Le Chili de 1970 à 1973 : crises et fin de la démocratie

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Dans cette leçon, tu vas étudier l’expérience du socialisme démocratique de Salvador Allende au Chili (1970-1973). Tu comprendras comment ses réformes ont suscité espoirs et résistances, et pourquoi elles ont abouti au coup d’État militaire de Pinochet, marqué par une répression sanglante et une dictature durable. Mots-clés : Allende, Chili 1973, coup d’État Pinochet, socialisme démocratique, guerre froide, dictature militaire.

Introduction

Le 11 septembre 1973, le palais présidentiel de la Moneda, à Santiago du Chili, est bombardé par l’armée. À l’intérieur, le président Salvador Allende se donne la mort, refusant de se rendre aux putschistes (militaires qui prennent le pouvoir par la force). Cet événement dramatique marque la fin d’une des plus anciennes démocraties d’Amérique latine et l’entrée dans une dictature militaire qui durera jusqu’en 1990.

L’expérience d’Allende, élu en 1970 à la tête d’une coalition de gauche, s’inscrit dans le contexte de la guerre froide, lorsque les États-Unis et l’URSS s’affrontent par pays interposés. Elle représente une tentative originale : instaurer un socialisme par les urnes et dans le cadre de la démocratie représentative, là où ailleurs les changements se font par des révolutions ou des régimes autoritaires. Mais cette expérience se heurte à de fortes résistances sociales, à un blocage politique et à des pressions internationales qui mènent à son échec. Comment l’expérience du socialisme démocratique au Chili illustre-t-elle la fragilité des démocraties dans le contexte de la guerre froide ?

L’expérience démocratique d’Allende (1970-1973)

En septembre 1970, Salvador Allende remporte l’élection présidentielle avec seulement 36 % des voix. Comme il n’a pas la majorité absolue, le Congrès chilien ratifie sa victoire, ce qui fragilise dès le départ sa légitimité.

À la tête de l’Unité populaire, il engage un vaste programme de réformes. La réforme agraire vise à redistribuer les terres : de grandes propriétés, les haciendas, sont expropriées au profit des paysans sans terre. Si cette mesure est acclamée par les travailleurs agricoles, elle suscite la colère des propriétaires terriens, qui dénoncent une atteinte à la propriété privée.

Les nationalisations touchent les secteurs stratégiques, en particulier le cuivre, richesse essentielle du pays. La mine de Chuquicamata est nationalisée, retirée au contrôle de compagnies américaines comme Anaconda Copper et Kennecott Copper. Cette décision renforce la fierté nationale mais détériore les relations avec Washington.

Allende veut montrer qu’il est possible de bâtir un socialisme par la voie démocratique et non par la violence révolutionnaire. Mais ses réformes, applaudies par les classes populaires et les syndicats, inquiètent fortement les élites économiques, une partie des classes moyennes et l’armée.

À retenir

Allende tente un socialisme démocratique par les urnes : réforme agraire et nationalisations symbolisent ce projet, mais il est contesté dès l’origine.

Les tensions sociales, politiques et internationales

La société chilienne se fracture. Les ouvriers, paysans et étudiants soutiennent les réformes, tandis que les élites et une partie du centre y voient une menace. L’inflation s’emballe, les pénuries s’aggravent. En 1972, le lock-out des camionneurs, financé en partie par des fonds américains, paralyse l’économie et accentue la crise.

Sur le plan institutionnel, le Congrès devient le lieu d’un affrontement permanent entre gouvernement et opposition. Les réformes sont bloquées et la démocratie représentative, censée favoriser le compromis, se transforme en champ de bataille.

Le contexte international joue un rôle décisif. En pleine guerre froide, les États-Unis redoutent un « nouveau Cuba » en Amérique latine. Le président Nixon et son conseiller Henry Kissinger encouragent la déstabilisation du Chili : financement de l’opposition, soutien aux grèves, pressions économiques. L’URSS, de son côté, accorde une aide (crédits, pétrole, conseillers techniques), mais limitée : Moscou privilégie alors sa politique de détente avec Washington et ne souhaite pas risquer une confrontation directe pour soutenir Allende.

À retenir

Polarisation sociale, blocage institutionnel et guerre froide expliquent la fragilité du régime d’Allende et préparent le coup d’État.

Le coup d’État militaire et la répression

Le 11 septembre 1973, l’armée chilienne, dirigée par le général Augusto Pinochet, bombarde le palais présidentiel. Allende se suicide, devenant le symbole d’un combat perdu. La démocratie est brutalement interrompue : Parlement dissous, partis interdits, Constitution suspendue.

La répression est terrible. Environ 3 000 personnes sont tuées ou portées disparues, des dizaines de milliers sont emprisonnées ou torturées, et plusieurs centaines de milliers de Chiliens sont contraints à l’exil. Ces violences marquent profondément la mémoire nationale.

La dictature se poursuit jusqu’en 1990. En 1980, une nouvelle Constitution, adoptée par référendum dans des conditions contestées, renforce la présidence et limite le pluralisme. Même après le départ de Pinochet, ce texte structure encore la vie politique, illustrant la profondeur de la rupture démocratique.

À retenir

Le coup d’État de Pinochet inaugure une dictature marquée par une répression féroce, des exils massifs et une Constitution imposée en 1980 qui prolonge son héritage.

Conclusion

Entre 1970 et 1973, le Chili a tenté un socialisme démocratique et institutionnel, mais cette expérience a été brisée par la polarisation sociale, les blocages politiques et les ingérences de la guerre froide. Le coup d’État de Pinochet, suivi d’une répression sanglante et d’un exil massif, rappelle combien la démocratie peut être fragile quand elle perd la confiance de ses citoyens et subit des pressions extérieures.

Aujourd’hui encore, le souvenir du 11 septembre 1973 reste vif : commémorations officielles, débats sur la Constitution héritée de Pinochet, procès de responsables de la répression. Cette mémoire montre que la démocratie doit être défendue en permanence, car elle peut vaciller face aux crises internes et aux tensions internationales.