La diffusion de l’esprit scientifique et des savoirs au XVIIIᵉ siècle

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Dans cette leçon, tu découvres comment le XVIIIe siècle fait de la science une aventure collective et universelle. Des académies à l’Encyclopédie, des physiocrates à Émilie du Châtelet, les Lumières placent la raison, la curiosité et le savoir au cœur du progrès humain et social. Mots-clés : Siècle des Lumières, Diderot, Encyclopédie, Émilie du Châtelet, physiocrates, raison et progrès.

Introduction

Le XVIIIe siècle, appelé Siècle des Lumières, prolonge l’élan intellectuel né de la Renaissance et de la révolution scientifique du XVIIe siècle. Dans une Europe transformée par les progrès de l’imprimerie, l’alphabétisation croissante et le développement des librairies, la connaissance devient un bien public. L’esprit scientifique, fondé sur la raison, l’expérimentation et l’observation, s’allie à une ambition nouvelle : diffuser le savoir au plus grand nombre pour éclairer la société.

Des savants, philosophes et économistes s’emparent de cette mission. Les académies, les salons, la presse et surtout l’Encyclopédie deviennent les instruments de cette conquête intellectuelle. Dans ce contexte foisonnant, la science n’est plus réservée à quelques érudits : elle devient une force de transformation sociale et politique, appuyée par des figures comme Diderot, d’Alembert, Voltaire, Quesnay ou encore Émilie du Châtelet, femme de science exceptionnelle.

Les académies et la République des lettres : la science en réseau

Au XVIIIe siècle, la science sort des cabinets pour s’organiser dans des académies et sociétés savantes. En France, l’Académie des sciences, fondée en 1666 par Colbert pour le roi Louis XIV, continue d’attirer les plus grands esprits d’Europe. En Angleterre, la Royal Society de Londres (fondée en 1660, reconnue par charte royale en 1662) publie les Philosophical Transactions, première revue scientifique au monde. En Prusse, l’Académie royale de Berlin, créée en 1700 par Frédéric Ier puis réorganisée par Frédéric II, devient un centre intellectuel rayonnant de l’Europe du Nord. Ces institutions restent souvent sous le contrôle des monarques : elles servent autant à renforcer le prestige royal qu’à encourager la recherche.

Cependant, la circulation des savoirs dépasse les frontières grâce à la République des lettres, vaste réseau de correspondances reliant Paris, Londres, Amsterdam, Genève et même Saint-Pétersbourg. Des savants échangent lettres, croquis, instruments et observations. Des missionnaires jésuites installés en Chine participent aussi à ces échanges en rapportant des données astronomiques et géographiques précieuses. L’imprimé joue un rôle clé : des périodiques comme le Journal des savants (fondé en 1665 à Paris) vulgarisent les découvertes auprès d’un public cultivé, tandis que des académies provinciales à Lyon, Bordeaux ou Dijon ancrent la diffusion scientifique dans les territoires français.

Les salons littéraires, souvent dirigés par des femmes comme Madame Geoffrin, deviennent les nouveaux temples de la discussion intellectuelle. On y débat de philosophie, de physique ou d’astronomie. Ces espaces mondains élargissent la circulation du savoir et favorisent la rencontre entre écrivains, savants et artistes.

À retenir

Grâce aux académies, aux correspondances et aux salons, le XVIIIe siècle fait de la science une entreprise collective, publique et internationale, portée par la raison et la curiosité.

L’Encyclopédie : la raison mise en pages

Symbole par excellence du Siècle des Lumières, l’Encyclopédie est l’œuvre d’une génération de penseurs décidés à rendre la connaissance universelle. Denis Diderot, écrivain et philosophe né en 1713, et Jean Le Rond d’Alembert, mathématicien et physicien né en 1717, dirigent cette gigantesque entreprise publiée entre 1751 et 1772. Elle comprend 17 volumes de textes et 11 volumes de planches illustrées, soit 28 volumes au total, auxquels s’ajouteront des suppléments.

L’Encyclopédie veut rassembler tous les savoirs et les libérer des contraintes religieuses. Sous la plume de Diderot, d’Alembert, Voltaire ou Rousseau, les articles défendent la raison, la liberté de pensée et la tolérance religieuse, tout en vulgarisant les découvertes scientifiques et les techniques artisanales. Diderot affirme vouloir « changer la façon commune de penser ».

Le projet affronte de nombreux obstacles : en 1752, le Conseil du roi suspend sa publication, et en 1759, l’Église fait retirer l’autorisation d’imprimer. Mais grâce à la ténacité de Diderot et à l’appui de mécènes éclairés, les volumes continuent de paraître clandestinement à Genève ou Amsterdam. L’Encyclopédie devient ainsi une arme intellectuelle contre l’obscurantisme.

