Introduction
Les migrations internationales, loin d’être un phénomène récent, accompagnent l’histoire des sociétés humaines. En 2024, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), près de 280 millions de personnes vivent dans un pays différent de celui où elles sont nées. Ce chiffre inclut toutes les formes de mobilité : travailleurs migrants, réfugiés, étudiants et exilés politiques. Ces déplacements, motivés par la recherche d’un avenir meilleur ou par la fuite de situations de crise, traduisent les déséquilibres économiques, politiques et environnementaux du monde contemporain.
Pour comprendre cette réalité complexe, il faut en retracer l’histoire, identifier les principaux foyers d’émigration et d’immigration et examiner les dynamiques géopolitiques et climatiques qui façonnent les grands flux migratoires d’aujourd’hui.
Des migrations anciennes à la mondialisation des mobilités
Les migrations font partie intégrante de l’histoire mondiale. Dès l’Antiquité, les échanges commerciaux, les conquêtes ou les colonisations entraînent des déplacements de populations. Mais c’est à partir du XVIe siècle, avec les grandes découvertes et l’expansion coloniale, que les migrations prennent une dimension véritablement planétaire.
La traite négrière atlantique constitue l’un des épisodes les plus marquants de cette première mondialisation. Entre le XVIe et le XIXe siècle, environ 12,5 millions d’Africains ont été déportés vers les Amériques, et seuls 10,7 millions ont survécu à la traversée de l’Atlantique. Ce commerce triangulaire, organisé par les puissances européennes, a profondément transformé les sociétés africaines, tout en contribuant au peuplement et au développement économique des colonies américaines.
Au XIXe siècle, les migrations européennes connaissent une ampleur inédite. Environ 60 millions d’Européens quittent leur continent entre 1840 et 1914, attirés par les États-Unis, le Canada, l’Argentine ou l’Australie. Ces départs, souvent présentés comme volontaires, résultent aussi de contraintes économiques et sociales : la pauvreté rurale, les crises agricoles et la pression démographique poussent les populations à partir. L’exemple de la famine irlandaise de 1845 à 1852, qui provoque l’exil de plus d’un million d’Irlandais vers l’Amérique, ou celui des Italiens du Sud, quittant un pays encore pauvre et agricole, illustrent cette réalité.
Au XXe siècle, les deux guerres mondiales provoquent des déplacements massifs et la création de millions de réfugiés politiques. Après 1945, la période des Trente Glorieuses (1945-1975) marque un tournant : la reconstruction et la croissance industrielle conduisent les pays d’Europe occidentale à recruter massivement de la main-d’œuvre étrangère. La France signe des accords bilatéraux avec le Maroc, l’Algérie ou la Turquie, tandis que l’Allemagne fédérale fait venir des Gastarbeiter, des « travailleurs invités » venus d’Italie, de Grèce ou de Turquie. L’Office national d’immigration (ONI), créé en 1945, coordonne ces arrivées. À partir du choc pétrolier de 1973, les politiques migratoires se durcissent, mais les flux perdurent, portés par le regroupement familial et les exils politiques.
À retenir
Des migrations contraintes de la traite négrière aux flux économiques de la révolution industrielle, puis aux migrations de travail de l’après-guerre, l’histoire des mobilités reflète les transformations du monde. Les migrations peuvent être forcées (liées aux guerres, à l’esclavage ou au climat) ou économiques (recherche d’emploi et de meilleures conditions de vie).
Les grands foyers d’émigration et d’immigration dans le monde
Les migrations actuelles dessinent une géographie mondiale marquée par des foyers d’émigration au Sud et des pôles d’immigration au Nord, même si les flux entre pays du Sud (dits Sud-Sud) représentent aujourd’hui environ 40 % des migrations internationales.
En Asie du Sud, l’Inde, le Bangladesh et le Pakistan envoient chaque année des millions de travailleurs dans les pays du Golfe persique — notamment le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis — où les étrangers représentent plus de 80 % de la population. Ces migrations économiques alimentent des économies dépendantes de la main-d’œuvre étrangère.
En Afrique subsaharienne, les migrations sont majoritairement régionales : des travailleurs quittent le Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso) pour rejoindre la Côte d’Ivoire, le Nigeria ou l’Afrique du Sud. Ces mouvements traduisent les effets combinés de la pauvreté, des conflits et du changement climatique, qui fragilise l’agriculture.
En Amérique latine, l’exode vénézuélien constitue l’un des plus grands déplacements récents : depuis 2015, plus de 7 millions de Vénézuéliens ont fui la crise économique et politique de leur pays, trouvant refuge dans les pays voisins comme la Colombie, le Pérou et le Chili.
Les principaux pôles d’immigration se situent dans les pays développés, notamment en Europe, en Amérique du Nord et dans les pays du Golfe. Les États-Unis, avec plus de 50 millions d’immigrés, restent la première destination mondiale. L’Europe occidentale attire également des populations africaines et asiatiques, tandis que des États comme le Qatar ou les Émirats arabes unis deviennent de véritables carrefours migratoires, combinant richesse économique et besoin de main-d’œuvre étrangère.
À retenir
Les migrations internationales relient désormais toutes les régions du monde. Les flux Sud-Nord dominent, mais les flux Sud-Sud (entre pays en développement) sont tout aussi structurants. Ils traduisent les écarts de développement et la mondialisation du travail.
