L'art de la parole : petite histoire de la rhétorique

icône de pdf
Signaler
Dans cette leçon, tu découvres comment la rhétorique, née dans la Grèce antique, a traversé les siècles, des discours de Cicéron aux slogans publicitaires d’aujourd’hui. Tu comprends ses trois piliers – logos, pathos et ethos – et tu apprends à distinguer entre un art de vérité et une technique de manipulation. Mots-clés : rhétorique, logos pathos ethos, sophistes, Cicéron, art oratoire, discours persuasif.

Introduction

Imaginons un citoyen athénien du Ve siècle avant notre ère, debout sur l’agora (la place publique où les citoyens se réunissaient pour débattre). Il doit convaincre ses concitoyens d’envoyer la flotte défendre la cité. Sans micro ni projecteur, il ne possède qu’une arme : sa parole.

Convaincre, persuader, émouvoir, voilà ce que permet la rhétorique. Depuis l’Antiquité, elle accompagne les débats politiques, les plaidoiries judiciaires ou encore les sermons religieux. Dans le programme de HLP en Première, l’entrée « L’art de la parole » ne se limite pas à son histoire : elle interroge aussi les formes modernes du discours politique, publicitaire et médiatique. La question demeure la même : la rhétorique est-elle un art de vérité ou un instrument de manipulation ?

Les origines grecques : Sophistes, Isocrate, Platon et Aristote

La rhétorique naît au Ve siècle av. J.-C. dans les cités démocratiques grecques. Les Sophistes, comme Protagoras et Gorgias, enseignent que tout peut être défendu par un bon discours. L’efficacité compte plus que la vérité : il s’agit de persuader en utilisant des figures de style et des raisonnements habiles.

Isocrate, contemporain de Platon, occupe une place singulière. Contrairement aux Sophistes qui privilégient la technique persuasive, il voit dans la rhétorique une éducation complète, capable de former le citoyen à la vie politique. Il insiste sur la responsabilité morale de l’orateur, préparant ainsi la conception aristotélicienne.

Platon, dans ses dialogues (Gorgias, Phèdre), critique la rhétorique sophistique qu’il accuse de flatter les passions. Il propose une parole guidée par le souci du vrai. Aristote, dans La Rhétorique, systématise cette réflexion et définit trois appuis fondamentaux :

  • le logos : la logique du discours. L’orateur cherche à convaincre par des arguments rationnels, une organisation claire des idées, des preuves et des exemples. Par exemple, démontrer que l’injustice affaiblit la cité en rappelant des faits précis.

  • le pathos : l’appel aux émotions de l’auditoire. L’orateur éveille la compassion, la peur ou l’enthousiasme pour rendre son discours plus efficace. Périclès, dans son discours funèbre, émeut les Athéniens en exaltant le courage des soldats tombés.

  • l’ethos : l’image de l’orateur. Sa crédibilité, sa sincérité ou son autorité inspirent confiance. Socrate, lors de son procès, se présente comme un homme fidèle à sa mission philosophique, même au prix de sa vie.

Ces trois piliers forment encore aujourd’hui la base de toute analyse du discours.

À retenir

La rhétorique grecque oscille entre séduction sophistique et exigence de vérité. Isocrate et Aristote posent les bases d’une rhétorique éducative et morale, fondée sur logos, pathos et ethos.

Rome et le Moyen Âge : un art civique et savant

À Rome, la rhétorique devient un instrument majeur de la vie publique. Cicéron, dans ses plaidoiries (Catilinaires), déploie une parole civique et vibrante : « Jusques à quand, Catilina, abuseras-tu de notre patience ? » L’adresse directe et l’indignation donnent au discours sa force. Pour lui, l’orateur idéal est un citoyen cultivé, au service de la République. Quintilien, dans Institution oratoire, affirme que « l’orateur est un homme de bien qui parle bien », soulignant la dimension morale : la parole doit servir la vérité et non pas seulement séduire.

