La construction d’une justice pénale internationale face aux crimes de masse : le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY)

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Dans cette leçon, tu découvres le rôle clé du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie dans la lutte contre l’impunité après les guerres des Balkans. Tu verras comment il a permis de juger des crimes de masse tout en posant les bases d’une justice internationale plus ambitieuse… mais aussi confrontée à ses propres limites. Mots-clés : TPIY, justice internationale, ex-Yougoslavie, crimes de guerre, génocide, droit pénal international.

Introduction

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la communauté internationale a cherché à juger les responsables des crimes les plus graves, posant les bases d’un droit pénal international. Cette dynamique prend un nouveau tournant dans les années 1990 avec la mise en place de tribunaux ad hoc chargés de poursuivre les auteurs de crimes de masse commis lors de conflits récents. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), créé en 1993, en constitue une étape décisive. Il répond au besoin de justice face aux exactions commises pendant les guerres qui ont accompagné l’éclatement de la Yougoslavie. Ce jalon permet d’interroger le rôle de la justice internationale dans la reconstruction post-conflit, la reconnaissance des victimes et l’établissement des responsabilités. Il mobilise des compétences telles que l’analyse critique de documents juridiques et historiques, l’identification des acteurs et la compréhension des processus de mise en œuvre du droit à l’échelle internationale.

La genèse du TPIY : un tournant juridique dans un contexte chaotique

L’ex-Yougoslavie, pays fédéral situé dans les Balkans, a connu un éclatement violent à partir de 1991, marqué par des guerres sanglantes entre les différentes républiques : Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie. Ces conflits se sont accompagnés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et, dans certains cas spécifiques, d’actes de génocide. Le massacre de Srebrenica, en juillet 1995, où environ 8 000 hommes et garçons bosniaques ont été exécutés par les forces serbes de Bosnie, a été qualifié de génocide par le TPIY et confirmé comme tel par la Cour internationale de justice (CIJ) en 2007. Cette dernière a toutefois précisé que la responsabilité directe de la Serbie n’était pas établie, ce qui nuance la portée juridique de sa décision. Il est donc essentiel de ne pas assimiler l’ensemble de la guerre de Bosnie à un génocide : le terme s’applique uniquement à certains actes déterminés juridiquement.

Face à l’ampleur des violences, le Conseil de sécurité de l’ONU décide, par la résolution 827 du 25 mai 1993, de créer un tribunal international ad hoc : le TPIY. C’est la première juridiction pénale internationale depuis les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo. Basé à La Haye, il est chargé de juger les personnes accusées de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991. Concernant le Kosovo, le TPIY intervient sur les exactions commises à la fin des années 1990, mais d’autres juridictions, comme les Chambres spécialisées pour le Kosovo (KSC), créées en 2015, prendront le relais pour certains crimes.

À retenir

Le TPIY est né dans un contexte de violences extrêmes liées à l’éclatement de la Yougoslavie. Il incarne la volonté de juger les responsables de crimes de masse. Le terme de génocide ne s’applique qu’à des événements spécifiques comme Srebrenica, et la responsabilité d’un État, comme la Serbie, n’a pas été juridiquement retenue par la CIJ.

Compétences, fonctionnement et procédures du TPIY

Le TPIY avait compétence pour juger les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les violations graves des Conventions de Genève et les infractions aux lois et coutumes de la guerre. Il ne jugeait que des individus, et non des États, en vertu du principe d’individualisation de la responsabilité pénale. Ce principe permet de condamner les responsables sans engager la responsabilité collective d’un peuple.

Le tribunal était composé de juges internationaux élus par l’Assemblée générale des Nations unies, d’un procureur indépendant chargé de conduire les enquêtes et d’un greffe en charge de l’organisation. Le fonctionnement s’inspire des principes du procès équitable : droit à un avocat, présomption d’innocence, débats publics, appel possible.

