Introduction
Au XVIIe siècle, l’Angleterre connaît une transformation politique majeure qui la distingue du reste de l’Europe. Tandis que la France de Louis XIV s’affirme dans l’absolutisme, le royaume anglais évolue vers une monarchie parlementaire, c’est-à-dire un régime où le roi gouverne en collaboration avec le Parlement. Cette mutation résulte d’un long conflit entre la couronne et le Parlement, nourri à la fois par des tensions religieuses (entre anglicans, puritains et catholiques) et par des désaccords financiers (sur les impôts et le financement de l’armée).
Deux textes essentiels symbolisent cette révolution politique : l’Habeas Corpus Act (1679), qui garantit à tout citoyen libre le droit de ne pas être emprisonné sans jugement — il vise surtout à limiter les arrestations politiques arbitraires —, et le Bill of Rights (1689), ou « Déclaration des droits », qui consacre la suprématie du Parlement et la soumission du roi à la loi. Ces textes instaurent un véritable État de droit (rule of law, littéralement « règne de la loi »), principe selon lequel nul, pas même le souverain, n’est au-dessus de la loi.
Le conflit entre la couronne et le Parlement : la guerre civile et la République de Cromwell
Au début du XVIIe siècle, les rois Jacques Ier puis Charles Ier défendent le droit divin et souhaitent gouverner sans le Parlement. Ce dernier, composé de la noblesse (grands propriétaires terriens), du clergé (évêques et dignitaires de l’Église anglicane) et de la bourgeoisie (marchands, juristes et propriétaires urbains), s’oppose à cette concentration de pouvoir. Il revendique le contrôle des finances publiques et la défense des libertés du royaume.
En 1628, le Parlement fait adopter la Pétition des droits, qui affirme que le roi ne peut ni lever d’impôts ni emprisonner sans cause légale. Ce texte marque une première limitation du pouvoir royal et prépare la suite du mouvement parlementaire. Mais Charles Ier la viole, dissout le Parlement et gouverne seul.
Les causes du conflit se multiplient. Sur le plan religieux, les puritains, branche rigoriste du protestantisme, s’opposent aux anglicans proches du roi et redoutent le retour du catholicisme. Sur le plan financier, Charles Ier tente de lever des impôts sans l’autorisation du Parlement, provoquant une révolte. En 1640, acculé, il rappelle le Long Parliament, une assemblée qui siégera sans interruption jusqu’en 1648 et impose des réformes radicales limitant l’autorité royale.
La situation dégénère en guerre civile (1642-1649) entre les royalistes et les Parlementaires. Ces derniers s’organisent militairement autour de la New Model Army (Nouvelle Armée Modèle), dirigée par Oliver Cromwell, un puritain austère et excellent stratège. Cette armée disciplinée et fidèle au Parlement remporte la victoire. En 1649, Charles Ier est capturé, jugé et exécuté — un événement sans précédent en Europe.
Cromwell instaure alors la République (Commonwealth), puis se fait nommer Lord Protector en 1653, chef de l’État dans un régime appelé Protectorat. Bien qu’il concentre les pouvoirs et gouverne de manière autoritaire, son régime introduit une forme de gouvernement fondée sur la consultation parlementaire et la tolérance religieuse limitée. Ce gouvernement, à la fois militaire et expérimental, prépare indirectement la future monarchie parlementaire.
À retenir
La guerre civile anglaise oppose le roi au Parlement sur fond de conflits religieux et fiscaux. L’exécution de Charles Ier et le Protectorat de Cromwell montrent que la monarchie de droit divin est désormais remise en cause.
De la Restauration à la Glorieuse Révolution : la victoire du Parlement
Après la mort de Cromwell, la monarchie est restaurée en 1660 avec Charles II, fils de Charles Ier. Cette Restauration n’est pas un retour pur et simple à l’absolutisme : le roi doit composer avec le Parlement, qui reste vigilant. Le Test Act (1673) exclut les catholiques des fonctions publiques, par crainte d’un retour à la domination papiste.
En 1679, le Parlement fait voter l’Habeas Corpus Act, qui garantit qu’aucun sujet libre ne peut être emprisonné sans jugement. Cette loi protège surtout les élites contre les arrestations arbitraires du pouvoir royal et limite fortement la répression politique.
