L'impact du progrès technique sur l'égalité

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Dans cette leçon, tu vas analyser comment le progrès technique influence la répartition des revenus. Tu comprendras pourquoi il favorise les travailleurs qualifiés, affaiblit les emplois intermédiaires et modifie le partage entre travail et capital, tout en laissant une marge d’action aux politiques publiques pour corriger ses effets. Mots-clés : progrès technique, inégalités, marché du travail, capital, emploi qualifié, redistribution.

Introduction

Le progrès technique est un moteur fondamental de la croissance économique. Il permet d’améliorer la productivité, de faire émerger de nouveaux produits et services, et de transformer les modes de production. Toutefois, ses effets sur la répartition des revenus ne sont pas neutres. En redéfinissant les qualifications requises, en modifiant la structure des emplois et en influençant les rapports entre travail et capital, il peut contribuer à une hausse des inégalités au sein d’une économie. Cette dynamique, analysée par des économistes comme Daron Acemoglu ou Paul Krugman, s’est accentuée depuis les années 1980 avec l’essor du numérique. Elle contraste avec la période des Trente Glorieuses (1945-1975), où les gains de productivité s’accompagnaient d’une hausse généralisée des salaires et d’une amélioration de l’emploi. Comprendre les mécanismes contemporains permet d’éclairer les tensions actuelles sur le marché du travail et les défis d’un progrès plus équitablement partagé.

Le progrès technique, moteur de gains pour les travailleurs qualifiés

Le progrès technique récent est souvent biaisé en faveur du travail qualifié. Cela signifie que les innovations profitent surtout aux personnes disposant d’un haut niveau de formation et de compétences cognitives ou créatives, capables de concevoir, de gérer ou d’interagir avec les nouvelles technologies.

Ce phénomène est à l’origine d’une prime au diplôme, qui désigne l’écart de salaire moyen observé entre les salariés diplômés de l’enseignement supérieur et les non-diplômés. En France, selon l’INSEE, un diplômé de niveau bac+5 peut gagner jusqu’à 50 % de plus qu’un salarié sans diplôme. Cette inégalité de rémunération, déjà marquée, s’est renforcée avec l’automatisation et la numérisation de nombreuses tâches répétitives.

La logique économique est claire : le progrès technique augmente la productivité marginale du travail qualifié, ce qui en accroît la rémunération. À l’inverse, il substitue au travail peu qualifié des machines ou des algorithmes, réduisant la demande pour ces profils et déprimant les salaires. Les inégalités de revenus d’activité se creusent donc, en particulier entre les extrémités de l’échelle des qualifications.

À retenir

Le progrès technique accroît la productivité du travail qualifié, renforçant ainsi la prime au diplôme. Il tend à réduire la demande de travail peu qualifié, ce qui creuse les écarts de revenus au sein de la population active.

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Polarisation, fragmentation et dualisation du marché du travail

Le progrès technique provoque une polarisation du marché du travail. Les emplois très qualifiés (ingénieurs, analystes, professions intellectuelles) et certains emplois peu qualifiés non automatisables (aide à domicile, nettoyage) se développent. En revanche, les emplois intermédiaires, souvent routiniers, déclinent fortement.

Cela entraîne un affaiblissement des classes moyennes, définies ici comme les actifs occupant ces emplois intermédiaires avec des revenus proches de la médiane. Selon la DARES, en France, la part de ces emplois est passée de 28 % à 25 % entre 1990 et 2020. Cette évolution a des conséquences sociales importantes, en particulier sur la mobilité intergénérationnelle et le sentiment de déclassement.

Le progrès technique contribue aussi à une fragmentation croissante de l’emploi : multiplication des statuts, diversification des formes de contrat (CDD, intérim, micro-entreprise), montée en puissance du travail via les plateformes numériques. Cette diversité ne se confond pas entièrement avec la précarisation, mais elle réduit la lisibilité et la stabilité des parcours professionnels.

