Introduction
Depuis l’entrée en vigueur de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) en 1994 (Convention signée en 1982), la délimitation des zones économiques exclusives (ZEE) est devenue un enjeu central des relations internationales. Une ZEE est une bande maritime s’étendant jusqu’à 200 milles marins (environ 370 km) à partir des côtes d’un État, sur laquelle ce dernier exerce des droits souverains pour l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles. Il ne s’agit pas d’une zone de pleine souveraineté : la liberté de navigation et de survol y est garantie pour tous les États. Si ces espaces maritimes offrent de réelles opportunités économiques, leur délimitation génère également des tensions croissantes. Cette leçon explore les enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux liés aux ZEE, en s’appuyant sur des exemples récents et sur les principaux acteurs concernés.
Enjeux géopolitiques des ZEE
Souveraineté limitée et revendications territoriales
Les ZEE confèrent aux États côtiers des droits souverains sur les ressources halieutiques, énergétiques et minérales, sans leur accorder un contrôle total de l’espace maritime. Lorsque ces zones se chevauchent ou s’appliquent à des territoires contestés, elles deviennent sources de litiges frontaliers.
En mer de Chine méridionale, plusieurs États riverains — Chine, Vietnam, Philippines, Malaisie, Brunei — revendiquent des ZEE superposées. L’ambiguïté des revendications, notamment la ligne en neuf traits tracée unilatéralement par Pékin, alimente des tensions diplomatiques, des incidents navals et une militarisation progressive.
Enjeux stratégiques et militaires
Les ZEE possèdent une forte dimension stratégique : elles permettent à un État de projeter sa puissance maritime, de sécuriser ses ressources et de surveiller des routes commerciales majeures. Dans certaines régions disputées, la militarisation se renforce : la Chine, par exemple, a construit des îles artificielles dans des zones contestées de la mer de Chine méridionale, équipées de radars, de pistes aériennes et d’armements défensifs. Si leur efficacité militaire reste limitée, elles symbolisent une volonté de contrôle durable.
Les États-Unis, bien qu’exerçant une puissance navale dominante, n’ont pas ratifié la CNUDM. Toutefois, ils en respectent la plupart des dispositions, notamment celles relatives aux ZEE, qu’ils considèrent comme faisant partie du droit coutumier international. Cela leur permet de défendre leurs intérêts tout en contestant certaines revendications excessives par des opérations de « liberté de navigation ».
Enjeux économiques et environnementaux
L’exploitation des ressources maritimes
Les ZEE regorgent de ressources naturelles majeures :
ressources halieutiques, indispensables à la sécurité alimentaire ;
ressources énergétiques, telles que le pétrole et le gaz offshore ;
ressources minérales, notamment dans les grands fonds.
Dans l’Arctique, la fonte des glaces ouvre l’accès à de nouveaux gisements et ravive les revendications concurrentes. La Russie et le Canada, tous deux signataires de la CNUDM, soumettent des demandes d’extension de leurs droits sur le plateau continental. À noter que cette extension ne concerne pas la ZEE elle-même, qui reste strictement limitée à 200 milles marins, mais uniquement les droits sur les fonds marins au-delà de cette limite. Ces demandes sont examinées par la Commission des limites du plateau continental, un organe technique rattaché à la CNUDM.
Préservation de l’environnement marin
L’exploitation croissante des ZEE soulève des enjeux majeurs de protection des écosystèmes marins. La surpêche, la pollution, les forages offshore ou les projets d’extraction minière des fonds peuvent causer des dommages irréversibles.
Dans certaines ZEE africaines, la pêche illégale par des flottes étrangères compromet la biodiversité et appauvrit les communautés locales. Bien que la CNUDM impose des obligations de préservation, leur application reste inégale, faute de moyens ou de volonté politique. Des aires marines protégées sont créées, mais leur extension reste limitée face aux pressions économiques.
Dynamiques et acteurs des tensions liées aux ZEE
États côtiers et organisations internationales
Les États côtiers sont les premiers bénéficiaires des ZEE, mais aussi les principaux responsables de leur gestion. La France, grâce à ses territoires ultramarins (Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Antilles, Guyane, Réunion…), possède l’une des plus vastes ZEE au monde : environ 10,7 millions de km² selon les estimations (IFREMER, SHOM), soit la deuxième après les États-Unis.
Au niveau international, la Commission des limites du plateau continental instruit les demandes d’extension des droits sur les fonds marins. L’Organisation maritime internationale (OMI) établit des normes relatives à la sécurité et à la navigation, mais ne dispose pas de prérogatives militaires. Le règlement pacifique des différends repose essentiellement sur la volonté des États et sur les mécanismes offerts par la CNUDM.
Acteurs économiques et société civile
Les entreprises privées, qu’il s’agisse de groupes pétroliers, de compagnies de pêche industrielle ou d’acteurs logistiques, influencent directement les politiques d’exploitation des ZEE. Leur poids économique peut parfois entrer en contradiction avec les objectifs environnementaux.
Les organisations non gouvernementales (ONG) alertent sur les effets de la surexploitation, dénoncent les pratiques destructrices et soutiennent la création de normes de protection plus ambitieuses. Leur rôle de veille est essentiel pour équilibrer les intérêts économiques et les impératifs de conservation.
Vers une gouvernance mondiale renforcée ?
En 2023, l’ONU a adopté un traité sur la haute mer, qui vise à encadrer la protection de la biodiversité marine au-delà des ZEE. Ce texte, encore en cours de ratification, marque une avancée historique vers une gouvernance mondiale des biens communs maritimes, couvrant environ 60 % de la surface des océans.
Ce traité prévoit la création d’aires marines protégées en haute mer, des mécanismes de partage des bénéfices issus de la recherche génétique marine, et des évaluations d’impact environnemental. Il complète le dispositif de la CNUDM, en s’attaquant aux lacunes de la gouvernance au-delà des juridictions nationales.
Conclusion
Les zones économiques exclusives sont devenues des espaces stratégiques dans la mondialisation. À la croisée des enjeux géopolitiques, économiques et écologiques, elles concentrent des tensions croissantes autour de l’exploitation des ressources et des droits maritimes.
La distinction entre droits souverains limités et souveraineté territoriale y est essentielle, tant sur le plan juridique que stratégique. Pour éviter l’escalade des conflits et garantir la durabilité des océans, la coopération internationale, le respect du droit de la mer et l’engagement des États sont indispensables. Dans ce contexte, la France, forte de son immense ZEE, a un rôle structurant à jouer. L’avenir des ZEE repose sur une conciliation exigeante entre exploitation raisonnée, stabilité géopolitique et préservation des écosystèmes marins.