L'autorité de la parole : la parole et la vérité

icône de pdf
Signaler
Dans cette leçon, tu explores la distinction entre convaincre et persuader, de Platon et Aristote à Cicéron, Quintilien et la tradition chrétienne. Tu comprends comment la rhétorique peut éclairer par la recherche de vérité ou séduire au risque de manipuler, une tension toujours présente dans les discours contemporains. Mots-clés : convaincre et persuader, Platon Aristote, Cicéron Quintilien, rhétorique, autorité de la parole, vérité et manipulation.

Introduction

Depuis l’Antiquité, la parole entretient un rapport ambigu avec la vérité. Elle peut éclairer en transmettant un savoir ou en guidant une communauté, mais elle peut aussi séduire au point de tromper. Dès Platon et Aristote, une distinction apparaît entre convaincre – amener à reconnaître une vérité par des arguments solides – et persuader – séduire sans fondement rationnel suffisant.

Cette tension traverse toute l’histoire de la rhétorique et se retrouve encore aujourd’hui dans les discours politiques, les médias et les réseaux sociaux.

Platon : méfiance et réhabilitation d’une « bonne rhétorique »

Platon (427-347 av. J.-C.) a vécu dans l’Athènes du IVe siècle, marquée par la démocratie et par l’influence des Sophistes. Il se méfie profondément de ces maîtres de rhétorique qui enseignaient l’art de persuader sans se soucier du vrai. Dans le Gorgias, il dénonce cette rhétorique comme une flatterie, semblable à la cuisine qui plaît au palais mais ne nourrit pas.

Mais Platon ne rejette pas toute rhétorique. Dans le Phèdre, il propose l’idée d’une « bonne rhétorique », qui ne cherche pas à plaire mais à orienter les âmes vers la vérité et le bien. L’Apologie de Socrate, discours rapporté par Platon, illustre cette vision : Socrate y affirme sa mission philosophique en déclarant que « la vie sans examen ne vaut pas la peine d’être vécue ». Ce n’est pas un discours de séduction mais une parole de vérité, assumée jusqu’au sacrifice.

À retenir

Pour Platon, la rhétorique peut être trompeuse quand elle flatte, mais elle devient noble quand elle est guidée par la recherche du bien et de la vérité. L’Apologie de Socrate montre une parole qui ne cherche pas l’adhésion facile mais affirme une mission philosophique.

Aristote : la rhétorique comme technè pratique

Aristote (384-322 av. J.-C.), disciple de Platon et précepteur d’Alexandre le Grand, développe une approche plus méthodique. Installé à Athènes, il fonde le Lycée et rédige des traités qui systématisent les savoirs de son temps. Dans sa Rhétorique, il présente la parole comme une technè, c’est-à-dire un art pratique, un savoir-faire qui s’applique à l’action. Contrairement aux sciences théoriques qui démontrent l’absolu, la rhétorique raisonne sur le vraisemblable, ce qui est jugé crédible et probable dans une situation donnée.

Aristote distingue trois ressorts de persuasion : le logos (les arguments rationnels), le pathos (les émotions capables de renforcer l’adhésion) et l’ethos (la crédibilité et l’intégrité de l’orateur). Dans le livre II, chapitre 24 de la Rhétorique, il rappelle qu’il ne faut pas confondre convaincre – qui suppose un lien avec le vrai – et persuader, qui peut séduire sans justification solide.

À retenir

Pour Aristote, la rhétorique est un art pratique qui raisonne sur le vraisemblable et doit rester au service du vrai. Logos, pathos et ethos équilibrés permettent à l’orateur de convaincre sans se limiter à persuader.

L’orateur éducateur : Cicéron, Quintilien et la tradition chrétienne

Cicéron (106-43 av. J.-C.) est un avocat et homme politique romain qui vécut une période de crises républicaines. Dans De l’orateur, il définit la mission de l’orateur : instruire, plaire et émouvoir. Mais il insiste sur la doctrina, la culture générale, qui donne à la parole sa profondeur et évite qu’elle ne devienne un pur artifice. Dans ses plaidoyers, comme la première Catilinaire (« Jusques à quand, Catilina, abuseras-tu de notre patience ? »), Cicéron illustre une parole qui prétend défendre la vérité civique et protéger la République.

Quintilien (35-100 ap. J.-C.), enseignant de rhétorique à Rome, rédige l’Institution oratoire, vaste traité qui synthétise la formation de l’orateur. Il affirme que l’orateur idéal est un « homme honnête qui parle bien ». L’éloquence n’est pas seulement une technique : elle exige intégrité et responsabilité. Sa fonction est éducative : former les citoyens et transmettre des valeurs morales et politiques.

Au Moyen Âge, la tradition chrétienne reprend cet idéal. Saint Augustin (354-430), évêque d’Hippone, dans son traité De doctrina christiana, réfléchit au rôle de la rhétorique dans la prédication : l’orateur chrétien doit instruire, plaire et émouvoir pour conduire les fidèles vers la vérité divine. Plusieurs de ses sermons illustrent cet usage de la parole comme autorité spirituelle et éducative. Thomas d’Aquin (1225-1274), maître en théologie à l’université de Paris, incarne la continuité de cet idéal dans l’enseignement médiéval. Ses disputations publiques, où il présentait une question, examinait les objections puis proposait une réponse ordonnée, montrent comment la parole universitaire devient un instrument de vérité collective.

À retenir

Cicéron et Quintilien font de l’orateur un éducateur qui instruit et guide la communauté. Augustin et Thomas d’Aquin prolongent cette mission en donnant à la parole une autorité religieuse et universitaire.

La parole entre éclairage et manipulation

L’histoire de la rhétorique révèle cette dualité permanente. La parole éclaire lorsqu’elle transmet la vérité : l’Apologie de Socrate, les plaidoyers de Cicéron ou les sermons de Bossuet (dans l’Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre, il répète : « Madame se meurt ! Madame est morte ! ») montrent une parole qui bouleverse pour instruire.

Mais la parole peut aussi être détournée. Les sophistes de l’Antiquité l’utilisaient pour séduire sans souci du vrai. Plus tard, certains prêcheurs ou politiques en ont abusé pour manipuler l’opinion. Aujourd’hui encore, les discours publics, la publicité, les fake news et les messages viraux sur les réseaux sociaux rejouent cette tension : séduire ou éclairer ? informer ou manipuler ?

À retenir

La parole peut être une lumière qui éclaire et unit, mais aussi une illusion qui séduit et manipule. Cette ambiguïté se retrouve de l’Antiquité aux débats médiatiques et numériques contemporains.

Conclusion

La parole entretient une tension constante avec la vérité. Platon oppose la flatterie sophistique à la rhétorique guidée par le bien ; Aristote en fait un art pratique du vraisemblable, soucieux de convaincre plutôt que de persuader ; Cicéron et Quintilien, prolongés par Augustin et Thomas d’Aquin, voient dans l’orateur un éducateur au service du bien commun et de la vérité.

Mais cette autorité est fragile : les mêmes procédés peuvent instruire ou manipuler. Aujourd’hui, dans l’espace médiatique saturé de discours, des débats politiques aux réseaux sociaux, la question demeure : comment discerner une parole qui éclaire d’une parole qui trompe ? Comprendre l’autorité de la parole, c’est apprendre à exercer un jugement critique, indispensable pour reconnaître les voix qui méritent notre confiance.