Introduction
Au tournant du XXe siècle, l’empire colonial français s’étend sur plusieurs continents et se présente comme porteur d’une vaste « mission civilisatrice ». Mais derrière ce discours officiel, les sociétés coloniales reposent sur des rapports de domination. La France impose ses structures administratives et politiques, entretient une hiérarchie stricte entre colons et colonisés et fait perdurer de profondes inégalités. Pourtant, ces sociétés ne se limitent pas à la confrontation : elles mêlent résistances, négociations, échanges et coexistence dans un cadre profondément inégalitaire.
Les structures administratives et politiques
L’organisation coloniale varie selon les territoires. Dans les colonies proprement dites, comme le Sénégal ou la Cochinchine, le pouvoir est exercé directement par des gouverneurs nommés par Paris, qui disposent de larges prérogatives. Dans les protectorats, tels que la Tunisie (1881), le Maroc (1912), l’Annam et le Tonkin, un souverain local subsiste officiellement, mais l’administration française contrôle les finances, l’armée et la diplomatie. La Tunisie, bien que n’ayant pas connu le Code de l’indigénat sous sa forme algérienne, a néanmoins vu se développer des régimes juridiques et des contraintes spécifiques qui traduisent une hiérarchie entre colons et colonisés.
L’Algérie occupe une place à part : organisée dès 1848 en trois départements (Alger, Oran, Constantine), elle est juridiquement intégrée à la France, même si le statut de ses habitants reste inégalitaire. Le Sahara, administré séparément, n’est véritablement soumis qu’après une conquête progressive, marquée notamment par la soumission des Touaregs entre 1900 et 1912.
Dans l’ensemble, le pouvoir colonial repose sur une administration centralisée, soutenue par la force militaire et relayée par des intermédiaires locaux.
À retenir
L’administration coloniale française reste centralisée, modulée selon les contextes mais toujours dominée par la métropole.
Le code de l’indigénat et ses implications
Institué en Algérie en 1881, le Code de l’indigénat est progressivement appliqué à de nombreux territoires d’Afrique et d’Asie à partir de 1887. S’il ne s’applique pas uniformément dans tout l’empire, il inspire divers régimes juridiques qui introduisent partout des discriminations.
Ce Code impose aux colonisés un statut d’infériorité juridique : restrictions de circulation, corvées obligatoires, taxes spécifiques, sanctions collectives. Les administrateurs peuvent infliger des peines sans jugement. Dans certains territoires, ce régime discriminatoire perdure jusqu’en 1946 (Algérie) ou 1947 (AOF et AEF). Même dans les protectorats, où il n’est pas formellement instauré, des mesures proches (justice d’exception, contraintes administratives) reproduisent une logique d’infériorisation.
À retenir
Le Code de l’indigénat et ses variantes instituent une hiérarchie légale durable entre citoyens français et « sujets » de l’empire.
Inégalités et discriminations
Les sociétés coloniales reposent sur une séparation stricte entre colons et colonisés. L’accès aux droits politiques est réservé aux citoyens français. Certains autochtones peuvent accéder à la citoyenneté par naturalisation, mais la procédure reste rare et souvent conditionnée au renoncement à leur statut personnel, notamment en matière civile et familiale. Il existe toutefois des exceptions notables : en Algérie, les décrets Crémieux de 1870 accordent collectivement la citoyenneté française aux Juifs, sans leur imposer d’abandonner leur statut personnel religieux.
L’accès à la terre est profondément inégal : de vastes domaines sont concédés aux colons ou aux sociétés privées, souvent au détriment des communautés locales. L’éducation supérieure reste très limitée pour les colonisés, et les emplois de responsabilité sont largement réservés aux Européens.
Ces inégalités sont renforcées par des discriminations sociales et culturelles, nourries par des représentations raciales qui légitiment la domination coloniale.
À retenir
Les colonies fonctionnent sur une hiérarchie raciale et sociale, où la citoyenneté reste l’exception pour les autochtones, malgré quelques cas particuliers comme les décrets Crémieux.
Résistances, affrontements et échanges
La domination française suscite de nombreuses résistances locales. En Afrique de l’Ouest, Samory Touré combat l’expansion française jusqu’à sa capture en 1898. En Algérie, les révoltes de Bou Amama dans les années 1880 traduisent une opposition persistante. En Nouvelle-Calédonie, des chefs canaques s’opposent à la perte de leurs terres. Ces révoltes sont généralement réprimées avec brutalité.
Mais le quotidien colonial ne se résume pas aux affrontements. Des accords sont passés avec des chefs traditionnels, des notables locaux participent à l’administration ou au commerce, et des échanges économiques et culturels se développent. Cette coexistence reste cependant marquée par un rapport de force profondément inégal.
À retenir
Les sociétés coloniales sont traversées à la fois par des résistances vigoureuses et par des formes de coopération encadrée.
Saïgon, une ville coloniale
Saïgon, capitale de la Cochinchine française depuis 1862, devient en 1887 le siège du gouvernement général de l’Indochine. Elle conserve ce rôle jusqu’en 1902, date à laquelle Hanoï est désignée capitale de l’Union indochinoise. À la fin du XIXᵉ siècle, Saïgon s’impose comme un centre administratif et commercial régional. Son urbanisme reflète une ségrégation nette : un centre européen aux larges avenues et édifices publics modernes contraste avec les quartiers périphériques, majoritairement vietnamiens et chinois, moins équipés et sous surveillance.
La ville illustre ainsi la coexistence d’un espace de modernité coloniale et d’une forte ségrégation spatiale et sociale.
À retenir
Saïgon, centre de l’Indochine jusqu’en 1902, symbolise la ségrégation urbaine et sociale caractéristique des villes coloniales.
Conclusion
À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les sociétés coloniales françaises sont conçues pour maintenir la domination de la métropole. Le Code de l’indigénat, appliqué ou adapté selon les territoires, incarne l’inégalité juridique. Les discriminations sociales et spatiales structurent le quotidien, tandis que les résistances locales, même réprimées, coexistent avec des formes d’adaptation et de coopération. Des villes comme Saïgon reflètent ces contrastes entre modernisation et ségrégation. Ces réalités ont laissé une empreinte durable dans l’histoire de l’empire et continuent d’alimenter aujourd’hui les débats mémoriels, qu’il s’agisse de la mémoire de la guerre d’Algérie ou des controverses autour des statues liées au passé colonial.