Au Moyen Âge, la rhétorique est intégrée aux arts libéraux du trivium (grammaire, dialectique, rhétorique). Saint Augustin, dans De doctrina christiana, montre comment l’art oratoire peut servir la prédication : toucher les cœurs pour transmettre la foi. Au XIIᵉ siècle, Abélard illustre la disputatio, débat académique où l’on examine une question (« Dieu peut-il tout ? »), puis on présente des arguments pour et contre avant de chercher une solution. Cette méthode est reprise par la scolastique, notamment par Thomas d’Aquin, qui organise ses traités en confrontant systématiquement thèses et objections. La rhétorique devient ainsi un outil rationnel de raisonnement et de recherche de vérité.

À retenir

À Rome, la rhétorique est un art civique et moral. Au Moyen Âge, elle structure la prédication chrétienne et la scolastique, où la disputatio devient un outil de débat rationnel.

L’Âge classique et les Lumières : apogée et critiques

Au XVIIe siècle, la rhétorique connaît son apogée en France. Dans la chaire (sermons), au barreau (plaidoiries), à la tribune mais aussi au théâtre et en littérature, l’art oratoire brille. Bossuet impressionne par ses oraisons funèbres, mêlant ethos de l’évêque, logos des Écritures et pathos de la grandeur tragique. Corneille, dans Le Cid, fait dire à Rodrigue : « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » : une formule qui condense la puissance persuasive du théâtre. Pascal, dans Les Provinciales, manie la polémique et la satire : ses dialogues vifs ridiculisent les casuistes, utilisant la rhétorique comme arme de critique morale. La Fontaine, dans Le Loup et l’Agneau, illustre une rhétorique indirecte : la fable simple cache une réflexion politique sur l’injustice et le pouvoir des plus forts.

Au XVIIIe siècle, l’art oratoire devient aussi politique. Mirabeau, lors de la Révolution française, électrise l’Assemblée par ses discours enflammés. Mais où se situe la limite entre éloquence sincère et séduction politique ? Ce dilemme, déjà posé à Athènes, revient au cœur de la modernité. En parallèle, les critiques se renforcent. Rousseau accuse la rhétorique d’être artificielle. Voltaire en fait une arme ironique et satirique. Diderot, dans son Paradoxe sur le comédien, questionne l’authenticité : un orateur doit-il ressentir ce qu’il exprime pour convaincre ?

À retenir

L’Âge classique marque l’apogée de la rhétorique, déployée dans sermons, théâtre et fables. Les Lumières en révèlent la force politique, mais dénoncent ses excès et son artifice.

Époque contemporaine : rhétorique politique, médiatique et publicitaire

Au XIXe siècle, la rhétorique nourrit encore les grands discours politiques. Victor Hugo, à la Chambre des députés, plaide contre la peine de mort avec une éloquence indignée : mais s’agit-il d’une parole sincère ou d’un effet de séduction ? Au XXe siècle, l’Appel du 18 juin 1940 de De Gaulle montre la force d’une parole brève et ferme : il apparaît comme un chef digne de confiance et ravive l’espoir national. En 1963, Martin Luther King proclame « I have a dream » : par la répétition rythmée et l’appel aux émotions, il mobilise des foules entières.

Aujourd’hui, la rhétorique se déploie dans les médias et la publicité. Un slogan comme « Just do it » (Nike) utilise la brièveté et l’impératif pour motiver et séduire. Mais la rhétorique touche aussi les campagnes militantes : un slogan écologique comme « Il n’y a pas de planète B » associe pathos (la peur de la disparition) et logos (l’évidence rationnelle qu’on ne peut remplacer la Terre). Sur les réseaux sociaux, des formules choc ou des images frappantes deviennent virales : elles reprennent les mécanismes classiques du logos, du pathos et de l’ethos, mais adaptées à la communication numérique. Ici encore, le fil conducteur demeure : ces discours éclairent-ils ou cherchent-ils seulement à influencer ?

À retenir

De Hugo à De Gaulle et Martin Luther King, jusqu’aux slogans publicitaires et écologiques actuels, la rhétorique reste un art de conviction, d’émotion et de séduction, toujours exposé au risque de manipulation.

Conclusion

De l’agora grecque aux campagnes écologiques et aux réseaux sociaux, la rhétorique traverse toute l’histoire culturelle. Elle apprend à convaincre, persuader et émouvoir, mais aussi à reconnaître quand la parole sert la vérité ou quand elle se transforme en manipulation. Dans un monde saturé de discours politiques, médiatiques et publicitaires, comprendre la rhétorique est essentiel pour garder son esprit critique.