D’Alembert, qui rédige le Discours préliminaire, y expose une vision méthodique du savoir : les sciences y sont ordonnées selon la raison et l’expérience, et non selon la tradition. Par ses planches détaillées illustrant les métiers, l’Encyclopédie valorise également le travail manuel, affirmant que le progrès technique participe au progrès humain.

À retenir

L’Encyclopédie (1751-1772) symbolise la diffusion de la raison et du savoir universel : malgré la censure, elle fait triompher l’idée que la connaissance appartient à tous.

Les physiocrates : la science appliquée à l’économie

L’esprit scientifique gagne aussi le domaine de l’économie. Autour du médecin François Quesnay, né en 1694, se forme une école de pensée : la physiocratie, ou « pouvoir de la nature ». Quesnay, médecin de Louis XV, applique la méthode rationnelle à l’étude de la richesse : dans son Tableau économique (1758), il montre que seule l’agriculture produit une véritable valeur, car elle tire sa richesse de la terre. Il conçoit l’économie comme un circuit naturel, comparable à la circulation du sang dans le corps humain.

Ses disciples, dont Turgot (1727-1781), futur ministre de Louis XVI, défendent un impôt unique sur la terre et la liberté économique, s’opposant à la fois au mercantilisme (héritage du colbertisme, qui visait à enrichir l’État par le commerce et les métaux précieux) et aux corporations, jugées contraires à la libre concurrence. Leur influence, très forte en France dans les années 1750-1760, décline dès les années 1770, supplantée par le libéralisme anglais d’Adam Smith, auteur de La Richesse des nations (1776).

À retenir

Les physiocrates veulent comprendre la société comme un organisme vivant : ils prônent la liberté économique, la suppression des privilèges et l’impôt unique sur la terre.

Émilie du Châtelet : une femme savante des Lumières

Dans ce monde savant encore dominé par les hommes, Émilie du Châtelet (1706-1749) incarne l’audace intellectuelle féminine. Née dans une famille noble, elle reçoit une éducation scientifique exceptionnelle. Passionnée par les mathématiques et la physique, elle devient la traductrice et commentatrice des Principia Mathematica d’Isaac Newton, œuvre publiée en français en 1759, dix ans après sa mort.

Dans ses Institutions de physique (1740), elle développe une réflexion personnelle où elle cherche à concilier Newton et Leibniz, et formule des intuitions sur la conservation de l’énergie. Elle collabore avec Voltaire, dont elle partage la passion pour la science et la philosophie. Voltaire lui-même (1694-1778), grand écrivain et penseur des Lumières, combat le fanatisme religieux et célèbre la raison et la tolérance.

Émilie du Châtelet montre que la science n’est pas réservée aux hommes : son œuvre contribue à diffuser le newtonianisme en France et à ouvrir la voie à une participation féminine à la recherche.

À retenir

Émilie du Châtelet incarne la femme savante des Lumières : ses travaux sur Newton et sa pensée originale participent à la diffusion de l’esprit scientifique et à l’émancipation intellectuelle.

Science, société et pouvoir : la raison au service du progrès

L’esprit scientifique du XVIIIe siècle dépasse les laboratoires : il transforme la société. Les journaux, les librairies et les salons rendent le savoir accessible à un public toujours plus large. Les découvertes scientifiques s’accompagnent d’une critique de l’intolérance et d’un appel à la tolérance religieuse, défendus par Voltaire et les encyclopédistes.

Les souverains européens s’en emparent pour renforcer leur pouvoir. On parle alors de despotisme éclairé. Frédéric II de Prusse (1712-1786) correspond avec Voltaire et protège les savants ; Catherine II de Russie (1729-1796) fait de Saint-Pétersbourg un centre intellectuel ; Joseph II d’Autriche (1741-1790) réforme l’enseignement et l’administration. Pourtant, ces monarques ne vont pas jusqu’à instaurer de véritables libertés politiques : leur soutien à la science reste avant tout un moyen de légitimer leur autorité.

À retenir

Le despotisme éclairé valorise la science et la philosophie, mais sans renoncer à l’autorité absolue : la raison sert à moderniser l’État plus qu’à libérer les peuples.

Conclusion

Au XVIIIᵉ siècle, la diffusion de l’esprit scientifique transforme profondément la culture européenne. Par les académies, l’Encyclopédie, les physiocrates et les femmes savantes, la science devient un projet collectif, fondé sur la raison et la liberté. Elle s’étend au domaine social et économique, tout en nourrissant les idéaux de tolérance et de progrès.

Le Siècle des Lumières ne se contente pas de célébrer la connaissance : il invente une nouvelle manière de penser le monde. De Diderot à Voltaire, de Quesnay à Émilie du Châtelet, les savants et philosophes des Lumières font de la science non plus un savoir réservé, mais une force d’émancipation universelle, annonçant les bouleversements politiques et intellectuels de la fin du siècle.