contradictoires, façonnent les identités et expliquent la diversité des parcours sociaux. Mots-clés : socialisation secondaire, socialisation professionnelle, socialisation conjugale, socialisation politique, pairs, médias.

Introduction

La socialisation ne s’achève pas à l’enfance. Tout au long de la vie, les individus continuent d’apprendre à agir, penser et ressentir selon de nouveaux contextes sociaux. Entrer dans le monde du travail, former un couple ou s’engager politiquement sont autant d’expériences qui modifient les dispositions acquises dans l’enfance. Les sociologues Berger et Luckmann, Kaufmann, Zolesio, Baloge et Muxel ont montré que ces socialisations secondaires ne se contentent pas de reproduire la socialisation primaire : elles peuvent la prolonger, la transformer ou la contredire.

La socialisation secondaire selon Berger et Luckmann : un apprentissage continu

Dans La construction sociale de la réalité (1966), Peter Berger et Thomas Luckmann distinguent la socialisation primaire, acquise dans l’enfance au sein de la famille, de l’école et des premiers groupes d’appartenance, et la socialisation secondaire, qui intervient plus tard, lors de l’entrée dans de nouveaux univers sociaux.

La première fournit les cadres fondamentaux de la pensée et du comportement ; la seconde permet d’apprendre les règles spécifiques à des “sous-mondes” institutionnels (travail, couple, vie politique, univers associatif…). C’est une socialisation d’ajustement, mais aussi de réinterprétation : elle transforme parfois les dispositions héritées.

À retenir

La socialisation secondaire est un processus d’adaptation à de nouveaux environnements sociaux, au cours duquel les individus réactualisent ou transforment les apprentissages de leur enfance.

La socialisation professionnelle : construire une identité de métier

L’entrée dans la vie active constitue une expérience majeure de socialisation secondaire. Elle confronte l’individu à de nouvelles normes : hiérarchie, langage professionnel, codes implicites, exigences de productivité ou de comportement. C’est aussi une construction identitaire, car le travail redéfinit la manière dont chacun se perçoit et est perçu.

Dans Des femmes dans un métier d’hommes. La fabrication d’une identité professionnelle (2009), Anne Zolesio analyse la construction d’une identité professionnelle genrée dans le milieu de la chirurgie, historiquement masculin. Elle montre comment les femmes chirurgiennes apprennent à conjuguer les attentes du métier — technicité, autorité, résistance à la fatigue — avec les normes de genre. Leur socialisation professionnelle implique un travail sur le corps, le langage, les émotions, et parfois une mise à distance des dispositions féminines héritées.

La socialisation professionnelle, en façonnant des manières d’être, de parler et de ressentir, prolonge ou contredit la socialisation familiale : elle peut conforter des valeurs inculquées dans l’enfance (discipline, réussite) ou, au contraire, bousculer des apprentissages liés au genre ou au milieu social.

À retenir

Le monde du travail socialise les individus à des normes spécifiques et participe à la construction d’identités professionnelles souvent genrées et hiérarchisées.

La socialisation conjugale : un apprentissage quotidien du vivre ensemble

Selon Jean-Claude Kaufmann, la vie de couple est un lieu privilégié de socialisation réciproque. Dans La trame conjugale (1992), il montre que le couple ne repose pas seulement sur des sentiments, mais sur une négociation permanente des habitudes et des rôles : qui fait quoi, comment on s’organise, quelles sont les attentes implicites envers le partenaire.

La cohabitation oblige chacun à ajuster ses dispositions héritées. Les manières de ranger, de gérer l’argent, de partager les tâches domestiques ou de s’exprimer traduisent des socialisations antérieures, souvent différenciées selon le genre. Ces pratiques sont issues d’une longue transmission familiale, mais la vie conjugale peut les réinventer : elle autorise des compromis et des redéfinitions des rôles, notamment dans les couples égalitaires ou recomposés.

À retenir

La socialisation conjugale révèle les dispositions acquises dans la famille d’origine, mais permet aussi leur transformation à travers les interactions et négociations quotidiennes.

La socialisation politique : un apprentissage civique continu

La socialisation politique se poursuit tout au long de la vie adulte.

Dans Avoir 20 ans en politique (2001), Anne Muxel introduit la notion de latence politique pour désigner la période de relative distance des jeunes adultes vis-à-vis du politique, avant qu’ils ne construisent leurs propres convictions. Plus tard, dans Individus et politique (2011), elle montre que les orientations politiques se redéfinissent à mesure que les individus accumulent des expériences professionnelles, familiales ou militantes.

Les repères transmis par la famille et l’école sont réinterprétés selon les contextes de vie : certains renforcent leur identification partisane, d’autres s’en détachent, voire s’abstiennent. Cette socialisation continue permet d’expliquer la diversité des rapports au vote, à l’engagement ou à la contestation.

Le travail de Cyril Baloge, dans Les mondes sociaux de la participation politique (2015), prolonge empiriquement les analyses de Muxel. En étudiant les sociabilités militantes — syndicats, associations, partis, collectifs citoyens — il montre comment les échanges et les pratiques partagées façonnent les identités politiques. La socialisation politique passe ainsi par des expériences collectives concrètes, où se réapprennent la coopération, le débat et le sens de l’action publique.

À retenir

La socialisation politique ne s’arrête pas à l’école : elle se réactive dans les interactions professionnelles, familiales et militantes. Les expériences sociales concrètes prolongent ou modifient les dispositions héritées.

Continuités, transformations et contradictions entre socialisations

Les socialisations secondaires ne remplacent pas la socialisation primaire : elles la reformulent selon les situations vécues.

  • Continuité : les valeurs transmises dans l’enfance — goût de l’effort, confiance en soi, respect de la hiérarchie — peuvent s’épanouir dans la vie professionnelle.

  • Transformation : de nouvelles expériences (engagement, vie de couple, changement de métier) amènent à ajuster ou redéfinir ces valeurs.

  • Contradiction : les univers rencontrés peuvent contester les dispositions antérieures, comme dans le cas d’un individu issu d’un milieu populaire intégré à un environnement professionnel bourgeois, ou d’une femme socialisée à la discrétion amenée à s’affirmer dans un métier d’autorité.

Ces décalages entre socialisations successives expliquent la plasticité des identités : les individus composent en permanence avec leurs héritages et leurs nouvelles expériences.

À retenir

Les socialisations secondaires prolongent, ajustent ou contredisent la socialisation primaire. Elles traduisent la capacité des individus à se reconfigurer face à des mondes sociaux multiples.

Conclusion

La socialisation n’est pas un apprentissage figé dans l’enfance : elle se poursuit tout au long de la vie. Profession, couple, engagement politique ou militantisme réactivent et transforment les dispositions héritées. De Berger et Luckmann à Muxel, en passant par Zolesio, Kaufmann et Baloge, la sociologie montre que l’individu adulte reste un être en apprentissage constant. Chaque nouvelle expérience sociale réécrit partiellement les précédentes, révélant une identité toujours en mouvement.