La croyance est-elle inhérente à l’homme ?

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Dans cette leçon, tu découvriras pourquoi croire n’est pas un simple défaut de raisonnement, mais une nécessité humaine liée à notre besoin de sens. Même dans une société rationnelle ou scientifique, certaines croyances restent indispensables pour agir, espérer ou vivre ensemble. Mots-clés : croyance, raison, savoir, Hume, Pascal, Ricœur

Croire, c’est tenir quelque chose pour vrai sans en avoir une preuve certaine. Contrairement au savoir, la croyance implique un degré d’incertitude, mais elle n’est pas pour autant irrationnelle : elle peut être motivée, raisonnable, ou socialement partagée. La religion, les convictions morales ou les opinions politiques reposent en partie sur des croyances. Mais l’homme pourrait-il s’en passer ? Autrement dit, la croyance est-elle un simple accident historique, ou constitue-t-elle un trait fondamental de la condition humaine ?

Nous verrons que la croyance semble d’abord s’imposer comme une fonction naturelle de l’esprit humain, étroitement liée à sa manière d’exister dans le monde. Pourtant, cette disposition n’exclut pas une distance critique possible, qui ouvre à la pensée rationnelle. Il faudra enfin se demander si toute vie humaine ne suppose pas néanmoins un socle minimal de croyances, même en dehors de tout système religieux.

L’homme, un être de croyances spontanées

La croyance semble d’abord s’inscrire dans la nature humaine, tant elle est présente dans toutes les sociétés, sous des formes diverses. Les religions, les rites, les mythes, les représentations du monde manifestent une tendance universelle à attribuer un sens à ce qui dépasse l’entendement immédiat : la mort, l’origine du monde, le destin. L’homme, parce qu’il est conscient de sa finitude, cherche des repères, des explications, des raisons d’agir ou d’espérer.

Le philosophe David Hume, dans son Enquête sur l’entendement humain, souligne que la croyance ne se limite pas à la religion : elle est indispensable à la vie quotidienne. Nous croyons que le soleil se lèvera demain, que les objets tombent, que les autres ont une pensée. Ces croyances reposent sur l’habitude ou sur l’expérience passée, mais ne sont pas démontrables au sens strict. Sans elles, aucune action cohérente ne serait possible.

Le philosophe Pascal observe également que l’homme, même lorsqu’il affirme ne croire en rien, continue à se fier à des représentations, à espérer, à juger. Dans les Pensées, il note : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » Il ne s’agit pas de rejeter la raison, mais de reconnaître que certaines intuitions, sentiments ou engagements relèvent d’une forme de foi non réductible à un raisonnement déductif.

De plus, l’enfance est un moment de croyance intense : croire les paroles des adultes, croire aux récits qu’on nous raconte, croire en la justice ou en l’amour. Ces croyances structurent la construction du rapport au monde. Même à l’âge adulte, elles ne disparaissent pas : elles changent de forme. L’homme semble donc être un être qui ne peut vivre sans adhérer à des significations, même provisoires.

Une disposition naturelle, mais dépassable

Cependant, la croyance n’est pas une fatalité. L’homme est aussi capable de doute, de mise à distance, de critique. Il ne se contente pas de croire : il peut vouloir savoir, démontrer, vérifier. Platon, dans La République, distingue la croyance (doxa) du savoir (épistémè). La croyance repose sur des apparences, des opinions reçues, tandis que le savoir suppose une remontée vers des principes solides, universels. Pour Platon, seule la philosophie permet à l’homme de sortir de l’ombre des représentations et d’accéder à la vérité.

Ce dépassement de la croyance se manifeste aussi dans le développement de la science moderne, qui s’efforce de ne rien admettre sans preuve. Le doute méthodique de Descartes, dans les Méditations métaphysiques, consiste à rejeter toutes les croyances douteuses pour fonder la connaissance sur une certitude indubitable. L’homme rationnel ne renonce pas à croire, mais il cherche à distinguer ce qui peut être su de ce qui ne peut être que cru.

Mais ce dépassement ne signifie pas l’extinction complète de toute croyance. La science elle-même repose sur des postulats de base : la régularité des lois, l’existence d’un monde extérieur, la validité des raisonnements logiques. Même le scientifique le plus rigoureux doit faire confiance à ses instruments, à ses collaborateurs, ou à des savoirs qu’il ne maîtrise pas totalement. Cela montre que la croyance, même encadrée par des exigences critiques, reste présente comme condition implicite de toute activité humaine.

Une fonction existentielle inévitable

Enfin, certaines formes de croyance ne sont pas des défauts de la pensée, mais des dimensions essentielles de la vie humaine. Croire en la liberté, en la justice, en l’amour, ce n’est pas nier la raison, mais engager sa subjectivité dans une direction, faire le choix de donner du sens.

Paul Ricœur, dans Soi-même comme un autre, souligne que la croyance n’est pas seulement un manque de savoir : c’est un acte par lequel le sujet s’engage dans une interprétation du monde, qu’il sait partielle mais à laquelle il adhère pour vivre et agir. Il ne s’agit pas de naïveté, mais d’un rapport assumé à l’incertitude.

Ainsi, même les sociétés sécularisées, ou les personnes non religieuses, vivent avec des croyances fondamentales : confiance dans la démocratie, dans la dignité humaine, dans l’avenir. Ces croyances ne sont pas des illusions irrationnelles, mais des repères collectifs, souvent discutés, mais jamais complètement démontrables. Elles forment ce que certains philosophes appellent des croyances régulatrices : elles orientent l’action sans prétendre à la certitude absolue.

De ce point de vue, on peut dire que la croyance est constitutive de l’humanité, non comme renoncement à penser, mais comme condition de toute vie orientée. Sans croyance minimale, il n’y aurait ni confiance, ni engagement, ni projet.

Conclusion

La croyance n’est pas un défaut de la pensée humaine, mais une de ses modalités fondamentales. L’homme, par son ouverture au monde, par sa conscience de sa finitude et par ses besoins d’orientation, ne peut vivre sans croire en certaines vérités, même fragiles. Cette disposition peut être corrigée, critiquée, encadrée, mais jamais entièrement supprimée.

La croyance est donc inhérente à l’homme, non parce qu’il serait incapable de penser, mais parce qu’il cherche à vivre dans un monde de sens. Même l’usage de la raison s’appuie sur des présupposés qu’il faut accepter sans preuve totale. C’est cette tension entre croyance et savoir, entre incertitude et confiance, qui fait la richesse et la complexité de la condition humaine.