Introduction
En 1992, la signature du traité de Maastricht transforme la Communauté économique européenne (CEE, future Union européenne) en Union européenne (UE). L’UE se dote d’une citoyenneté européenne, d’une monnaie unique à venir et de nouvelles compétences politiques. Ce moment se situe dans l’après-guerre froide, marqué par la chute de l’URSS en 1991 et la réunification allemande. Dans ce nouveau contexte, l’UE incarne la volonté d’approfondir l’intégration pour stabiliser le continent et renforcer son rôle dans un monde multipolaire.
Il est essentiel de rappeler que le Parlement européen n’est élu au suffrage universel direct que depuis 1979. Ce tournant est fondamental pour comprendre la démocratisation progressive de l’UE, car c’est la première fois que les citoyens participent directement au choix de leurs représentants européens.
Le traité de Maastricht et le tournant démocratique
Le traité de Maastricht introduit plusieurs nouveautés : la citoyenneté européenne, qui permet par exemple à un Espagnol résidant en France de voter aux élections municipales ou européennes dans sa ville d’accueil ; l’élargissement des compétences politiques (politique étrangère, justice, sécurité) ; et la création d’une Union économique et monétaire. L’euro est mis en place en deux étapes : en 1999, il devient la monnaie de référence pour les marchés financiers et la comptabilité ; en 2002, il entre physiquement en circulation dans les billets et les pièces.
Sur le plan démocratique, Maastricht renforce le rôle du Parlement européen, mais révèle aussi ce que l’on appelle le « déficit démocratique » : l’impression que des décisions importantes sont prises à Bruxelles sans contrôle ou participation suffisante des citoyens. Le référendum français de 1992, approuvé de justesse (51 % de « oui »), illustre cette fracture. Au Danemark, le rejet initial du traité oblige à une renégociation. Ces consultations populaires montrent que l’intégration européenne ne peut plus se construire uniquement par les élites, mais doit désormais convaincre directement les peuples.
À retenir
Maastricht approfondit la construction européenne et renforce le rôle du Parlement, mais révèle aussi une méfiance croissante des citoyens, visible dans les référendums.
L’euroscepticisme et les crises de légitimité
Depuis Maastricht, l’UE fait face à des remises en question démocratiques, souvent accentuées par des crises.
En 2005, le traité constitutionnel européen, conçu pour simplifier les institutions, est rejeté par la France et les Pays-Bas. Les causes sont multiples : un texte jugé trop complexe, la crainte d’une perte de souveraineté et le refus d’une Europe perçue comme trop technocratique (c’est-à-dire dirigée par des experts non élus). Le traité de Lisbonne de 2007 reprend l’essentiel du texte mais est adopté par voie parlementaire, ce qui alimente la critique d’un contournement de la volonté populaire.
Entre 2010 et 2012, la crise de la zone euro révèle la fragilité de l’Union économique et monétaire. La Grèce, frappée par une dette insoutenable, doit accepter des plans d’austérité drastiques en échange d’aides européennes. Ces mesures sont imposées par la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international), avec un rôle central de l’Allemagne et du couple franco-allemand. Les conséquences sont lourdes : récession, chômage de masse, manifestations, et un sentiment accru que les citoyens perdent le contrôle de leur destin économique.
En 2015, la crise migratoire voit arriver plus d’1 million de réfugiés, principalement syriens, traversant la Méditerranée pour rejoindre la Grèce ou l’Italie. L’UE adopte un mécanisme de relocalisation pour répartir les demandeurs d’asile entre États membres. Mais plusieurs pays, comme la Hongrie, la Pologne et la République tchèque, refusent d’appliquer ces quotas, illustrant les fractures institutionnelles et politiques. Cette crise nourrit la montée des partis nationalistes et renforce le sentiment d’impuissance de l’UE.
