Introduction
Depuis le début du XXIe siècle, la Chine affirme sa volonté de devenir une puissance spatiale de premier plan. Ce projet s’inscrit dans une trajectoire particulière : longtemps restée en retrait face aux deux grandes puissances de la guerre froide (États-Unis et URSS), la Chine s’est engagée dans une stratégie de montée en puissance progressive, coordonnée et autonome. Le domaine spatial est devenu un instrument de souveraineté technologique, de rayonnement international, et un levier stratégique dans la recomposition des rapports de force mondiaux.
Cette ambition s’est construite dans un contexte de méfiance, marqué par la loi américaine Wolf de 2011, qui interdit à la NASA toute coopération avec la Chine. Écartée des grands programmes internationaux comme la Station spatiale internationale, Pékin a développé une infrastructure parallèle, appuyée sur une vision politique de long terme et une organisation rigoureuse.
De la marginalisation à l’ambition affichée
Pendant la guerre froide, la Chine ne participe pas à la course à l’espace menée par les États-Unis et l’URSS. Son premier satellite n’est lancé qu’en 1970, et il faut attendre 2003 pour qu’elle envoie un premier taïkonaute dans l’espace, devenant le troisième pays à accomplir cette prouesse par ses propres moyens.
Ce retard initial a nourri une volonté de rattrapage, intégrée aux plans quinquennaux et portée au plus haut niveau de l’État, notamment par Xi Jinping, qui fait du spatial l’un des symboles du « grand rajeunissement de la nation chinoise ». Cette ambition s’exprime à travers des objectifs clairs : missions lunaires, martiennes, système de géolocalisation autonome, station orbitale habitée, coopération internationale ciblée.
Le spatial devient un marqueur de puissance, de maîtrise technologique, mais aussi de fierté nationale.
À retenir
La Chine est longtemps restée en retrait de la conquête spatiale. Depuis 2003, elle construit une trajectoire ascendante structurée, perçue comme un instrument majeur de sa puissance.
Une organisation centralisée et des investissements massifs
Le programme spatial chinois repose sur une forte coordination entre l’État, les entreprises publiques et l’armée. L’agence spatiale civile CNSA pilote les missions d’exploration, tandis que la Force de soutien stratégique (branche militaire créée en 2015) supervise les fonctions militaires et défensives du spatial.
Les entreprises publiques CASC et CASIC assurent la conception des satellites, des fusées Longue Marche et des infrastructures. L’ensemble est soutenu par un budget en hausse constante : la Chine est aujourd’hui le deuxième investisseur spatial mondial, derrière les États-Unis.
Parmi les principales réalisations récentes :
Le système de navigation BeiDou, concurrent du GPS.
Les missions Chang’e (Lune) et Tianwen-1 (Mars).
La station orbitale Tiangong, habitée depuis 2022.
Le développement de modules spatiaux réutilisables, capables d’être relancés après retour sur Terre.
La Chine dispose de plusieurs bases de lancement, dont la base de Wenchang, sur l’île de Hainan, qui est aujourd’hui le site majeur de lancement des fusées lourdes, proche de l’équateur et particulièrement adapté aux missions orbitales ambitieuses.
À retenir
L’affirmation spatiale chinoise repose sur une coordination civilo-militaire, un appareil industriel efficace et des bases de lancement modernes comme celle de Wenchang.
La dimension militaire du programme spatial
La militarisation de l’espace est un volet central de la stratégie chinoise. La Force de soutien stratégique contrôle l’usage militaire des satellites (télécommunications, observation, géolocalisation), mais développe aussi des capacités offensives, comme les armes antisatellites (ASAT).
En 2007, un missile chinois a détruit un de ses propres satellites vieillissants en orbite basse, suscitant une vague internationale de critiques en raison des débris générés. Cet acte s’inscrit dans une logique de démonstration de puissance — une logique suivie auparavant par les États-Unis (1985) et la Russie (depuis l’URSS, puis en 2021), qui ont mené des essais similaires. Ces actions révèlent les tensions autour de la maîtrise de l’orbite terrestre.