Les routes migratoires et leurs enjeux géopolitiques
Les routes migratoires relient les régions d’origine aux pays d’accueil. Certaines, comme les routes méditerranéennes, sont devenues des symboles des fractures mondiales.
Chaque année, des dizaines de milliers de personnes traversent la Méditerranée pour rejoindre l’Europe. En 2023, environ 150 000 entrées irrégulières ont été détectées par l’agence européenne Frontex, principalement en Italie, en Grèce et en Espagne. Ces migrations proviennent du Sahel, de la Corne de l’Afrique et du Moyen-Orient, où l’instabilité politique pousse à l’exil. La route centrale (Libye–Lampedusa) est la plus dangereuse : plus de 30 000 personnes y ont péri depuis 2014. L’Union européenne cherche à concilier contrôle des frontières et solidarité humanitaire à travers le pacte européen sur la migration et l’asile (2023), qui vise à mieux répartir les demandeurs d’asile et renforcer la surveillance des frontières extérieures.
Sur d’autres continents, les flux sont tout aussi intenses. À la frontière américano-mexicaine, des centaines de milliers de migrants venus d’Amérique centrale traversent le Mexique pour tenter d’atteindre les États-Unis, souvent au péril de leur vie. En Asie, les flux migratoires relient les Philippines à la Malaisie, l’Indonésie à Singapour ou l’Inde aux monarchies du Golfe, dans le cadre d’une économie régionale fondée sur la mobilité du travail.
À retenir
Les routes migratoires révèlent les inégalités mondiales : elles relient souvent les régions pauvres aux pôles de richesse. Certaines puissances, comme la Turquie, la Biélorussie ou le Maroc, utilisent d’ailleurs ces flux comme instruments diplomatiques, faisant de la migration une arme politique pour peser dans les relations internationales.
Étude de cas : la Méditerranée, un espace de passage et de fracture
Espace d’échanges depuis l’Antiquité, la Méditerranée est aujourd’hui une frontière politique et humaine. Les départs depuis la Libye et la Tunisie se multiplient à cause du chômage, de l’insécurité et de la présence de réseaux de passeurs. Les politiques de contrôle européennes, menées avec le soutien de Frontex, tentent de réguler ces flux, tandis que des ONG comme SOS Méditerranée ou Médecins sans frontières assurent des opérations de sauvetage. Ce carrefour migratoire symbolise la tension entre ouverture et fermeture, entre solidarité et souveraineté nationale.
À retenir
La Méditerranée est aujourd’hui un miroir des déséquilibres mondiaux : elle relie les continents mais incarne les fractures entre un Nord prospère et un Sud en crise.
Les migrations climatiques : un défi nouveau
Le changement climatique entraîne de nouvelles formes de mobilité. Ces migrations climatiques, provoquées par la montée des eaux, la désertification ou les catastrophes naturelles, concernent déjà des millions de personnes.
Au Bangladesh, les populations des deltas du Gange et du Brahmapoutre sont menacées par la submersion marine : plus de 20 millions d’habitants pourraient devoir se déplacer d’ici 2050. Dans le Sahel, la sécheresse et la désertification poussent de nombreux agriculteurs à migrer vers les villes ou vers les pays côtiers. Dans le Pacifique, les habitants de certaines îles comme Kiribati ou les Tuvalu envisagent une migration définitive face à la disparition de leur territoire. Ces mobilités ne relèvent plus seulement de la pauvreté ou des guerres, mais du dérèglement climatique mondial.
À retenir
Les migrations climatiques sont désormais une réalité. Elles traduisent la vulnérabilité des populations du Sud face au changement climatique et posent de nouveaux défis au droit international et à la solidarité mondiale.
Les dynamiques économiques et géopolitiques des migrations
Les migrations ne se limitent pas à des déplacements humains : elles traduisent des interdépendances économiques et des enjeux diplomatiques. En 2023, les transferts de fonds envoyés par les migrants à leurs familles ont atteint 850 milliards de dollars, soit trois fois l’aide publique au développement mondiale. Ces envois soutiennent des millions de familles et participent à la croissance de pays comme l’Inde, les Philippines, le Mexique ou l’Égypte.
Les migrations créent aussi des diasporas, c’est-à-dire des communautés installées à l’étranger mais conservant des liens économiques, culturels ou affectifs avec leur pays d’origine. Ces diasporas jouent un rôle clé dans le codéveloppement, notion qui désigne la coopération entre pays d’origine et pays d’accueil pour transformer la migration en moteur de développement partagé.
À retenir
Les migrations contemporaines traduisent les inégalités mondiales mais aussi la solidarité transnationale. Elles posent un défi aux États : concilier sécurité, humanité et coopération dans un monde interconnecté.
Conclusion
Des trajectoires forcées de la traite négrière aux migrations climatiques du XXIe siècle, les mobilités humaines n’ont cessé de refléter les tensions du monde. Aujourd’hui, elles sont au cœur des enjeux du siècle : croissance démographique, dérèglement climatique, inégalités économiques et crises géopolitiques. Les migrations internationales ne sont pas une menace, mais un révélateur des déséquilibres planétaires et des solidarités possibles. Le défi des prochaines décennies sera de les accompagner et de les organiser collectivement, afin qu’elles deviennent un instrument de coopération mondiale plutôt qu’un facteur de division.
