Introduction
Un poème en vers n’est pas seulement un texte « coupé en lignes ». Sa structure crée un rythme, une voix et une forme qui transforment la langue. Depuis le Moyen Âge, les poètes organisent vers, strophes et rimes pour donner de la force à ce qu’ils écrivent. Cette leçon présente les éléments essentiels pour comprendre comment un poème en vers peut être construit.
Le vers : la ligne de base du poème
Un vers est une ligne poétique qui se définit surtout par son rythme. En poésie française, ce rythme repose souvent sur le nombre de syllabes.
Les vers les plus fréquents sont :
des vers longs ou moyens, qui donnent une impression d’ampleur et qui sont souvent utilisés dans la poésie narrative ou lyrique :
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,Alphonse de Lamartine, Le Lac
des vers courts, qui créent un effet de rapidité, de légèreté ou de coups de voix :
Dieu ! la voix sépulcrale
Des Djinns !... Quel bruit ils font !
Fuyons sous la spirale
De l'escalier profond
Victor Hugo, Les Djinns
On peut aussi trouver à l’intérieur du vers une petite pause appelée césure, surtout dans les vers longs :
Au-dessus des étangs, // au-dessus des vallées,
Charles Baudelaire, Élévation
À retenir
Le vers est une unité rythmique. Sa longueur et la présence éventuelle d’une césure influencent la manière dont on lit et ressent le poème.
Les strophes : organiser les vers
Les vers sont regroupés en strophes, qui jouent un rôle proche de celui des paragraphes en prose : elles structurent le texte et organisent les idées.
Les strophes les plus courantes sont :
le quatrain (4 vers)
le tercet (3 vers)
le sizain (6 vers)
Certaines formes poétiques suivent un schéma de strophes très précis. Par exemple, dans un sonnet, on trouve traditionnellement deux quatrains suivis de deux tercets. Cela impose souvent une progression : situation ou description dans les quatrains, puis réflexion, renversement ou chute dans les tercets.
À retenir
Les strophes regroupent les vers et structurent la progression du poème. Certaines formes fixes, comme le sonnet, organisent fortement cette progression.
Les rimes et les jeux sonores
Les rimes créent des échos sonores entre les fins de vers. Elles contribuent à la musique du poème et à sa cohésion.
Les schémas de rimes les plus fréquents sont :
rimes embrassées : A B B A
Le soir tombait, un soir équivoque d'automne :
Les belles, se pendant rêveuses à nos bras,
Dirent alors des mots si spécieux, tout bas,
Que notre âme, depuis ce temps, tremble et s'étonne.
Paul Verlaine, Fêtes galantes
rimes croisées : A B A B
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Louis Aragon, La Rose et le Réséda
rimes plates : A A B B
Oui. je viens dans son temple adorer l'Éternel ;
Je viens, selon l'usage antique et solennel,
Célébrer avec vous la fameuse journée
Où sur le mont Sina la loi nous fut donnée.
Jean Racine, Athalie
Les rimes peuvent être plus ou moins « riches » selon le nombre de sons communs. Les poètes choisissent aussi d’alterner rimes dites féminines (se terminant par un « e » muet) et rimes masculines (se terminant par un autre son), pour éviter la monotonie.
En plus des rimes, les poètes utilisent :
des allitérations (répétitions de consonnes) ; dans l'exemple suivant, la répétition des lettres T et D évoque le son d'un tambour :
Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur. »
Léopold Sédar Senghor, La femme noire
des assonances (répétitions de voyelles) ; dans le vers suivant, la répétition de la voyelle nasale /ɑ̃/ (an) crée une lourdeur sonore qui ralentit le rythme et renforce l’atmosphère sombre, monotone et funèbre :
Les vendredis sanglants et lents d’enterrements
Guillaume Apollinaire, L’émigrant de Landor Road
Ces procédés renforcent l’atmosphère du poème : douceur, dureté, légèreté, gravité, etc.
À retenir
Les rimes et les jeux sonores relient les vers entre eux et créent une véritable musique. Leur organisation renforce les effets recherchés par le poète.
Enjambement, rejet et contre-rejet : jouer avec la limite du vers
Même si le vers marque une coupure visible, le sens de la phrase ne s’arrête pas toujours à la fin du vers. Les poètes jouent avec cette frontière pour créer des effets.
On distingue trois procédés principaux :
Enjambement : la phrase se poursuit largement sur le vers suivant. Le mouvement est continu, comme si le vers était trop court pour contenir l’idée. Nous constatons ainsi, dans l'exemple suivant, que l'idée court sur plusieurs vers :
Un des derniers se vantait d'être
En éloquence si grand maître,
Qu'il rendrait disert un Badaud,
Un Manant, un Rustre, un Lourdaud ;
Jean de La Fontaine, Le Charlatan
Rejet : un élément bref (un mot ou un petit groupe de mots) est repoussé au début du vers suivant, ce qui lui donne une importance particulière. Dans Le Dormeur du val, Rimbaud place certains mots isolés au début d’un vers pour attirer l’attention du lecteur et créer un effet visuel et sonore très marqué. Les rejets mettent ainsi en valeur des images brèves mais éclatantes, qui frappent d’autant plus qu’elles se détachent du reste de la phrase :
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Arthur Rimbaud, Le Dormeur du val
Contre-rejet : un mot ou un groupe de mots est placé en fin de vers alors qu’il appartient logiquement au vers suivant, ce qui crée un effet de suspension ou d’attente. Dans ce passage de Victor Hugo, certains mots sont maintenus à la fin du vers alors qu’ils ouvrent en réalité l’idée suivante. Ce décalage crée une retenue, comme si le vers se refermait trop tôt, obligeant le lecteur à poursuivre immédiatement. Le contre-rejet produit ainsi un effet de bascule qui dynamise la lecture et souligne certains mots clés :
Un immense frisson émeut la plaine obscure.
C’est l’heure où Pythagore, Hésiode, Épicure,
Songeaient ; c’est l’heure où, las d’avoir, toute la nuit,
Contemplé l’azur sombre et l’étoile qui luit,
Pleins d’horreur, s’endormaient les pâtres de Chaldée.
Là-bas, la chute d’eau, de mille plis ridée,
Brille, comme dans l’ombre un manteau de satin ;
Victor Hugo, Aube
Ici, songeaient placé en fin de vers appartient en réalité à la proposition suivante. Le mot reste en suspens dans l’air, laissant flotter l’image des penseurs méditant dans la nuit : l’attente créée par le contre-rejet renforce l’impression de profondeur silencieuse. De même, brille rejeté en fin de vers ouvre la description du mouvement lumineux qui suit ; l’effet de retardement met en valeur l’éclat soudain de la chute d’eau, comme un surgissement de lumière dans l’obscurité. Les deux contre-rejets donnent ainsi au passage un souffle ample et un rythme ondoyant, typique de la narration épique de Hugo.
À retenir
Enjambements, rejets et contre-rejets modifient la façon dont on lit les vers. Ils créent des effets de surprise, de fluidité ou de tension, et mettent en valeur des éléments du texte.
Conclusion
La structure d’un poème en vers repose sur quelques éléments essentiels : le vers, la strophe, les rimes et les effets de coupe entre les vers. Même si les formes poétiques ont beaucoup varié au fil des siècles, ces outils restent au cœur de la création en vers. Les repérer permet de mieux comprendre comment un poème organise sa musique, son rythme et sa progression, et donc de mieux entrer dans le sens et la voix du texte.
