Introduction
Dans le monde contemporain, la puissance ne se mesure pas seulement en termes militaires ou économiques. Elle s’exprime aussi à travers la langue, qui constitue un vecteur d’influence culturelle, diplomatique et idéologique. Une langue diffusée au-delà de ses frontières permet de façonner les imaginaires, de faciliter les échanges et d’imposer des normes. C’est ce que les relations internationales appellent le soft power, ou « puissance douce » : la capacité d’un État à séduire et influencer sans recourir à la contrainte militaire ou économique. Aujourd’hui, l’anglais domine largement les communications internationales, le français reste une langue de culture et de diplomatie grâce à la francophonie, tandis que le mandarin cherche à s’imposer à travers les instituts Confucius créés par la Chine.
Ces stratégies linguistiques illustrent l’importance de la langue comme instrument de puissance indirecte, au même titre que les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) ou les « nouvelles routes de la soie ».
L’anglais : une langue mondiale
L’anglais est aujourd’hui la lingua franca de la mondialisation, c’est-à-dire la langue utilisée par des locuteurs de différentes origines pour communiquer. Sa diffusion s’explique par l’expansion coloniale britannique, puis par la puissance américaine au XXe siècle.
Il est la langue dominante dans le commerce, la recherche scientifique, la diplomatie et Internet. Dans les organisations internationales comme l’ONU, l’anglais est l’une des six langues officielles (aux côtés du français, de l’espagnol, du russe, de l’arabe et du chinois). Il reste aussi central au sein de l’OTAN et de l’Union européenne. Même après le Brexit, il demeure une langue de travail essentielle des institutions européennes.
La culture mondiale renforce cette domination : Hollywood, les séries Netflix, ou encore les GAFAM diffusent massivement des contenus qui font de l’anglais une langue quasi universelle.
Mais cette domination n’est pas sans critiques. L’accès à l’anglais est inégal : les élites urbaines et les classes sociales favorisées le maîtrisent mieux que les populations rurales ou défavorisées, ce qui crée une fracture linguistique. Certains dénoncent aussi le « globish », un anglais simplifié et mondialisé, accusé d’uniformiser les cultures et de menacer la diversité linguistique mondiale.
À retenir
L’anglais domine la mondialisation, mais il coexiste avec d’autres langues officielles dans les institutions internationales, et son succès alimente aussi des critiques sur l’uniformisation culturelle.
Le français : la francophonie comme outil diplomatique
Le français occupe une place particulière dans l’histoire des relations internationales. Langue de la diplomatie européenne dès le XVIIᵉ siècle, il conserve une forte légitimité : il est langue officielle de l’ONU, de l’Union européenne, de l’UNESCO ou du Comité international olympique.
Aujourd’hui, cette influence s’appuie sur l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui regroupe 88 États et gouvernements (54 membres, 7 associés, 27 observateurs). Cette diversité illustre le rayonnement mondial du français, mais aussi ses tensions internes : certains dénoncent le poids excessif de la France, tandis que l’Afrique, où le français progresse rapidement, joue un rôle croissant. La francophonie est en réalité plurielle, faite de cultures et de trajectoires diverses.
En 2022, on comptait environ 300 millions de francophones, mais les projections estiment qu’ils seront près de 700 millions en 2050, dont une majorité en Afrique. Cet élément démographique est essentiel pour comprendre l’avenir du français comme langue d’influence. Mais cette progression n’empêche pas les débats : dans des pays comme le Sénégal ou le Mali, des voix s’élèvent pour défendre les langues locales face au français, perçu par certains comme un héritage colonial à relativiser.
La francophonie s’incarne aussi dans des institutions culturelles comme l’Alliance française, réseau de centres d’enseignement et de diffusion culturelle comparable aux instituts Confucius chinois. Les sommets de la francophonie, comme celui de Djerba en 2022, constituent des moments diplomatiques importants, où se discutent les enjeux politiques, économiques et linguistiques.
À retenir
Le français reste une langue diplomatique et culturelle majeure, mais son avenir dépend largement de l’Afrique, tout en étant traversé par des tensions entre promotion internationale et revendications locales.
Le mandarin et les instituts Confucius : l’ambition chinoise
Depuis les années 2000, la Chine a fait de la diffusion du mandarin un objectif stratégique. Elle a créé les instituts Confucius, centres culturels chargés de promouvoir la langue et la culture chinoises. Au début des années 2020, on comptait environ 530 instituts Confucius et 1 100 classes Confucius dans le monde. Toutefois, ce chiffre a récemment diminué dans certains pays occidentaux, notamment aux États-Unis ou en Suède, qui ont fermé plusieurs implantations en raison de critiques politiques.
Mais dans d’autres régions, ces instituts connaissent un succès certain. En Afrique ou en Asie centrale, ils sont perçus comme une opportunité d’apprentissage et d’ouverture vers la Chine, désormais premier partenaire commercial de nombreux pays. Ils attirent un nombre croissant d’étudiants et soutiennent la diplomatie culturelle de Pékin.
Le choix du nom « Confucius » vise à projeter une image de sagesse et d’harmonie, associée à la tradition philosophique chinoise. L’apprentissage du mandarin est encouragé par la montée en puissance économique de la Chine, qui en fait une compétence valorisée sur le marché du travail international.
À retenir
Le mandarin progresse grâce aux instituts Confucius, instruments du soft power chinois, dont la réception varie entre rejet en Occident et accueil favorable en Afrique et en Asie.
Conclusion
L’anglais, le français et le mandarin montrent que la langue est un instrument essentiel de la puissance internationale. L’anglais domine la mondialisation, mais soulève des critiques liées aux inégalités d’accès et à l’uniformisation culturelle. Le français conserve un rôle diplomatique et culturel majeur, renforcé par la dynamique démographique africaine mais traversé par des débats politiques. Le mandarin, via les instituts Confucius, gagne du terrain malgré des résistances.
Ces trois langues rappellent que la domination linguistique n’efface pas la diversité linguistique mondiale : des milliers de langues continuent d’exister, mais certaines sont menacées de disparition, ce qui alimente des débats sur la préservation des patrimoines culturels. La langue, en tant que forme de puissance douce, révèle ainsi les tensions entre uniformisation mondiale et défense des identités locales.
