Introduction
Dans un contexte où l’économie peut croître sans que le chômage ne recule vraiment, une question s’impose : pourquoi certaines personnes restent durablement sans emploi, même lorsque les entreprises recrutent ? Ce phénomène correspond au chômage structurel, une forme de chômage persistante, liée à des déséquilibres profonds du marché du travail.
Ces déséquilibres proviennent des institutions – c’est-à-dire des règles, lois et dispositifs qui encadrent l’emploi, comme le salaire minimum, la protection contre le licenciement ou l’assurance chômage.
Ces mécanismes visent à garantir la sécurité et la stabilité des travailleurs, mais s’ils sont trop rigides ou mal ajustés, ils peuvent freiner les embauches et accroître les inégalités d’accès à l’emploi. Comprendre comment ces institutions influencent le chômage structurel permet de saisir les tensions entre efficacité économique et justice sociale.
Les institutions du marché du travail : un cadre régulateur
Les institutions du marché du travail jouent un rôle essentiel dans la régulation des rapports entre employeurs et salariés. Elles fixent les règles du jeu qui garantissent la protection sociale, la stabilité des revenus et des conditions de travail équitables. Parmi elles, on retrouve le salaire minimum, les contrats de travail (CDI, CDD, intérim), le droit du licenciement, l’assurance chômage, ainsi que les conventions collectives et la négociation salariale.
Ces dispositifs encadrent les comportements des acteurs et influencent la dynamique de l’emploi. Cependant, leur impact sur le chômage structurel dépend de plusieurs facteurs : la situation économique globale, la manière dont le marché du travail est conçu (concurrence parfaite ou non), et la capacité des entreprises à s’adapter.
Dans un environnement très concurrentiel, des règles trop rigides peuvent décourager les embauches, tandis que dans un contexte instable, elles assurent une sécurité précieuse pour les salariés.
À retenir
Les institutions du marché du travail fixent les règles qui structurent l’emploi. Leur influence sur le chômage dépend de leur cohérence interne, de leur degré de flexibilité et du contexte économique général.
Le salaire minimum : protection sociale et ajustement du marché
Le salaire minimum légal a pour objectif de garantir un revenu décent à tous les travailleurs et de prévenir la pauvreté au travail. En France, le SMIC atteint 11,65 € brut de l’heure en 2024, soit environ 60 % du salaire médian.
Dans la perspective néoclassique, ce dispositif pose problème lorsqu’il est supérieur au salaire d’équilibre, c’est-à-dire au niveau où l’offre et la demande de travail se rejoignent. Dans ce modèle de marché du travail en concurrence parfaite, les entreprises et les travailleurs disposent d’une information complète, les emplois et les compétences sont homogènes, et la mobilité est totale. Si le salaire minimum dépasse ce niveau d’équilibre, les entreprises peuvent juger la productivité de certains travailleurs trop faible par rapport à leur coût, entraînant un excès d’offre de travail, donc du chômage.
Mais les études empiriques ont nuancé ce raisonnement théorique. Les économistes David Card et Alan Krueger, dans une célèbre étude publiée en 1994, ont montré que la hausse du salaire minimum dans certains États américains n’avait pas provoqué de destructions massives d’emplois, notamment dans les secteurs à bas salaires. Le lien entre salaire minimum et chômage n’est donc pas mécanique : tout dépend du contexte économique, de la structure du marché et des politiques d’accompagnement.
À retenir
Le salaire minimum protège les salariés contre les très faibles rémunérations, mais s’il est trop élevé, il peut limiter l’emploi des travailleurs peu qualifiés. Son effet sur le chômage varie selon le contexte économique et n’est jamais automatique.
La protection de l’emploi et la segmentation du marché du travail
La protection de l’emploi regroupe les règles encadrant les licenciements, qu’il s’agisse des procédures, des indemnités ou du contrôle exercé par les tribunaux. Son objectif est de protéger les salariés contre les ruptures abusives et d’assurer une stabilité professionnelle. Toutefois, un excès de protection peut décourager les entreprises d’embaucher, en raison des coûts et des incertitudes qu’elle engendre.