Enfin, le Brexit en 2016 marque un tournant. Le référendum britannique, remporté par le « Leave » à 52 %, est porté par le discours de l’UKIP et soutenu par une partie de l’opinion inquiète face à l’immigration, au coût de l’adhésion et à la perte de souveraineté. Ce départ s’inscrit dans un contexte plus large de montée des partis eurosceptiques, tels que le Rassemblement national en France, l’AfD en Allemagne ou le Fidesz en Hongrie, qui remettent en cause la légitimité du projet européen.
À retenir
Les rejets du traité constitutionnel, la crise de la zone euro, la crise migratoire et le Brexit traduisent les tensions croissantes entre intégration européenne et attentes démocratiques des citoyens.
Intégration, souveraineté et attentes citoyennes
Depuis 1992, l’UE avance entre deux logiques opposées : l’approfondissement de l’intégration et la défense de la souveraineté nationale.
L’intégration progresse avec la mise en circulation de l’euro et l’élargissement des compétences de l’UE. Mais elle progresse aussi par les élargissements successifs : en 1995, l’entrée de l’Autriche, de la Suède et de la Finlande ; en 2004, l’adhésion de dix pays dont huit issus de l’ancien bloc communiste (Pologne, Hongrie, République tchèque, etc.) ; en 2007, la Bulgarie et la Roumanie ; en 2013, la Croatie. Ces élargissements ont renforcé le poids géopolitique de l’UE, mais aussi compliqué sa gouvernance. Plus l’Union compte de membres, plus il est difficile de trouver des compromis, ce qui alimente parfois le sentiment d’une Europe lente, lointaine et inefficace. Ils nourrissent aussi une partie de l’euroscepticisme, certains citoyens craignant que l’élargissement affaiblisse la cohésion et dilue les solidarités.
C’est ce qui fait de l’UE un système hybride. On dit qu’elle est supranationale lorsqu’une décision s’impose à tous les États, comme la politique monétaire fixée par la Banque centrale européenne. Elle est intergouvernementale lorsque les décisions exigent un accord entre gouvernements, comme en politique étrangère et de défense. Cette double nature explique à la fois la capacité d’action de l’UE et ses limites démocratiques.
Les attentes citoyennes se manifestent lors des élections européennes. Après des décennies de baisse de participation, la tendance s’est inversée avec un taux de 50,7 % en 2019, le plus élevé depuis 1994. Ce regain d’intérêt montre que les électeurs perçoivent de plus en plus le rôle direct de l’UE dans leur vie quotidienne.
Les citoyens disposent aussi d’outils de participation comme l’initiative citoyenne européenne, créée en 2012. Elle permet à un million de citoyens issus d’au moins sept pays de demander à la Commission d’examiner une proposition. La Commission n’est pas tenue d’y donner suite législative, mais doit répondre publiquement. Exemple : l’initiative « Right2Water » en 2013 a conduit la Commission à renforcer la législation sur l’accès à l’eau potable.
À retenir
L’UE est un système hybride, à la fois supranational (monnaie, commerce) et intergouvernemental (diplomatie, défense). Les élargissements compliquent la gouvernance et nourrissent parfois l’euroscepticisme, tandis que les citoyens réclament plus de proximité et de participation.
Conclusion
Depuis Maastricht, l’Union européenne vit une tension constante entre intégration et légitimité démocratique. Le renforcement du Parlement européen, élu directement depuis 1979, et les outils de participation citoyenne témoignent d’une volonté de rapprocher l’Europe de ses peuples. Mais les crises — rejet du traité constitutionnel, crise de la zone euro, crise migratoire, Brexit — ainsi que les élargissements successifs rappellent les limites d’une construction perçue comme technocratique et complexe.
L’UE demeure un système hybride, partagé entre supranational et intergouvernemental, qui doit concilier souveraineté des États et attentes citoyennes. Son avenir dépendra de sa capacité à renforcer la transparence, à élargir la participation et à montrer que l’intégration européenne peut être synonyme de démocratie vivante et partagée.