Mais le règne de Jacques II (1685-1688), frère de Charles II et catholique, ravive les tensions. En tentant d’imposer la tolérance religieuse par décret, il court-circuite le Parlement. En 1688, celui-ci réagit : c’est la Glorieuse Révolution. Jacques II s’enfuit en France, et le trône est proposé à sa fille Marie et à son époux Guillaume d’Orange, prince protestant et stathouder (chef militaire et politique) des Provinces-Unies — l’actuel Pays-Bas.
L’arrivée de Guillaume d’Orange s’inscrit dans un contexte européen : il est l’ennemi déclaré de Louis XIV, et son accession au trône anglais entraîne la participation de l’Angleterre à la Ligue d’Augsbourg (1689), coalition européenne contre la France.
En 1689, Guillaume et Marie acceptent la couronne à la condition d’approuver le Bill of Rights (« Déclaration des droits »). Ce texte, exigé par le Parlement, fonde une monarchie contractuelle : le roi s’engage à respecter la loi et à gouverner avec le Parlement. Il ne peut ni suspendre les lois, ni lever d’impôts, ni entretenir une armée sans l’accord de ce dernier. Le Bill of Rights garantit aussi la liberté d’expression dans les débats, la régularité des élections et la liberté de culte pour les protestants. Enfin, il établit la suprématie du droit (rule of law), plaçant la loi au-dessus du roi.
À retenir
La Glorieuse Révolution de 1688 consacre la victoire du Parlement. En signant le Bill of Rights, Guillaume et Marie acceptent une monarchie fondée sur la loi et sur le consentement des gouvernés.
La monarchie parlementaire : équilibre des pouvoirs et évolution au XVIIIe siècle
À partir de 1689, le pouvoir royal est encadré mais non aboli. Le roi conserve un rôle exécutif important, mais il ne peut gouverner sans l’accord du Parlement, désormais au cœur du régime. Celui-ci se divise en deux chambres : la Chambre des Lords, composée de la noblesse et du haut clergé anglican, et la Chambre des Communes, dominée par la bourgeoisie marchande et les propriétaires terriens, c’est-à-dire les membres aisés de la société qui participent au vote grâce au suffrage censitaire (réservé aux hommes payant un certain niveau d’impôts).
Ces groupes représentent les forces sociales montantes du royaume. Les Lords incarnent la tradition et l’autorité religieuse, tandis que les Communes reflètent l’énergie économique et politique d’une Angleterre commerçante et maritime. Le gouvernement doit désormais maintenir un équilibre des pouvoirs entre le roi et le Parlement : le souverain conserve une influence forte dans la diplomatie et la guerre, mais la légitimité politique repose sur le consentement parlementaire.
Au XVIIIᵉ siècle, le pouvoir glisse progressivement vers le Parlement. Les ministres, choisis parmi les députés, doivent conserver la confiance de la Chambre des Communes. Ce processus conduit à la formation du cabinet (groupe restreint de ministres) et à l’émergence du Premier ministre, rôle assumé pour la première fois par Robert Walpole à partir de 1721. Cependant, il ne devient le véritable chef du gouvernement que progressivement, sans qu’aucun texte fondateur ne l’établisse formellement. Dans le même temps, la vie politique s’organise autour de deux grands partis : les Whigs, partisans du Parlement et du commerce, et les Tories, défenseurs du roi et de la tradition anglicane.
À retenir
Le pouvoir royal subsiste mais il est limité : le roi gouverne avec le Parlement, composé des Lords et des Communes. Au XVIIIᵉ siècle, un équilibre politique s’installe, préparant l’avènement du gouvernement parlementaire moderne.
Conclusion
L’Angleterre du XVIIe siècle invente un modèle politique inédit en Europe : la monarchie parlementaire. De la guerre civile à la Glorieuse Révolution, le pouvoir du roi est progressivement encadré par la loi. L’Habeas Corpus Act (1679) et le Bill of Rights (1689) garantissent les libertés et posent le principe de la suprématie du droit (rule of law). Ce système inspirera les philosophes des Lumières : Montesquieu, qui visite l’Angleterre entre 1729 et 1731, y voit un modèle d’équilibre des pouvoirs, tandis que Voltaire y admire la tolérance et la liberté politique. L’Angleterre devient ainsi un modèle de gouvernement fondé sur la loi et la responsabilité, opposé à l’absolutisme monarchique français, et un précurseur des démocraties modernes européennes.
