La science a-t-elle réponse à tout ?

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Dans cette leçon, tu verras que la science repose sur l’idée que tout peut être compris, mais qu’elle reconnaît aussi ses propres limites face à la complexité du réel. Tu apprendras qu’admettre ce que l’on ne sait pas n’est pas une faiblesse, mais une preuve de rigueur intellectuelle. Mots-clés : science, intelligibilité, complexité, Heisenberg, Edgar Morin, rationalité

La science, fondée sur l’observation, l’expérimentation et le raisonnement, a permis de considérables avancées dans la compréhension du monde. Elle a éclairé de nombreux mystères, réduit l’ignorance et amélioré les conditions de vie. Forte de ces succès, on pourrait être tenté de croire qu’elle a, ou aura un jour, réponse à tout. Mais cette idée suppose que le monde est entièrement intelligible et que l’esprit humain en est capable. Faut-il penser que tout est explicable, ou bien admettre des limites à la connaissance scientifique ?

Nous verrons d’abord que la science repose sur un principe fort d’intelligibilité universelle. Puis nous montrerons que, même si ce principe reste théoriquement défendable, la complexité du réel et les limites de notre compréhension en réduisent la portée pratique. Enfin, nous interrogerons ce que signifie ignorer sans renoncer à la rationalité.

La science suppose une intelligibilité universelle du monde

La démarche scientifique repose sur une hypothèse fondatrice : tout phénomène a une cause rationnelle, susceptible d’être découverte. Cette idée est formulée par Leibniz dans les Principes de la nature et de la grâce : « Aucun fait ne saurait être vrai ou exister sans qu’il y ait une raison suffisante pour qu’il en soit ainsi et non autrement ». Ce principe de raison suffisante fonde l’idée même de recherche : si tout a une cause, il est légitime de chercher à l’identifier.

Depuis Galilée, la science moderne se développe dans la conviction que le réel peut être modélisé, mesuré, compris. L’astronomie, la physique, la chimie, la biologie ont permis des découvertes spectaculaires grâce à des lois mathématiques et des méthodes rigoureuses. Cette réussite nourrit une confiance dans la capacité, en droit, de tout expliquer rationnellement.

Même dans des domaines complexes comme la génétique ou les sciences du climat, les chercheurs avancent en construisant des modèles toujours plus précis. L’idée que la science pourrait répondre à toutes les questions repose donc sur une confiance dans l’ordre rationnel du monde et dans la puissance de l’intelligence humaine.

Une limite non du savoir, mais de nos capacités

Cependant, cette prétention se heurte à des difficultés croissantes. Le réel n’est pas toujours accessible de manière simple, linéaire, ou directe. Plus un système est complexe — qu’il s’agisse d’un organisme vivant, d’un écosystème, ou d’une société humaine — plus les causes sont multiples, les interactions nombreuses, et les effets imprévisibles.

Le principe d’incertitude formulé par Heisenberg illustre cette limite dans le champ de la physique quantique : il est impossible de connaître simultanément avec une précision absolue certaines grandeurs, comme la position et la vitesse d’une particule. Cela ne signifie pas que ces phénomènes échappent à toute connaissance, mais que les instruments de mesure influencent ce qu’ils mesurent. Ce n’est donc pas une ignorance irrationnelle, mais une limite quantifiée et intégrée au cadre même de la science.

De manière plus générale, la théorie de la complexité développée par Edgar Morin (La Méthode, La tête bien faite) rappelle que de nombreux systèmes sont non réductibles à une somme de parties, et que les interactions produisent des effets qu’on ne peut pas toujours prévoir. Les causes peuvent être diffuses, enchevêtrées, et parfois contradictoires. La science ne peut pas toujours isoler les facteurs d’un phénomène de manière absolue, sans que cela remette en cause sa valeur explicative.

Ces limites sont liées, non à la rationalité en elle-même, mais à la condition humaine : notre esprit est fini, nos outils sont limités, et notre langage ne peut saisir que des aspects du réel. La science ne cesse d’avancer, mais elle reste toujours inachevée, car le monde, et notre rapport à lui, changent sans cesse.

L’ignorance n’est pas l’irrationnel

Admettre que la science ne peut pas tout expliquer ne revient pas à abandonner la raison. Il faut distinguer ce que la science ne peut pas encore expliquer, ce qu’elle ne pourra peut-être jamais expliquer, et ce qui ne relève pas d’elle.

Il existe des domaines dans lesquels la science n’a pas vocation à trancher : l’art, la morale, la spiritualité, par exemple. Elle peut décrire les effets physiologiques d’une émotion, mais elle ne définit pas la valeur esthétique d’une œuvre. Elle peut analyser les conséquences d’un choix moral, mais pas en déterminer la légitimité. Il ne s’agit pas d’un rejet de la rationalité, mais de la reconnaissance de formes de pensée non réductibles à la seule causalité expérimentale.

Reconnaître cela, c’est faire preuve d’une rationalité lucide et critique. C’est refuser de confondre savoir et omniscience. C’est accepter qu’il y ait des questions ouvertes, des mystères persistants, non parce que le monde serait absurde, mais parce que nous ne sommes pas capables d’en saisir tous les aspects à un moment donné.

Conclusion

La science repose sur l’idée que tout peut être expliqué rationnellement, en vertu de l’ordre intelligible du monde. Mais les limites de notre intelligence, la complexité du réel et les conditions mêmes de la recherche empêchent que cette prétention soit entièrement réalisée. Cela ne signifie pas que la science échoue, mais qu’elle progresse dans une quête toujours inachevée.

La science n’a peut-être pas réponse à tout, mais elle éclaire de plus en plus de choses avec rigueur, humilité et persévérance. Ce n’est pas une faiblesse, mais une force : elle sait dire ce qu’elle ignore, et pourquoi elle l’ignore. Et cela, déjà, est une forme haute de rationalité.