Peut-on dire «à chacun sa vérité» ?

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Celui qui croit posséder la vérité a tendance à l’imposer aux autres. Contre cette attitude intolérante, il est tentant de dire que la vérité dépend de chacun.

I) « À chacun sa vérité » : un principe de tolérance

1)  La vérité est relative…

Dire « à chacun sa vérité » revient à penser qu’il ne faut pas imposer ses idées à quelqu’un en croyant posséder une vérité absolue. Ce principe de tolérance s’appuie sur l’expérience des violences commises par le passé au nom de la vérité. Pour lutter contre le dogmatisme, il faudrait sans cesse rappeler que la vérité est relative.

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Le dogmatisme est le fait de défendre une thèse sans accepter qu’on puisse la critiquer.

2 ) … au sujet qui l’énonce

La vérité est relative au sujet qui l’énonce. C’est la thèse des sophistes, comme Protagoras qui affirme que « l’homme est la mesure de toute chose. » L’homme n’a pas accès à ce que sont les choses indépendamment de la façon dont il les perçoit. Par exemple, le vent n’est ni chaud ni froid en soi : tout dépend de la personne qui le perçoit. Dans cette perspective, il faut ­renoncer à l’idée d’une vérité absolue.

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On appelle sophistes les philosophes de l’Antiquité, souvent spécialistes de rhétorique, qui passaient de cité en cité pour enseigner l’art de persuader. Ils prônaient la relativité de la vérité.

3 ) … à la culture de celui qui parle

La vérité est aussi relative à la culture. Montaigne dans son essai « Des cannibales » montre que, si nous sommes choqués par certaines pratiques comme le cannibalisme, c’est parce que nous ne partageons pas la culture dans laquelle cette pratique a un sens. On appelle cette tendance à considérer que sa propre culture est la norme l’ethnocentrisme.

II) Les limites du relativisme

Pourtant, le relativisme pose problème. Il conduit à admettre que toutes les opinions se valent, sans qu’on puisse dégager un critère qui permette de les évaluer. Faut-il renoncer à distinguer la science de la simple opinion  ? La volonté d’être tolérant risque de dissoudre l’idée même de vérité, si elle va jusqu’à admettre la possibilité pour chacun de penser ce qu’il veut. Ainsi, le relativisme semble mener au scepticisme.

C’est pourquoi Platon s’oppose aux sophistes, et notamment à Protagoras. Le langage prouve que la vérité n’est pas relative. Un mot permet de désigner différents objets. Cela implique que tous partagent une même essence. Par exemple, le mot « arbre » implique qu’il y a un point commun entre tous les objets désignés par ce mot, indépendamment du fait que les hommes trouvent ces arbres grands ou petits, beaux ou laids.

Platon illustre cette thèse par l’allégorie de la caverne dans La République. La caverne représente le règne de l’apparence et de l’opinion. Chercher la vérité implique de remettre en cause ces apparences et de s’élever, par degrés, à la connaissance des essences.

III) Rechercher la vérité

Cette critique du relativisme montre que la vérité n’est pas saisie immédiatement, mais qu’elle implique un travail de recherche pour nous détacher de nos croyances immédiates. Tel est le travail du scientifique, du philosophe, mais aussi de l’enquêteur, du juge, qui doivent tous se méfier de leur subjectivité.

Des protocoles permettent de passer d’une opinion subjective à une connaissance objective. Un juge confronte divers témoignages ; un scientifique invente des procédés réguliers de mesure. Grâce à un outil et à une échelle de mesure, il va construire un objet qui ne dépendra pas de la perception individuelle.

Mais dire que la vérité est absolue n’implique pas de nier le caractère relatif de la science. Raymond Aron montre que les moyens utilisés par les hommes pour saisir la vérité absolue sont toujours inscrits dans une histoire et susceptibles d’être discutés.