Introduction
Dans toutes les sociétés, les individus changent de situation au cours de leur vie ou d’une génération à l’autre. Ces déplacements peuvent concerner le lieu de résidence, l’emploi ou la position sociale. Comprendre la mobilité permet donc de mesurer la capacité d’une société à offrir à chacun la possibilité d’évoluer. Mais toutes les formes de mobilité ne relèvent pas du même registre : certaines sont professionnelles ou géographiques, d’autres sont véritablement sociales. C’est cette mobilité sociale, au cœur de ce thème, qui permet d’analyser la reproduction ou la transformation des positions au sein de la hiérarchie sociale.
Les formes de mobilité dans la société
La mobilité intergénérationnelle : comparer la position d’un individu à celle de ses parents
La mobilité sociale intergénérationnelle désigne le changement de position sociale entre une génération et la suivante. Elle compare la position sociale d’un individu à celle de ses parents, souvent à travers la catégorie socioprofessionnelle (PCS).
Exemple : un fils d’ouvrier devenu cadre connaît une mobilité ascendante, tandis qu’un fils de cadre devenu employé vit une mobilité descendante ou un déclassement.
C’est cette forme de mobilité qui intéresse particulièrement les sociologues et l’Insee, car elle renseigne sur le degré de reproduction sociale ou de fluidité d’une société : une forte mobilité intergénérationnelle traduit une société où les origines sociales pèsent moins sur le destin individuel.
À retenir
La mobilité intergénérationnelle mesure le changement de position entre parents et enfants. Elle est au cœur de l’analyse sociologique de la mobilité sociale.
La mobilité intragénérationnelle : les changements au cours de la vie active
La mobilité intragénérationnelle désigne les évolutions de la position sociale d’un individu au cours de sa vie professionnelle. Elle est aussi appelée mobilité de carrière.
Exemple : un employé qui devient cadre connaît une promotion interne ; un cadre déclassé vers un poste d’employé subit une mobilité descendante.
Cette forme de mobilité dépend souvent du niveau de diplôme, de l’expérience, mais aussi du contexte économique (croissance, chômage, mutations technologiques).
Les enquêtes Formation et qualification professionnelle (FQP) de l’Insee permettent d’analyser ces évolutions, en observant les changements d’emploi, de qualification ou de secteur d’activité dans une même génération.
À retenir
La mobilité intragénérationnelle étudie les parcours individuels : elle décrit les promotions, déclassements ou reconversions au sein d’une même carrière.
La mobilité professionnelle et la mobilité géographique
La mobilité professionnelle correspond au changement de métier, d’entreprise ou de niveau de qualification. Elle peut être volontaire (reconversion, promotion) ou contrainte (licenciement, précarité).
Exemple : un technicien qui devient chef d’équipe ou qui change de secteur d’activité connaît une mobilité professionnelle.
La mobilité géographique, quant à elle, renvoie au changement de lieu de résidence — parfois de région ou de pays — pour des raisons professionnelles, familiales ou économiques.
Exemple : un jeune diplômé quittant une zone rurale pour travailler dans une métropole connaît une mobilité géographique.
Ces deux formes de mobilité ne sont pas directement sociales : elles peuvent accompagner une promotion ou, au contraire, un déclassement, mais elles ne disent pas à elles seules si la position sociale s’élève ou se dégrade.
À retenir
La mobilité professionnelle et la mobilité géographique traduisent des changements d’emploi ou de lieu de vie, mais elles ne mesurent pas directement la mobilité sociale.
La mobilité sociale : un indicateur clé des transformations de la société
La mobilité sociale est la forme centrale de mobilité étudiée en sociologie. Elle permet de mesurer les changements de position dans la hiérarchie sociale entre les générations ou au sein d’une même carrière. Elle renseigne sur la capacité d’une société à offrir de réelles opportunités de promotion sociale.
L’Insee la mesure à l’aide des tables de mobilité, qui comparent la catégorie socioprofessionnelle des enfants à celle de leurs parents. Ces données permettent de distinguer la mobilité observée — c’est-à-dire les flux réels de changement de position — de la fluidité sociale, qui mesure la force du lien entre origine et position sociale indépendamment de la structure des emplois.
Ainsi, une société peut connaître une mobilité observée importante (par exemple parce que les emplois ont évolué), sans pour autant être plus « fluide » : si les chances de devenir cadre restent beaucoup plus fortes pour les enfants de cadres que pour ceux d’ouvriers, les inégalités de destin demeurent.
À retenir
La mobilité sociale, mesurée à partir des tables de mobilité, évalue le degré d’ouverture ou de fermeture d’une société. La distinction entre mobilité observée et fluidité sociale permet de saisir les enjeux d’égalité des chances.
Comprendre les enjeux de la mobilité : égalité des chances et reproduction sociale
La question de la mobilité sociale renvoie directement à celle de l’égalité des chances. Dans une société dite « ouverte », la position d’un individu devrait dépendre de son mérite, de son effort ou de ses compétences, et non de son origine sociale. Or, les études de l’Insee montrent qu’en France, les fils de cadres ont toujours beaucoup plus de chances de devenir cadres que les fils d’ouvriers.
Cette persistance des écarts traduit le poids de la reproduction sociale : les familles transmettent des ressources économiques, culturelles et relationnelles qui favorisent la réussite scolaire et professionnelle. C’est ce que Pierre Bourdieu appelait le capital culturel (niveau d’études, langage, habitudes, codes sociaux) et le capital social (réseaux et relations utiles). Ces héritages continuent d’orienter les trajectoires, même dans une société qui se veut démocratique.
La distinction entre mobilité observée et fluidité sociale aide à comprendre ce paradoxe.
La mobilité observée mesure simplement le pourcentage d’individus qui n’occupent pas la même position que leurs parents.
La fluidité sociale, elle, évalue la probabilité de changer de position indépendamment de la structure des emplois.
Autrement dit, une société peut être très mobile (parce que l’économie crée de nouveaux emplois qualifiés), mais rester peu fluide si l’origine sociale continue de déterminer largement les trajectoires. C’est ce que résume le sociologue Louis-André Vallet, pour qui une société plus mobile n’est pas nécessairement plus égalitaire.
Exemple
Entre 1950 et 2015, la France a connu une forte mobilité observée, car la part des ouvriers a diminué et celle des cadres a fortement augmenté. Cependant, la fluidité sociale n’a progressé que lentement : les enfants de milieux favorisés ont mieux profité de cette évolution que ceux issus de familles populaires. L’« ascenseur social » fonctionne donc, mais pas de manière équitable pour tous.
À retenir
La mobilité sociale n’est pas synonyme d’égalité des chances. Même si les positions changent, les origines sociales continuent de peser fortement sur les destins individuels.
Conclusion
Les sociétés contemporaines connaissent de multiples formes de mobilité — professionnelle, géographique, intra et intergénérationnelle — mais c’est la mobilité sociale qui permet d’évaluer la capacité d’un pays à renouveler sa hiérarchie et à offrir des opportunités à tous.
L’étude de la mobilité observée et de la fluidité sociale révèle que la société française reste marquée par des inégalités de destin : malgré les transformations de l’emploi et la massification scolaire, l’origine sociale demeure un facteur déterminant du parcours individuel. La mobilité, loin d’effacer les hiérarchies, en redessine aujourd’hui les contours.