Le TPIY a mis en accusation 161 personnes entre 1993 et sa fermeture en 2017. Parmi elles figuraient de simples soldats, mais aussi des figures politiques et militaires de premier plan comme Slobodan Milošević, président de la République fédérale de Yougoslavie, ou Radovan Karadžić, dirigeant de la Republika Srpska, entité serbe de Bosnie. Le tribunal a permis de documenter précisément les exactions grâce à des archives, des témoignages et des expertises.

Il a aussi permis des avancées juridiques majeures. Le procès Furundžija (1998) a été l’un des premiers à reconnaître le viol comme un crime de guerre, en tant qu’atteinte grave à la dignité humaine. Toutefois, c’est le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), dans le procès Akayesu également en 1998, qui a pour la première fois reconnu le viol comme un acte constitutif de génocide. Ces décisions ont ouvert la voie à une meilleure reconnaissance des violences sexuelles dans les conflits armés.

Par ailleurs, le travail du TPIY n’aurait pas été possible sans l’action de la société civile. De nombreuses ONG, associations de victimes, journalistes et chercheurs ont contribué à la collecte des preuves, à la médiatisation des faits et à la pression pour que justice soit rendue. Ce réseau d’acteurs a alimenté les enquêtes et renforcé la légitimité des procès.

À retenir

Le TPIY a mis en accusation 161 personnes et contribué à faire évoluer le droit international humanitaire, notamment en matière de violences sexuelles. Il a aussi bénéficié du travail décisif de la société civile, qui a facilité la documentation des crimes et la recherche de la vérité.

Limites et apports du TPIY : entre justice, politique et mémoire

Le TPIY a marqué une avancée majeure dans la lutte contre l’impunité, mais son action n’a pas échappé aux critiques. D’un point de vue positif, il a contribué à établir les responsabilités individuelles, à reconnaître les souffrances des victimes et à produire une mémoire judiciaire, c’est-à-dire un récit fondé sur des verdicts de justice. Il a aussi inspiré la création d’une justice pénale permanente avec la Cour pénale internationale (CPI) en 1998.

Mais son action a été entravée par plusieurs limites. Le déroulement des procès a été long : certains accusés ont été jugés plus de dix ans après les faits, avec des procédures s’étalant parfois sur plusieurs années. Le procès de Milošević, entamé en 2002, n’a jamais été achevé en raison de son décès en 2006. La localisation du tribunal à La Haye a contribué à une distance symbolique avec les populations concernées. En Bosnie-Herzégovine, au Kosovo ou en Serbie, le TPIY a parfois été perçu comme un instrument de justice étrangère, voire comme biaisé.

Sur le plan politique, le tribunal dépendait du Conseil de sécurité, ce qui posait la question de son indépendance. Il était aussi tributaire de la coopération des États pour l’arrestation des suspects : certains, comme Karadžić ou Mladić, ont échappé à la justice pendant plus de dix ans.

Enfin, son action, bien qu’essentielle, n’a pas suffi à réconcilier durablement les sociétés post-conflit. Les verdicts restent contestés par une partie des opinions publiques, et les mémoires nationales demeurent fragmentées. Cela illustre les limites d’une justice qui, si elle est indispensable, ne peut à elle seule garantir la paix sociale.

À retenir

Le TPIY a permis des avancées majeures pour la justice internationale, mais son efficacité a été limitée par sa dépendance aux États, les critiques politiques et les difficultés à produire une mémoire collective acceptée. Il incarne les tensions persistantes entre droit, politique et réconciliation.

Conclusion

Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie représente une étape décisive dans l’histoire du droit international. Il a permis de juger des crimes graves, de construire un socle juridique pour les juridictions futures, et de faire entendre la voix des victimes. Sa jurisprudence, notamment sur les violences sexuelles et la notion de génocide, a marqué un tournant. Pourtant, son action reste marquée par les lenteurs, les critiques de partialité et l’incapacité à restaurer pleinement la cohésion dans les Balkans. Il demeure néanmoins un modèle structurant pour la justice pénale internationale, dont il révèle à la fois la puissance et les limites.