Pour contourner ces contraintes, les employeurs peuvent choisir de retarder ou d’éviter les embauches en CDI, préférant recourir à des contrats courts plus flexibles. Cette pratique alimente une segmentation du marché du travail, partagée entre les insiders – salariés en poste, protégés et stables – et les outsiders, souvent jeunes, peu qualifiés ou précaires, qui peinent à accéder à l’emploi durable. Les économistes Assar Lindbeck et Dennis Snower ont formalisé ce mécanisme en 1988 à travers leur théorie insider-outsider, selon laquelle les salariés déjà en place défendent leurs avantages tandis que les outsiders restent exclus du marché du travail stable.
Certains pays ont cherché à réduire ces rigidités. En Allemagne, les réformes Hartz (2003-2005) ont assoupli le droit du travail et encouragé la création de minijobs, stimulant l’emploi au prix d’une précarisation accrue. En France, les ordonnances de 2017 ont plafonné les indemnités prud’homales et facilité la négociation d’accords internes pour adapter les conditions de travail à la conjoncture.
À retenir
Une forte protection de l’emploi sécurise les travailleurs en poste, mais peut engendrer une dualité durable entre emplois stables et précaires, limitant l’insertion des plus vulnérables.
L’assurance chômage : sécurité et incitation
L’assurance chômage offre un revenu temporaire aux personnes privées d’emploi afin de leur permettre de chercher un travail correspondant à leurs compétences. En France, elle est gérée par France Travail et peut représenter jusqu’à 75 % de l’ancien salaire au début de l’indemnisation, pour une durée allant de 18 à 24 mois selon l’âge du bénéficiaire. Ce système poursuit un double objectif : sécuriser les parcours professionnels et encourager une reprise d’emploi adaptée.
Les économistes identifient généralement deux effets possibles :
L’effet de réserve signifie qu’un chômeur bien indemnisé peut prendre davantage de temps pour accepter un emploi, préférant attendre une offre plus satisfaisante.
L’effet de seuil, à l’inverse, désigne la tendance à accélérer les recherches à mesure que la fin des droits approche.
Pourtant, ces effets ne se vérifient pas toujours. Raj Chetty, économiste américain et prix Nobel en 2023, a montré en 2008 que prolonger la durée d’indemnisation n’allongeait pas forcément la période de chômage, notamment lorsque les demandeurs d’emploi font face à des difficultés financières ou bénéficient d’un accompagnement renforcé. De même, les travaux de l’OCDE indiquent que l’effet sur la reprise d’emploi dépend fortement du niveau d’aide et de l’intensité de l’accompagnement.
Ainsi, les politiques publiques cherchent un équilibre. Aux États-Unis, la prolongation exceptionnelle des allocations après la crise de 2008 n’a pas empêché la reprise de l’emploi. En France, les réformes de 2021 et 2023 ont introduit une modulation de la durée d’indemnisation en fonction de la conjoncture économique, pour inciter davantage à la reprise d’activité.
À retenir
L’assurance chômage protège les individus contre la perte de revenu, mais son effet sur la reprise d’emploi dépend du juste équilibre entre soutien financier et accompagnement actif.
Conclusion
Le chômage structurel résulte de l’interaction complexe entre les institutions du marché du travail et les comportements des acteurs économiques.
Le salaire minimum, la protection de l’emploi et l’assurance chômage influencent simultanément les décisions des entreprises et des travailleurs. Les modèles économiques, comme ceux du salaire d’équilibre, de la segmentation ou des incitations, permettent d’en comprendre les logiques, mais les études empiriques rappellent que leurs effets sont multiples et contextuels.
Réduire le chômage structurel implique de trouver un équilibre subtil entre flexibilité et sécurité. Les réformes efficaces s’appuient sur des données solides, des comparaisons internationales et une attention particulière aux populations les plus fragiles. À l’heure où l’intelligence artificielle, la transition écologique et la transformation des métiers bouleversent le monde du travail, cette recherche d’équilibre devient plus que jamais essentielle pour concilier efficacité économique et justice sociale.
