Introduction
Pour analyser les inégalités économiques et sociales, les chercheurs et les décideurs publics s’appuient sur des outils statistiques rigoureux. Ces indicateurs permettent de quantifier les écarts de revenus ou de patrimoine entre individus ou groupes sociaux, de suivre leur évolution dans le temps et de comparer différentes sociétés.
Leur usage est indispensable pour évaluer l’impact des politiques publiques, diagnostiquer les déséquilibres sociaux et éclairer les débats sur la justice économique. Une bonne maîtrise de ces outils est donc essentielle pour toute analyse rigoureuse des inégalités.
La courbe de Lorenz et le coefficient de Gini : représenter la concentration des richesses
La courbe de Lorenz est un outil graphique qui permet de représenter la répartition des revenus ou du patrimoine dans une population. En abscisse, on place la part cumulée de la population (du plus pauvre au plus riche) et, en ordonnée, la part cumulée du revenu ou du patrimoine total détenu. Plus la courbe s’éloigne de la droite d’égalité parfaite (45°), plus les inégalités sont fortes. Cette représentation visuelle rend immédiatement perceptible la concentration des richesses dans une société.
Le coefficient de Gini découle directement de cette courbe. Il mesure l’aire située entre la courbe de Lorenz et la droite d’égalité, rapportée à l’aire totale sous cette droite. Il varie théoriquement entre 0 (égalité parfaite) et 1 (inégalité totale), mais peut aussi être exprimé en pourcentage de 0 à 100 selon les sources. L’unité utilisée doit donc toujours être précisée afin d’éviter les erreurs d’interprétation.
Exemples : en France, le coefficient de Gini des revenus disponibles (après redistribution) est d’environ 0,29, ce qui traduit un niveau d’inégalité modéré. En Afrique du Sud, il dépasse 0,60, révélant une très forte concentration des revenus dans les mains d’une minorité.
À retenir
La courbe de Lorenz visualise la répartition des revenus ou du patrimoine, et le coefficient de Gini permet de la mesurer de façon synthétique. Plus le coefficient est élevé, plus la concentration est forte.
Les déciles, centiles et le top 1 % : situer les individus dans la distribution
Les déciles (D1, D9, etc.) divisent la population en dix groupes égaux classés selon leur revenu. Le rapport inter-décile D9/D1 indique l’amplitude des écarts de revenus entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres. Plus ce rapport est élevé, plus les inégalités de revenus sont marquées.
Les centiles, eux, permettent des observations plus fines, notamment sur les très hauts revenus. L’analyse du top 1 %, voire du top 0,1 %, met en évidence la part croissante des plus riches dans le revenu global, en particulier depuis les années 1980 dans certains pays développés. Ces indicateurs permettent donc de suivre la concentration des revenus au sommet de la distribution.
Exemples : en France, le rapport D9/D1 est d’environ 3 après redistribution, ce qui traduit une inégalité contenue grâce aux mécanismes de solidarité. Aux États-Unis, selon l’économiste Thomas Piketty (né en 1971), spécialiste de la répartition des richesses, le top 1 % capte plus de 20 % du revenu national, contre environ 10 % dans les années 1980.
À retenir
Les déciles et centiles permettent d’observer les inégalités entre groupes. Ils sont utiles pour repérer les inégalités extrêmes et mesurer les écarts au sein de la distribution des revenus.
Le seuil de pauvreté relative et l’indice de Palma : focaliser sur les extrémités
Le seuil de pauvreté relative désigne le niveau de revenu en dessous duquel une personne est considérée comme pauvre par rapport au reste de la population. Il est fixé à 60 % du revenu médian par unité de consommation. Cet indicateur ne mesure pas l’inégalité au sens strict, mais il permet de suivre l’évolution de la pauvreté dans un contexte donné, en lien avec la répartition générale des revenus. Exemple : si le revenu médian par unité de consommation est de 24 000 €, le seuil de pauvreté est de 14 400 €. Cet outil est souvent mobilisé pour évaluer l’impact d’une réforme sociale sur les populations les plus modestes.
L’indice de Palma compare la part du revenu national détenue par les 10 % les plus riches à celle détenue par les 40 % les plus pauvres. Il met donc l’accent sur les extrémités de la distribution et permet des comparaisons internationales lisibles. Il complète utilement le coefficient de Gini en se concentrant sur les écarts entre les plus riches et les plus pauvres.
Exemples : en Suède, l’indice de Palma est proche de 1, ce qui traduit une relative égalité. Au Brésil, il peut dépasser 3, indiquant une forte concentration du revenu au sommet de la pyramide sociale.
À retenir
Le seuil de pauvreté relative identifie les situations de précarité économique. L’indice de Palma met en lumière les écarts entre les plus riches et les plus pauvres et complète les autres indicateurs d’inégalité.
Des indicateurs au service de l’action publique
Les indicateurs d’inégalités sont des instruments essentiels pour guider et évaluer les politiques économiques et sociales. Ils permettent aux pouvoirs publics de mesurer concrètement les effets des décisions prises sur la répartition des revenus et des richesses, et d’ajuster les politiques en fonction des résultats observés.
Ainsi, une réforme fiscale peut être évaluée à travers son impact sur le coefficient de Gini avant et après redistribution. Une baisse du Gini indique que la politique mise en œuvre a eu un effet égalisateur, c’est-à-dire qu’elle a réduit les écarts de revenus. À l’inverse, une hausse du Gini signale que la réforme a creusé les inégalités. Ces variations, même modestes, constituent des signaux précieux pour l’évaluation des politiques publiques.
Les organisations internationales comme l’OCDE ou la Banque mondiale mobilisent également ces indicateurs pour comparer les pays. Elles utilisent notamment le rapport D9/D1 ou l’indice de Palma pour évaluer la concentration des richesses et identifier les modèles de redistribution les plus efficaces. Ces comparaisons internationales aident les gouvernements à s’inspirer des politiques réussies ailleurs et à comprendre les limites de leurs propres dispositifs.
Les indicateurs d’inégalités servent aussi à mesurer l’effet des politiques de l’emploi et des salaires. Par exemple, une hausse du salaire minimum peut réduire le nombre d’individus vivant sous le seuil de pauvreté et améliorer la cohésion sociale. De même, le suivi des indicateurs permet de repérer les effets différenciés des crises économiques, comme celle de 2008, sur les différentes catégories de population. Les décideurs peuvent alors cibler plus efficacement leurs interventions, en renforçant la protection sociale des ménages les plus vulnérables.
En somme, ces outils statistiques ne sont pas de simples instruments de mesure : ils sont de véritables leviers d’action publique. En permettant de quantifier les inégalités, ils offrent une base solide pour concevoir, ajuster et évaluer les politiques destinées à rendre la société plus équitable.
À retenir
Les indicateurs d’inégalités ne sont pas de simples outils descriptifs : ils servent à orienter les politiques publiques, à mesurer leurs effets concrets sur la société et à renforcer la cohésion sociale en identifiant les actions les plus efficaces.
Conclusion
Analyser les inégalités exige de mobiliser des indicateurs adaptés à la diversité des situations : courbe de Lorenz, coefficient de Gini, déciles, top 1 %, seuil de pauvreté relative et indice de Palma. Chacun offre une perspective particulière et présente des atouts spécifiques.
Une analyse rigoureuse repose sur la combinaison de ces outils, leur interprétation critique et leur usage contextualisé dans l’espace et dans le temps. Ils constituent une base indispensable pour toute réflexion sur la répartition des richesses et sur la conception de politiques publiques équitables à l’ère des transformations économiques et sociales contemporaines.