Face à ces capacités, les États-Unis ont renforcé leur dispositif en créant, en 2019, un commandement spatial militaire dédié. La rivalité entre la Chine et les États-Unis s’est accentuée, notamment autour de la cybersécurité orbitale, des brouillages de signaux et de la surveillance des constellations de satellites.
À retenir
Le spatial chinois est un domaine stratégique pour la défense. Il s’inscrit dans une logique de dissuasion et de compétition avec les grandes puissances, notamment les États-Unis.
Coopérations ciblées et diplomatie régionale
Exclue des grands projets occidentaux, la Chine privilégie une coopération bilatérale ciblée, notamment avec les pays émergents (Pakistan, Venezuela, Égypte, Brésil, etc.). Elle leur fournit des satellites, des services de lancement et des données scientifiques, dans une logique d’élargissement de son influence.
En Asie, elle renforce ses relations avec l’ASEAN (Association des nations d’Asie du Sud-Est), en proposant des coopérations dans l’observation de la Terre, la surveillance climatique ou la gestion des risques naturels. Elle se positionne ainsi comme un partenaire technologique alternatif aux puissances occidentales.La « route de la soie spatiale » : Cette expression désigne l’extension du programme des Nouvelles routes de la soie à l’espace. Elle inclut la fourniture de satellites, de services de télécommunications, de géolocalisation, et la mise en place d’accords de coopération spatiale avec les pays partenaires.
Par ailleurs, un projet de station lunaire conjointe avec la Russie est en cours de négociation, marquant une convergence stratégique dans un contexte de refroidissement diplomatique avec les États-Unis et leurs alliés.
La « route de la soie spatiale » : Cette expression désigne l’extension du programme des Nouvelles routes de la soie à l’espace. Elle inclut la fourniture de satellites, de services de télécommunications, de géolocalisation, et la mise en place d’accords de coopération spatiale avec les pays partenaires.
À retenir
La Chine mène une diplomatie spatiale sélective, en misant sur les partenariats bilatéraux. Elle renforce aussi ses alliances régionales en Asie et coopère avec la Russie pour concurrencer les projets occidentaux.
Un positionnement ambigu dans la gouvernance spatiale
La Chine affirme son attachement au Traité de l’espace de 1967, qui interdit l’appropriation des corps célestes et les armes de destruction massive dans l’espace. Elle participe activement au Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (COPUOS), organe de l’ONU chargé du suivi de la gouvernance spatiale.
Mais son positionnement est ambigu. D’un côté, elle défend dans ses discours un usage coopératif et pacifique de l’espace. De l’autre, elle développe ses capacités militaires et rejette certaines initiatives internationales, comme les Accords Artemis lancés par les États-Unis en 2020. Ces accords visent à encadrer les futures missions lunaires dans une logique multilatérale, mais sous leadership américain.
La Chine dénonce cette initiative comme excluante et unilatérale, et préfère défendre un modèle multipolaire, sans hégémonie occidentale. Elle n’a toutefois pas encore proposé d’alternative pleinement cohérente ni convaincu un large bloc d’États autour de sa vision.
À retenir
La Chine participe à la gouvernance spatiale existante, tout en contestant certaines initiatives américaines comme les Accords Artemis. Elle cherche à peser davantage sur l’élaboration des règles futures.
Conclusion
La Chine a progressivement transformé son programme spatial en vecteur de puissance globale. Partie avec un retard important, elle a su construire une stratégie fondée sur une volonté politique constante, des moyens publics coordonnés, une diplomatie spatiale active, et une militarisation assumée de l’orbite.
Sa trajectoire repose sur un équilibre complexe entre coopération et compétition, entre règles existantes et remise en cause des normes dominantes. Face à la prédominance des États-Unis, la Chine entend jouer un rôle central dans la définition d’un nouvel ordre spatial, reflétant ses intérêts et sa vision du monde. L’espace devient ainsi un miroir des ambitions chinoises, mais aussi un champ de rivalités durables entre grandes puissances.
