Introduction
En 1492, le navigateur génois Christophe Colomb, originaire de Gênes (ville située dans l’actuelle Italie), traverse l’océan Atlantique au service des Rois Catholiques d’Espagne et atteint les îles des Caraïbes. Il pensait avoir trouvé une nouvelle route vers l’Asie, mais il venait en réalité de mettre en contact durable l’Europe et un continent déjà peuplé depuis des millénaires par les Amérindiens, des sociétés très diverses allant de puissants empires comme les Aztèques et les Incas à des communautés villageoises ou nomades. Les historiens rappellent que le mot de « découverte » est eurocentré : l’Amérique n’était pas vide, mais sa rencontre avec l’Europe a bouleversé son destin.
Cette expansion, marquée par la conquête militaire, un choc démographique sans précédent et l’exploitation économique, provoque aussi en Europe des débats sur la légitimité de la colonisation, dont la plus célèbre expression est la controverse de Valladolid (1550-1551).
Le choc de la conquête : violence et effondrement démographique
La conquête espagnole frappe d’abord les grands empires d’Amérique. L’Empire aztèque, centré sur la vallée de Mexico et dominé par sa capitale Tenochtitlán, une ville impressionnante bâtie sur un lac, se distingue par ses temples, ses marchés, ses jardins flottants et son organisation politique qui imposait tribut et sacrifices humains aux peuples soumis.
En 1519, Hernán Cortés profite des divisions internes et des alliances avec des peuples opprimés pour s’attaquer à la capitale. Après un long siège, Tenochtitlán tombe en 1521 et est reconstruite par les Espagnols sous le nom de Mexico.
Plus au sud, l’Empire inca s’étend le long de la cordillère des Andes, de la Colombie actuelle au Chili, avec Cuzco pour capitale. Cet empire repose sur un système collectif de redistribution des ressources et un réseau routier efficace.
En 1532, l’empereur Atahualpa, déjà affaibli par une guerre civile contre son frère Huáscar, est capturé à Cajamarca par Francisco Pizarro. Malgré le versement d’une rançon colossale en or et en argent, il est exécuté en 1533. L’empire s’effondre, mais la résistance perdure dans les Andes jusqu’en 1572, date de l’exécution de Túpac Amaru I, dernier héritier de la dynastie inca.
La domination coloniale repose sur la violence militaire et sur l’instauration du système de l’encomienda, qui attribue aux colons des villages entiers d’Amérindiens pour exploiter leur travail, ainsi que sur la mita, une corvée obligatoire imposée aux indigènes andins, notamment dans les mines. Mais l’élément le plus destructeur reste le « choc microbien », c’est-à-dire la diffusion rapide de maladies nouvelles comme la variole, la rougeole ou la grippe, contre lesquelles les Amérindiens n’avaient aucune immunité. La population, estimée entre 40 et 60 millions vers 1500, chute à environ 10 millions vers 1600. Ce désastre démographique facilite la domination européenne.
À retenir
La conquête entraîne la destruction des empires aztèque et inca, impose des systèmes de travail forcé et provoque un choc microbien qui réduit la population du continent de près de 80 % en un siècle.
Résistances et adaptations des populations amérindiennes
Les peuples amérindiens ne se soumettent pas sans lutte. Les Aztèques résistent longuement dans Tenochtitlán, et les Incas poursuivent la lutte dans les Andes après l’exécution d’Atahualpa.
En 1572, Túpac Amaru I est exécuté pour avoir tenté de rétablir l’autorité inca. Plus tard, d’autres révoltes éclatent, comme celle des Pueblos en 1680, qui chasse temporairement les Espagnols du Nouveau-Mexique. Dans les Caraïbes, des peuples autochtones mènent également une résistance acharnée, bien que décimés par les maladies et la violence.
À côté de ces révoltes, certaines communautés adoptent des stratégies d’adaptation : alliances ponctuelles avec les Européens, conversions au christianisme, négociations pour conserver une part de leur autonomie. Mais ces tentatives ne suffisent pas à inverser le rapport de force.
À retenir
Les Amérindiens opposent une résistance armée, incarnée par Atahualpa, Túpac Amaru I ou les Pueblos, mais aussi des stratégies d’adaptation. Ces efforts montrent qu’ils furent des acteurs de leur histoire, malgré la domination européenne.
