La science moderne repose sur une méthode rigoureuse fondée sur l’observation, l’expérimentation et la formulation d’hypothèses réfutables. Elle a permis des progrès décisifs dans la compréhension de la nature, l’amélioration des conditions de vie, et la transformation du monde. Pour cette raison, elle est parfois perçue comme une forme de vérité suprême, voire définitive. Mais peut-on vraiment considérer que la science produit une vérité indépassable, ou doit-on au contraire admettre qu’elle reste toujours inachevée, située, perfectible ?
Nous verrons d’abord que la science vise une vérité fondée sur la raison et l’expérience. Nous montrerons ensuite qu’elle repose sur un rapport provisoire au vrai, toujours susceptible de révision. Enfin, nous soulignerons que certaines dimensions du réel, notamment humaines, échappent partiellement à son champ de validité.
La science : une méthode rationnelle pour connaître le réel
La science moderne prend son essor avec la méthode expérimentale et mathématique initiée notamment par Galilée au 17ᵉ siècle. Il ne s’agit plus d’expliquer la nature par des causes finales ou des spéculations métaphysiques, mais de formuler des lois quantitatives vérifiables à partir de phénomènes observables. La connaissance devient mathématisée, et repose sur une confrontation systématique à l’expérience.
Descartes, dans Le Discours de la méthode, soutient que l’esprit humain peut atteindre des vérités certaines s’il suit une méthode rigoureuse fondée sur l’analyse, la déduction et l’évidence. Cette exigence fonde la science moderne comme recherche rationnelle d’un savoir universel, indépendant des opinions ou des traditions.
La science n’est pas une croyance ni une idéologie. Elle se distingue par ses critères de validité : objectivité, reproductibilité, cohérence logique. Elle permet de prédire, de contrôler certains phénomènes, et d’établir des liens de causalité explicites. Dans de nombreux domaines (physique, biologie, médecine), elle constitue la forme de savoir la plus fiable dont nous disposions.
Une vérité en constante révision
Cependant, la science n’est pas une vérité absolue : elle avance par approximations successives, en intégrant le doute, la critique, la révision permanente de ses modèles. Elle ne prétend pas à une certitude définitive, mais à une compréhension toujours amendable.
Karl Popper insiste sur ce point dans La logique de la découverte scientifique : une théorie n’est jamais prouvée, mais seulement corrigée par la réfutation. Une proposition scientifique est dite vraie tant qu’elle n’a pas été invalidée ; elle est donc toujours exposée à la possibilité d’être dépassée. C’est ce qui distingue la science des dogmes : elle accepte l’erreur comme moteur de progrès.
Thomas Kuhn, dans La structure des révolutions scientifiques, ajoute que la science progresse par changements de paradigmes : un cadre explicatif dominant peut être abandonné lorsqu’un nouveau modèle rend mieux compte des phénomènes. Il ne s’agit pas simplement d’une accumulation de découvertes, mais de ruptures dans la manière même de concevoir le réel. Bien que Popper et Kuhn aient des perspectives différentes, ils s’accordent sur un point : la science n’est pas figée, elle évolue.
En ce sens, on ne peut pas dire que la science détient une vérité indépassable. Elle produit un savoir rigoureux, mais toujours situé dans une époque, un cadre conceptuel, une limite d’observation. Sa force ne réside pas dans sa prétention à l’infaillibilité, mais dans sa capacité à se corriger et à progresser.
Des objets et des dimensions qui échappent à son champ
La science, en tant que savoir rationnel et méthodique, n’a pas vocation à tout expliquer. Elle permet de décrire comment les choses fonctionnent, mais ne répond pas toujours aux questions de sens, de valeur ou d’expérience subjective.
Dans Soi-même comme un autre, Paul Ricœur souligne que l’humain ne peut être réduit à ses déterminismes biologiques ou sociaux : il est aussi un sujet interprétant, un être de parole, de mémoire et de responsabilité. La science peut analyser le fonctionnement du cerveau, mais ne saurait, à elle seule, rendre compte de la conscience morale, de la liberté ou de l’identité personnelle.
Par ailleurs, dans des domaines complexes comme l’écologie, la santé globale ou les systèmes économiques, les interactions sont si multiples, non linéaires, instables, qu’il est difficile d’anticiper tous les effets. Ce constat rejoint les réflexions sur la complexité, qui montrent que certains phénomènes ne sont pas imprévisibles en principe, mais trop intriqués pour être intégralement modélisés. Cela n’invalide pas la démarche scientifique, mais rappelle ses limites d’application.
Enfin, la science ne formule pas elle-même les finalités humaines. On peut comprendre les mécanismes du réchauffement climatique, sans que cela nous dise comment agir. Les choix politiques, éthiques ou existentiels dépassent le domaine du constat scientifique et relèvent d’un autre type de rationalité : celle du jugement, du débat, de la délibération collective.
Conclusion
La science constitue un mode de connaissance d’une rigueur et d’une efficacité inégalées, reposant sur l’expérience, la logique et la mise à l’épreuve constante. Elle vise une vérité objective, mais toujours provisoire, révisable, contextualisée.
Elle ne peut donc pas être considérée comme une vérité indépassable. Sa puissance tient précisément à sa capacité à se corriger, à se reformuler, à s’ouvrir à la complexité du réel. Elle ne dit pas tout sur l’homme, la vie ou le sens, mais elle contribue de manière décisive à éclairer ce que nous pouvons savoir avec certitude.
Reconnaître ses limites n’est pas la rejeter : c’est lui rendre justice comme savoir critique et méthodique, indispensable, mais non exclusif. La science ne remplace pas la totalité de la pensée humaine, mais elle y occupe une place essentielle.