La justice consiste-t-elle à traiter tous les individus de la même manière ?

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Dans cette leçon, tu découvriras pourquoi la justice ne consiste pas à traiter tout le monde de la même façon, mais à traiter chacun de manière équitable. Tu verras que pour être vraiment juste, il faut parfois corriger les inégalités en tenant compte des situations concrètes. Mots-clés : justice, égalité, équité, discrimination positive, mérite, justice sociale

La justice est souvent associée à l’idée d’égalité. Dans les sociétés démocratiques, on attend de la justice qu’elle soit impartiale, qu’elle applique les mêmes règles à tous. Mais est-ce suffisant pour être vraiment juste ? Traiter tout le monde de la même manière, sans tenir compte des différences de situation, peut aussi créer de nouvelles injustices. Peut-on alors concilier égalité des droits et prise en compte des différences ? La question revient à savoir si la justice exige l’uniformité, ou si elle suppose au contraire une certaine différenciation équitable.

Traiter de la même manière pour garantir l’égalité devant la loi

La première exigence de la justice est de ne pas faire de favoritisme. Une règle est juste lorsqu’elle s’applique à tous, sans privilège. C’est ce qu’on appelle l’égalité devant la loi, principe fondamental dans toutes les démocraties.

Par exemple, dans un concours public, chaque candidat est jugé selon les mêmes critères, avec les mêmes épreuves, le même barème. On ne tient pas compte de leur origine sociale ou de leurs relations. Cela permet de garantir une compétition loyale, fondée sur le mérite.

Dans Éthique à Nicomaque, Aristote distingue deux formes de justice. La justice distributive attribue des biens ou des charges en fonction du mérite ou des qualités (par exemple, attribuer une bourse selon les résultats scolaires). La justice corrective, elle, intervient après un dommage : elle vise à rétablir un équilibre, en sanctionnant ou en réparant un tort, quel que soit le statut des personnes concernées.

Ainsi, traiter tous les individus de la même manière permet d’éviter les privilèges et de protéger les droits de chacun. Mais cette égalité peut-elle suffire dans des contextes très inégalitaires ?

Une égalité uniforme peut créer de nouvelles injustices

Appliquer une même règle à tous, sans tenir compte des différences de situation, peut renforcer les inégalités au lieu de les corriger. La justice suppose parfois de traiter différemment ce qui est inégal, pour parvenir à une réelle équité.

Prenons l’exemple de l’impôt. Faire payer exactement la même somme à chaque citoyen serait égal, mais non équitable : celui qui gagne peu serait bien plus pénalisé que celui qui gagne beaucoup. C’est pourquoi les systèmes fiscaux modernes sont progressifs : chacun contribue selon ses ressources.

Aristote reconnaît lui-même que la justice ne consiste pas toujours à appliquer la même règle : l’équité (epieikeia) permet de corriger la loi générale quand elle conduit à une injustice dans un cas particulier. Si un citoyen a commis une faute mais dans des circonstances exceptionnelles (par exemple, agir sous la contrainte), le juge peut atténuer la peine, pour mieux rendre justice.

Cette idée inspire aussi les politiques de discrimination positive. Par exemple, certaines grandes écoles réservent des places à des élèves venant de lycées défavorisés. Cela ne signifie pas qu’ils bénéficient d’un traitement injuste, mais que leur accès à l’égalité des chances nécessite une aide spécifique.

John Rawls, dans Théorie de la justice, justifie ce type de mesure par le principe de différence : une société juste peut admettre certaines inégalités, mais seulement si elles bénéficient aux plus défavorisés. Offrir un soutien renforcé à ceux qui partent avec un désavantage est alors un moyen d’atteindre une justice plus réelle.

Cependant, ces dispositifs soulèvent des critiques. Certains y voient un risque d’injustice inversée, ou d’assignation identitaire : les individus pourraient être réduits à leur origine sociale ou ethnique, et les critères de mérite affaiblis. Ces débats montrent la complexité d’un traitement différencié.

Une justice équitable peut justifier des différences

La justice ne doit pas être une pure uniformité. Il faut parfois ajuster les règles, sans renoncer à l’impartialité. La question est de savoir selon quels critères on peut différencier les traitements, sans tomber dans l’arbitraire.

Un exemple concret est celui de l’accès aux études supérieures. Tous les élèves ont théoriquement le droit d’y accéder, mais certains vivent dans des conditions sociales ou géographiques qui rendent cet accès plus difficile. Des aides comme les bourses sur critères sociaux, ou l’ouverture de classes préparatoires dans des lycées de banlieue, visent à corriger ces écarts. Ce n’est pas une injustice, mais une tentative de rétablir une égalité réelle.

La justice suppose donc une articulation entre l’égalité des droits et la reconnaissance des différences. Ce n’est pas une opposition, mais un équilibre à construire. Il ne s’agit pas de privilégier certains, mais de donner à chacun ce dont il a besoin pour que la règle soit effectivement juste.

C’est pourquoi les États modernes encadrent les aménagements possibles (par exemple, pour les élèves en situation de handicap), tout en maintenant une règle commune. La justice ne signifie pas que tout le monde est traité pareil, mais que chacun est traité équitablement.

Conclusion

Traiter tous les individus de la même manière peut sembler juste, mais cela n’est pas toujours suffisant. La justice exige de respecter l’égalité des droits, mais aussi de tenir compte des situations concrètes. Quand des individus sont inégalement placés, leur appliquer exactement la même règle peut renforcer l’injustice. Une justice véritable repose donc sur une égalité de principe, combinée à une équité dans l’application. Il ne s’agit pas de tout égaliser, mais de permettre à chacun d’accéder aux mêmes droits dans des conditions réellement équitables.