La politique européenne de la concurrence

icône de pdf
Signaler
Cette leçon t’explique comment la politique européenne de la concurrence garantit une économie ouverte et équitable au sein du marché unique. Tu y verras ses quatre grands instruments (ententes, positions dominantes, fusions, aides d’État), son ancrage ordolibéral et les débats actuels sur la souveraineté industrielle et la transition écologique. Mots-clés : politique de la concurrence, Commission européenne, marché unique, ordolibéralisme, aides d’État, souveraineté économique.

Introduction

La politique européenne de la concurrence constitue l’un des piliers du marché unique. Elle vise à préserver une concurrence loyale entre les entreprises afin de stimuler l’innovation, de garantir des prix justes pour les consommateurs et d’éviter la formation de monopoles.

Encadrée par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), cette politique repose sur un ensemble de règles appliquées par la Commission européenne, qui dispose de pouvoirs d’enquête, de contrôle et de sanction. Cependant, cette politique, conçue pour protéger le marché, fait parfois l’objet de débats lorsqu’elle semble entrer en tension avec les objectifs industriels ou géopolitiques de l’Union.

Les instruments de la politique européenne de la concurrence

La Commission européenne dispose de quatre grands leviers pour assurer le bon fonctionnement concurrentiel du marché unique.

Le premier est la lutte contre les ententes, c’est-à-dire les accords entre entreprises visant à fausser la concurrence. Ces ententes peuvent être horizontales – entre entreprises concurrentes sur un même marché, comme dans le cas de la fixation concertée des prix – ou verticales, entre acteurs situés à différents niveaux de la chaîne de production, comme lorsqu’un distributeur s’engage à vendre exclusivement les produits d’un fournisseur. En 2016, plusieurs fabricants de camions ont été condamnés pour entente sur les prix, et en 2023, plusieurs groupes de mode ont été sanctionnés pour avoir coordonné leurs politiques d’achats prétendument « durables », relevant en réalité du greenwashing.

Le deuxième levier est la lutte contre les abus de position dominante. Une entreprise peut être sanctionnée si elle profite de sa domination pour empêcher l’entrée de nouveaux concurrents. Parmi ces pratiques figurent le prix prédateur, c’est-à-dire un prix artificiellement bas pour évincer les rivaux, ou la vente liée, qui consiste à conditionner l’achat d’un produit à celui d’un autre. En 2017, Google a été condamné pour avoir favorisé son propre comparateur de prix (Google Shopping), avant d’autres enquêtes sur Android et Google Ads.

Le troisième outil est le contrôle des concentrations. La Commission européenne examine les projets de fusion ou d’acquisition qui dépassent certains seuils de chiffre d’affaires afin d’éviter la création d’acteurs trop puissants. En 2019, la fusion entre Siemens et Alstom a été interdite : bien qu’elle ait pu renforcer la compétitivité européenne, elle risquait de restreindre la concurrence sur les marchés ferroviaires.

Enfin, la Commission encadre les aides d’État pour éviter qu’un gouvernement n’accorde un avantage excessif à une entreprise nationale. Ces subventions doivent rester limitées et compatibles avec le droit européen. En 2020, par exemple, l’aide publique accordée à Air France a été autorisée dans le cadre du régime exceptionnel lié à la crise du Covid-19.

À retenir

La politique de la concurrence s’appuie sur quatre leviers : lutte contre les ententes, prévention des abus de position dominante, contrôle des fusions et encadrement des aides d’État. L’objectif est de garantir une concurrence équitable dans l’ensemble du marché unique.

Fondements économiques et idéologiques

La politique européenne de la concurrence repose sur la conviction qu’un marché concurrentiel favorise l’innovation, la productivité et la baisse des prix. Elle s’inscrit dans une tradition économique ordolibérale, issue de l’Allemagne d’après-guerre.

L’ordolibéralisme défend l’idée que l’État ne doit pas intervenir directement dans la fixation des prix ou des quantités, mais qu’il doit garantir un cadre juridique stable et des règles de concurrence strictes. Inspirée par les travaux de Walter Eucken et de l’école de Fribourg, cette doctrine a influencé la construction européenne dès les années 1950. Dans cette perspective, la concurrence est perçue comme une condition de la liberté économique, et le rôle de l’État consiste à empêcher la formation de monopoles privés aussi bien que publics.

Les objectifs de cette politique sont multiples : protéger les consommateurs contre les abus de prix, encourager la diversité de l’offre et l’innovation, favoriser l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché et assurer une allocation efficace des ressources à l’échelle européenne.

À retenir

La politique européenne de la concurrence s’inspire de l’ordolibéralisme : l’État doit garantir un cadre concurrentiel rigoureux, sans intervenir directement dans le jeu du marché.

Limites et tensions avec les enjeux stratégiques

Si la politique européenne de la concurrence a largement contribué à la stabilité et à la transparence du marché unique, elle fait aujourd’hui face à de nouvelles tensions.

Elle est d’abord critiquée pour son manque de souplesse industrielle. Certaines fusions sont refusées au nom de la concurrence, alors qu’elles pourraient renforcer la souveraineté économique européenne, comme dans le cas Siemens-Alstom. Elle est également jugée trop rigide : les règles strictes en matière d’aides d’État peuvent freiner le développement de filières stratégiques, notamment dans les semi-conducteurs, les batteries ou l’hydrogène, secteurs pourtant clés pour la transition écologique. De plus, la concurrence est parfois asymétrique : des entreprises étrangères, notamment chinoises, bénéficient d’un fort soutien public, alors que les entreprises européennes doivent se conformer à des règles beaucoup plus strictes.

La politique européenne de la concurrence soulève aussi des questions sociales et fiscales : la recherche de compétitivité par les prix peut encourager des modèles économiques fondés sur la précarité de l’emploi ou l’optimisation fiscale.

Enfin, la montée des enjeux géopolitiques ravive la question de la souveraineté industrielle, c’est-à-dire la capacité de l’Europe à maîtriser ses chaînes d’approvisionnement stratégiques (énergie, santé, technologies).

Face à ces défis, la Commission européenne a commencé à assouplir ses règles. Pendant la crise sanitaire, les aides d’État ont été temporairement élargies, et des projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) ont été autorisés pour structurer des filières industrielles stratégiques à l’échelle du continent.

À retenir

Si la politique de la concurrence demeure essentielle à la stabilité du marché, elle tend à s’assouplir pour répondre aux nouveaux défis industriels, environnementaux et géopolitiques.

Conclusion

La politique européenne de la concurrence repose sur des principes clairs : garantir la liberté d’accès au marché, empêcher les abus de pouvoir économique et assurer une allocation efficace des ressources. Toutefois, les mutations actuelles – transition écologique, rivalités géopolitiques, crises énergétiques et sanitaires – exigent une adaptation de ces règles.

Le défi est désormais de trouver un équilibre entre discipline concurrentielle et stratégie industrielle. Préserver la concurrence reste indispensable, mais l’Union européenne doit aussi se doter d’une vision économique commune, capable de protéger ses intérêts et d’accompagner la transformation de son modèle productif au XXIᵉ siècle.