La domination économique : mines, plantations et esclavage
L’expansion coloniale transforme l’économie du continent. Les Espagnols exploitent intensivement les mines d’argent de Potosí (actuelle Bolivie) et du Mexique. La main-d’œuvre est fournie par la mita, qui oblige les indigènes à travailler dans des conditions éprouvantes. Les cargaisons de métaux précieux transitent par Séville, port qui détient le monopole du commerce colonial. L’afflux d’or et surtout d’argent provoque en Europe une forte inflation, appelée la « révolution des prix », qui enrichit l’Espagne mais la rend dépendante de ses colonies et fragilise son économie à long terme.
Dans le monde portugais, le Brésil, découvert en 1500 par Pedro Álvares Cabral, devient un territoire central. Les Portugais y implantent de vastes plantations de canne à sucre, en reprenant un modèle expérimenté dans les îles atlantiques comme Madère et São Tomé. L’effondrement démographique des indigènes conduit très tôt au recours à l’esclavage africain : dès le début du XVIe siècle, des milliers d’Africains sont déportés vers le Brésil. Cette traite s’inscrit dans des circuits atlantiques qui annoncent le futur commerce triangulaire, organisé au XVIIe siècle par la France, l’Angleterre et les Provinces-Unies, où l’Europe exporte des produits manufacturés vers l’Afrique, l’Afrique des esclaves vers l’Amérique, et l’Amérique des denrées coloniales (sucre, tabac, café, coton) vers l’Europe.
À retenir
L’économie coloniale repose sur les mines d’argent de Potosí et du Mexique, sur le monopole de Séville et sur les plantations brésiliennes alimentées dès le XVIe siècle par l’esclavage africain, préfigurant le commerce triangulaire.
La controverse de Valladolid : débats et limites
Au milieu du XVIe siècle, face aux critiques sur les abus de la conquête, le roi Charles Quint ordonne en 1550-1551 un débat à Valladolid sur le sort des Amérindiens. Deux visions s’opposent.
Bartolomé de Las Casas (1484-1566), ancien colon devenu dominicain, avait possédé une encomienda avant d’y renoncer, choqué par la brutalité des colons. Il consacre ensuite sa vie à la défense des indigènes. Dans La Très brève relation de la destruction des Indes (1552), il dénonce avec force les massacres, les pillages et le travail forcé. Pour lui, les Amérindiens sont des hommes libres et raisonnables, capables de se convertir volontairement au christianisme. Ses plaidoyers obtiennent la promulgation des Lois nouvelles de 1542, qui interdisent théoriquement l’esclavage des indigènes.
En face, Juan Ginés de Sepúlveda (1494-1573), théologien et humaniste, défend une position opposée. Inspiré par Aristote, il considère les Amérindiens comme des « esclaves par nature ». À ses yeux, leur idolâtrie, leurs sacrifices humains et leurs mœurs barbares justifient une guerre de conquête qui doit les soumettre pour les civiliser et les convertir.
Le débat est pionnier : pour la première fois, l’Europe interroge la légitimité d’une conquête coloniale. Mais ses effets sont limités. Les Lois nouvelles sont mal appliquées, l’encomienda et la mita continuent, et surtout, l’exploitation se reporte massivement sur l’esclavage africain, déjà amorcé au début du XVIe siècle.
À retenir
La controverse de Valladolid oppose Las Casas, qui défend la dignité des Amérindiens, à Sepúlveda, qui justifie leur asservissement. Si le débat est pionnier, il n’a pas de conséquence concrète sur la colonisation, qui se poursuit avec le recours accru à l’esclavage africain.
Conclusion
La conquête du Nouveau Monde bouleverse le continent américain. Elle détruit les empires aztèque et inca, impose des systèmes de travail forcé, provoque un effondrement démographique et intègre les Amériques à une économie coloniale dominée par l’Europe. Les résistances, de Tenochtitlán à la révolte des Pueblos, montrent que la domination ne fut jamais totale. En Europe, la controverse de Valladolid incarne l’émergence d’une réflexion sur les droits des peuples, mais sans effet concret : la colonisation se poursuit, et l’esclavage africain s’amplifie.
À travers les mines de Potosí, les plantations sucrières du Brésil et les routes atlantiques contrôlées par Séville, le Nouveau Monde devient un pilier de la première mondialisation, faite de richesses, de violences et des premiers débats sur la dignité humaine.