Enfin, le marché du travail tend à se dualiser, comme le montre la théorie des travailleurs « en poste » et « exclus », développée par Lindbeck et Snower. Les « en poste » bénéficient d’un emploi stable, de droits sociaux et d’un pouvoir de négociation, tandis que les « exclus » (jeunes peu qualifiés, chômeurs de longue durée) peinent à accéder à un emploi stable. Cette dualisation renforce les inégalités, notamment en matière d’accès à la formation ou au logement.

À retenir

Le progrès technique polarise le marché du travail, affaiblit les emplois intermédiaires et fragilise les classes moyennes. Il favorise les parcours discontinus et accentue la dualisation entre salariés protégés et travailleurs précaires.

Une transformation de la répartition du revenu entre travail et capital

Au-delà des inégalités entre individus, le progrès technique influence aussi la répartition fonctionnelle des revenus, c’est-à-dire la part du revenu national allant au travail (salaires) et celle revenant au capital (profits, intérêts, dividendes).

L’automatisation et la numérisation peuvent accroître la productivité du capital et réduire le besoin de main-d’œuvre dans certains secteurs. Cela peut conduire à une baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée. Plusieurs études de l’OCDE ont montré une tendance à la baisse de cette part dans les pays développés depuis les années 1980. Dans certains cas, cela signifie que les détenteurs de capital — souvent les plus aisés — bénéficient d’une part croissante des richesses créées, ce qui accentue les inégalités de patrimoine.

Cette dynamique est renforcée par les effets de réseau et les économies d’échelle caractéristiques des grandes entreprises numériques. Quelques acteurs concentrent une part importante des profits, ce qui augmente la concentration de la richesse.

À retenir

Le progrès technique peut modifier la répartition entre travail et capital, en augmentant la part des revenus captés par les détenteurs de capital. Cela contribue à renforcer les inégalités de patrimoine et la concentration des richesses.

Des effets redistributifs possibles, sous conditions

Il serait toutefois réducteur de présenter le progrès technique comme intrinsèquement inégalitaire. Dans certaines conditions, il peut avoir des effets redistributifs. Par exemple, en réduisant les coûts de production, il permet de faire baisser les prix, ce qui augmente le pouvoir d’achat des consommateurs, y compris les

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plus modestes. C’est le cas de nombreux biens technologiques devenus accessibles au plus grand nombre (smartphones, abonnements numériques, services bancaires en ligne).

Le progrès technique peut aussi améliorer la qualité de vie : médecine personnalisée, énergies renouvelables, enseignement à distance, mobilité facilitée. Ces innovations, si elles sont diffusées largement, peuvent réduire certaines inégalités d’accès.

Mais ces effets bénéfiques ne sont ni automatiques ni équitablement répartis. Ils dépendent fortement des politiques d’accompagnement : investissements dans l’éducation et la formation continue, soutien aux territoires en transition, redistribution fiscale adaptée.

À retenir

Le progrès technique peut aussi réduire les inégalités en élargissant l’accès à certains biens et services. Mais ses effets redistributifs dépendent fortement des politiques mises en œuvre pour accompagner sa diffusion.

Conclusion

Le progrès technique modifie en profondeur les structures économiques et sociales. S’il favorise la croissance, il peut aussi accroître les inégalités de revenus, en renforçant la valeur du travail qualifié, en réduisant les emplois intermédiaires et en modifiant la répartition entre travail et capital. Ces effets varient selon les périodes historiques : durant les Trente Glorieuses, les gains de productivité profitaient largement aux salariés, tandis qu’aujourd’hui, les inégalités tendent à s’aggraver sans intervention corrective. Face à ces enjeux, il est indispensable de penser des politiques actives : éducation, protection sociale, régulation des plateformes, fiscalité redistributive. Le progrès technique n’est ni égalitaire ni inégalitaire en soi : tout dépend des institutions qui l’encadrent et des choix collectifs faits pour en partager les bénéfices.