Introduction
La forêt française est l’un des territoires les plus anciens et les plus étroitement encadrés par l’État. Ressource dite « naturelle », elle est depuis le XVIIe siècle au cœur d’une série de politiques publiques visant à l’exploiter, la contrôler, la transformer ou la protéger. À travers l’histoire de la forêt, c’est aussi celle des rapports entre les sociétés humaines et leur environnement que l’on peut lire.
Depuis l’ordonnance de Colbert (1669) jusqu’aux débats contemporains sur la gestion durable, le rôle de l’Office national des forêts ou la place du bois dans la transition énergétique, la forêt illustre les tensions entre production, préservation et souveraineté environnementale. Elle est un espace d’arbitrage entre logiques économiques, sociales et écologiques.
La politique forestière de Colbert : un contrôle royal sur les forêts domaniales
Face à la dégradation des forêts royales au XVIIe siècle, Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV, fait adopter en 1669 une grande ordonnance forestière. Ce texte ne s’applique qu’aux forêts appartenant à la Couronne (environ 20 % à l’époque) et vise principalement deux objectifs :
Renforcer l’autorité de l’État monarchique, en limitant les abus seigneuriaux et les usages anarchiques.
Assurer un approvisionnement stratégique en bois, notamment en chêne, pour la construction navale militaire.
L’ordonnance instaure une réglementation sur les coupes, les plantations et l’accès aux ressources. Elle introduit aussi un cadastre forestier, des obligations de reboisement et un corps de gardes forestiers.
Toutefois, son application reste progressive et inégale. En raison des résistances locales et du manque de moyens administratifs, l’impact réel de l’ordonnance demeure limité dans les décennies qui suivent, en particulier dans les zones périphériques du royaume.
À retenir
L’ordonnance de 1669 pose les bases d’une gestion centralisée des forêts royales, avec des visées stratégiques et politiques, mais son efficacité reste limitée dans l’immédiat.
Le XIXe siècle : organiser la forêt et encadrer les usages ruraux
Le Code forestier de 1827 renforce l’encadrement juridique et institutionnel des forêts. Il marque l’entrée dans une logique de sylviculture rationnelle, c’est-à-dire une gestion planifiée et scientifique fondée sur la botanique, les statistiques forestières et l’ingénierie. L’École des Eaux et Forêts (créée à Nancy en 1824) forme une nouvelle élite de techniciens forestiers.
Les forêts sont alors replantées, classées, divisées en parcelles, avec des plans de coupe pluriannuels. Ce modèle vise à garantir la production de bois tout en assurant le renouvellement des essences. Dans les Landes, l’État encourage la plantation massive de pin maritime, qui transforme des landes humides en une forêt de production rentable.
Mais ces politiques suscitent de vives résistances : les usagers paysans, qui pratiquaient le pâturage, le glanage ou le ramassage du bois mort dans les forêts communales, se voient privés de droits ancestraux. Le Code forestier est perçu comme une atteinte à la liberté rurale et déclenche des conflits dans plusieurs régions (Massif central, Jura).
Enfin, le développement de la monoculture forestière, en particulier dans les Landes ou dans l’est de la France, améliore les rendements mais crée une vulnérabilité accrue aux maladies, aux tempêtes ou aux incendies.
À retenir
Le XIXe siècle renforce la technocratie forestière, dans une optique de rationalisation productive, mais au prix de conflits sociaux et de risques écologiques accrus.
Depuis 1945 : vers une gestion multifonctionnelle sous contrainte
Après 1945, la forêt est intégrée à la reconstruction économique et à la modernisation industrielle. Elle est exploitée intensivement : essences à croissance rapide (épicéas, douglas), mécanisation des coupes, industrialisation du bois. En 1966, l’Office national des forêts (ONF) est créé pour succéder à l’Administration des Eaux et Forêts. Il devient l’opérateur public chargé de gérer les forêts domaniales et communales, soit environ un quart des forêts françaises.
La gestion forestière évolue vers un modèle de forêt multifonctionnelle, c’est-à-dire une forêt assurant simultanément :
Une fonction productive (bois d’œuvre, bois énergie).
Une fonction écologique (rôle dans le cycle de l’eau, la biodiversité, le stockage du carbone).
Une fonction sociale (loisirs, tourisme, patrimoine paysager).
Mais ce modèle est mis à l’épreuve. L’ONF doit répondre à des objectifs de rentabilité économique, avec des moyens en baisse constante, ce qui limite sa capacité à entretenir les forêts publiques dans toutes leurs dimensions. Les tensions entre missions de service public et logique gestionnaire sont régulièrement dénoncées par les syndicats et les élus locaux.
Les forêts sont aussi confrontées à des défis contemporains majeurs :
Le changement climatique, qui accroît les risques de sécheresse, d’incendies ou d’infestations.
Le débat sur la souveraineté énergétique, le bois étant une ressource renouvelable mais parfois surexploitée.
L’artificialisation des sols, y compris forestiers, qui réduit les espaces naturels et participe indirectement au recul des terres agricoles, question liée à la souveraineté alimentaire.
Les limites écologiques de la monoculture, toujours pratiquée dans certains massifs, et qui nuit à la résilience des forêts face aux aléas climatiques.
À retenir
Depuis 1945, la forêt française est gérée selon une logique multifonctionnelle, mais les contraintes économiques et les enjeux environnementaux accentuent les tensions entre exploitation, protection et aménagement.
Conclusion
L’histoire de la forêt française depuis le XVIIe siècle illustre la façon dont une ressource naturelle est construite, régulée et disputée. D’abord espace stratégique pour l’État monarchique, puis cadre d’une sylviculture scientifique et productive, la forêt est aujourd’hui un territoire sous pression, au carrefour des crises écologiques et des besoins économiques.
Sa gestion contemporaine doit répondre à des enjeux imbriqués : atténuation du changement climatique, autonomie énergétique, préservation de la biodiversité, réduction de l’artificialisation des sols. Cela suppose de repenser les modèles dominants et de trouver un équilibre durable entre exploitation, conservation et participation citoyenne.
La forêt n’est pas seulement un espace naturel : c’est un objet politique, un bien commun, et un indicateur des choix de société.
